C'est pour réparer ce dommage que la responsabilité d'une personne peut être reconnue sur le fondement de l'article 1240 du Code civil. Celui-ci exprime explicitement dans sa formule inchangée depuis 1804 que « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » Dans cette seule citation, toute l'importance du dommage comme une condition de la responsabilité est dite. En effet, il est question de définir le dommage pour permettre de reconnaître un responsable et donc une réparation.
À ce titre, la notion de dommage permet de souligner toute la différence des buts recherchés par les responsabilités civile et pénale. La première se centre sur la réparation et la remise en l'état de la situation dans laquelle la victime se trouvait avant de subir le dommage. La responsabilité pénale a, quant à elle, une dimension punitive qui ne vise pas à être appliquée par la loi civile. Alors la définition du dommage aura moins d'importance face à l'infraction de la loi.
En ayant mis en exergue ces points importants, il convient de se demander si le dommage comme condition de la responsabilité civile contribue à une réparation efficace.
Depuis le Code civil de 1804, les conditions de la responsabilité civile n'ont pas substantiellement changé au titre de l'ancien article 1382. Il faut une faute, un lien de causalité et un dommage. Ces conditions se présentent dans cet ordre dans la formulation de la loi. Pourtant la définition du préjudice reste la condition essentielle pour permettre la réparation (I) et nécessaire pour délimiter cette réparation (II).
I. Le dommage, condition essentielle à la reconnaissance de la responsabilité civile
II. Le dommage, condition nécessaire à la délimitation de la responsabilité civile
I. Le dommage, condition essentielle à la reconnaissance de la responsabilité civile
Comme établi depuis longtemps en droit français, la définition du préjudice est la condition première pour envisager d'engager une action en responsabilité. En effet, à défaut de préjudice, aucune responsabilité ne peut être engagée.
Ce préjudice doit exister pour que le but poursuivi par l'article 1240 du Code civil soit atteint. S'il n'y a rien à réparer, il ne peut y avoir de condamnation.
Ainsi une personne qui souhaiterait la condamnation d'une autre en responsabilité civile pour son seul intérêt sans justifier d'un préjudice répondant aux conditions jurisprudentielles ne pourrait voir sa demande reçue par les juges. C'était l'esprit des rédacteurs du Code civil en 1804. L'action a une fin réparatrice et non sanctionnatrice pour celui qui est condamné.
Ainsi, une personne ayant commis une faute, mais qui n'aurait causé aucun dommage ne pourrait être condamnée civilement. Ici, il peut être fait un parallèle avec la responsabilité pénale à nouveau où c'est la faute qui est la condition première en résidant dans le délit commis.
Le préjudice existant est donc la condition essentielle de la responsabilité civile, il est le premier à être déterminé par les avocats. Cependant, cette condition s'est affinée avec la jurisprudence depuis 1804. Sans mentionner les divers préjudices possibles pouvant être reconnus (préjudice corporel, matériel, moral...), un préjudice doit encore être certain, personnel direct et légitime pour être réparable.
Dans le cas contraire, une réparation ne serait pas possible, ou alors très ardue. Par exemple, dans le cas où une personne voudrait se prévaloir d'un préjudice suite à la détérioration d'un bien qui ne lui appartient pas. Cette personne n'étant pas propriétaire ou possesseur de la chose ne pourrait pas engager la responsabilité civile de l'auteur de ce dommage. Ceci du fait que le dommage ne lui est pas personnel.
Ceci doit toutefois être mis à l'aune des nombreuses déclinaisons jurisprudentielles du préjudice, notamment en ce qui concerne le préjudice par ricochet ou encore le préjudice moral de la perte d'un membre de sa famille par exemple.
Ainsi, le dommage est la condition essentielle et première pour qu'une réparation civile soit possible (I). Cependant, c'est la détermination de ce même dommage qui va permettre de délimiter cette réparation (II).
II. Le dommage, condition nécessaire à la délimitation de la responsabilité civile
Il est fortement tentant pour toute personne qui subit un dommage, à fortiori un dommage corporel ou moral par ricochet, de souhaiter une réparation plus importante qu'elle s'estime due. Elle ne se retrouverait après tout pas dans sa situation sans la faute commise par le responsable. Mais le préjudice déterminé limitera le montant de la réparation reçue.
La réparation d'un préjudice en droit français passe d'abord par la réparation en nature. Il s'agit « de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit » (Cass. 2e civ. 7 décembre 1978, 77-12.013 ; Cass. 2e Civ, 9 juillet 1981, 80-12.142). Cette réparation est idéale dans le cas de la perte d'un objet que l'on pourrait alors remplacer.
Mais cette hypothèse reste la plus simple et la moins complexe pour les juges à traiter. En effet, quand il est question d'un préjudice qui ne peut être réparé en nature. Il ne peut que l'être par voie de dommages et intérêts compensatoires. Il s'agit surtout des cas de préjudice corporel ou de préjudice moral. Le montant de la réparation demandé sera alors déterminé par les juges civils, qui en contrôleront aussi la proportionnalité.
Bien qu'ils disposent d'une latitude certaine en la matière, les juges ne viseront que la réparation du préjudice subi. Il ne s'agira pas d'accorder des dommages et intérêts punitifs ou excessifs. Une telle conception a toujours été perçue avec hostilité par le droit français contrairement au droit américain par exemple. C'est ici que la notion de dommage comme condition de la responsabilité civile prend son deuxième rôle majeur.
Si aucun dommage ne serait déterminé ou apprécié proportionnellement, alors l'action en responsabilité civile n'aurait plus une vocation réparatrice, mais sanctionnatrice. Or, il y a déjà le domaine de la responsabilité pénale pour cela et la condition première serait alors à nouveau la faute et non le dommage.
C'est ainsi que la Cour de cassation a reconnu que les dommages et intérêts punitifs étaient interdits en droit français dans un arrêt rendu par la première chambre civile, puisqu'ils ne répondaient pas au but visé par l'article 1382 ancien du Code civil : la réparation (Cass. civ. 1, 1er décembre 2010 n 09-13303, Affaire Fountaine Pajot).
Ainsi, la condition de dommage est nécessaire pour éviter des dérives de l'action en responsabilité de son but initial : remettre la victime dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée sans l'intervention de l'acte dommageable.
En conclusion ?
La condition de dommage dans la reconnaissance d'une responsabilité civile est essentielle pour que le but visé par la loi soit possible : la réparation. Cette condition est aussi nécessaire en ce qu'elle limite par elle-même cette réparation sans permettre de s'en écarter, bien que dans leur appréciation souveraine, les juges civils peuvent accorder une plus importante réparation.
Sources : Les caractères du dommage, Aurélien Bamdé ; Dommages-intérêts punitifs : le chant des sirènes, Vladimir Rostan d'Ancezune
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