La démocratie est délicate à définir, et la démocratie moderne l'est d'autant plus. Admettons que la démocratie est un système dans lequel des élections régulières permettent de désigner des représentants qui pourront voter la loi, et qui pourront avoir une influence sur le pouvoir exécutif, notamment forcer sa démission. La démocratie moderne est la démocratie constitutionnelle, qui est passée de l'État légal à l'État de droit, c'est-à-dire à un État dans lequel les règles constitutionnelles priment sur les règles législatives.

La loi désigne, classiquement, un texte qui a vocation à poser une norme générale et abstraite, et qui, dans une démocratie, est adopté par le peuple directement ou par ses représentants.

Le citoyen, quant à lui, désigne un sujet de droit spécifique. Il ne s'agit pas du simple national, du simple sujet de droit. Le citoyen est le résident national dans sa dimension politique. Il est non seulement sujet de droits, mais il est également acteur de la vie politique.

En république, la loi a toujours été élaborée par les représentants du peuple, ou par le peuple directement par la voie du référendum. Si avant 1944 il était possible de critiquer le caractère démocratique, puisque les femmes n'avaient pas le droit de vote, depuis 1944 à ce niveau la France est une démocratie. L'avènement de la Ve République, et du contrôle de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel dans les années 1970 ont transformé la France en démocratie moderne.

Mais avec cette mise en valeur de la Constitution, c'est paradoxalement la loi qui a changé de statut et, avec elle, le rôle du citoyen qui a évolué. En effet dans un premier temps le rôle du citoyen vis-à-vis de la loi a évolué, et les prérogatives de ce dernier à propos de la loi ont évolué dans un sens croissant. Dans le même temps, la place de la loi a été revue à la baisse. C'est d'abord la Constitution qui a pris une place centrale, mais elle a rapidement été éclipsée. Désormais, la place de la loi est remise en cause par le haut, à travers les différentes conventions internationales ratifiées par la France. Par le bas également, la loi est remise en cause par l'augmentation des compétences décentralisées confiées aux collectivités territoriales, mais aussi par la contractualisation.

La question qui se pose est alors celle des liens entretenus entre le citoyen et la loi dans les démocraties modernes, qui voient la place de la loi renouvelée.

Si le citoyen reste un acteur de la loi dans les démocraties modernes, et passe même au premier plan de la vie législative (I), c'est la loi elle-même qui est délassée et, partant, la position du citoyen dans les normes qui lui sont applicables (II).


I. Le citoyen acteur de la loi dans les démocraties modernes

Le citoyen est acteur de la loi dans les démocraties modernes. Il participe à son élaboration démocratique (A), mais également à sa contestation juridictionnelle (B).


A - Le citoyen dans le processus de production de la loi

Le rôle du citoyen dans le processus de production de la loi a évolué. Certes, il conserve son rôle de désignation des représentants qui adopteront la loi. C'est un rôle évident, mais central. À l'inverse, si en théorie le citoyen peut toujours être appelé à élaborer la loi directement par référendum, il faut reconnaître que rares sont les États démocratiques à le pratiquer fréquemment. La Suisse et certains États des États-Unis font office d'exceptions. La France n'a, paradoxalement, jamais connu de référendum véritablement législatif sous ses républiques. Depuis 1958, tous les référendums avaient pour objet une révision constitutionnelle ou l'adoption d'un accord international.

Pour autant, le citoyen gagne un rôle nouveau dans les démocraties modernes, au moins sur le plan des principes. En effet, de plus en plus sont instituées des procédures de participation et d'influence à travers des droits de pétition auprès des assemblées ou à travers des référendums d'initiative populaire ou partagée. Ainsi en France, l'Assemblée nationale et le Sénat disposent tous deux de plateformes destinées à recevoir des pétitions.  De même, l'article 11 de la Constitution permet un référendum à l'initiative d'une minorité de parlementaires et de citoyens, même s'il faut reconnaître que le mécanisme permet facilement aux assemblées de rejeter le texte après discussion.

Toujours est-il que, sur le plan des principes, le citoyen gagne en implication.


B - Le citoyen et la contestation de la loi adoptée

Si le citoyen gagne des prérogatives dans la manière dont la loi est faite, et l'on aurait aussi pu évoquer les grands débats ou les assemblées citoyennes ad hoc créées pour des questions particulières, c'est également sur le plan de la fin de la vie de la loi que les citoyens gagnent des prérogatives. Dans bien des États démocratiques modernes, on trouve en effet un mécanisme permettant au citoyen de forcer un contrôle de constitutionnalité des lois déjà en vigueur.

En France, c'est évidemment avec la révision constitutionnelle de 2008 et l'entrée en vigueur de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) que cette évolution a eu lieu. Lors d'un procès, le citoyen peut contester la constitutionnalité d'une loi qui lui est applicable au regard des droits et libertés garantis par la Constitution. Cette voie de droit a très bien fonctionné puisqu'en dix ans de QPC le Conseil constitutionnel a rendu autant de décisions a posteriori qu'il n'en a rendu en soixante-et-un de contrôle a priori.

Une fois la loi adoptée, le citoyen, non plus collectivement, mais individuellement, peut faire retirer la loi de l'ordonnancement juridique, chose qui était impensable en 1958.


II. La loi délaissée comme instrument normatif s'imposant au citoyen dans les démocraties modernes

Si le citoyen n'a peut-être jamais été autant acteur de la loi qui le gouverne que sous les démocraties modernes, la place de la loi se voit désacralisée. En dessous, le citoyen est de plus en plus gouverné par des actes réglementaires, voire contractuels (A). Au-dessus, il est de plus en plus gouverné par des actes de nature internationale (B).


A - Le développement des normes infralégislatives au détriment de la loi comme normes applicables au citoyen

Sous la IIIe République, il était d'usage de dire que l'Assemblée nationale pouvait « tout faire, sauf changer un homme en femme », reprenant ainsi une célèbre formule pour illustrer la toute-puissance du parlement britannique. Derrière le trait d'esprit se cache un constant, celui que la loi est la norme sinon première, au moins principale. C'était ainsi la loi qui était la norme générale et abstraite qui s'appliquait directement aux citoyens.

Le développement de la décentralisation est un facteur, parmi d'autres, qui a modifié cet élément. Si la loi faite par le citoyen reste présente pour déterminer les grandes orientations, de plus en plus la norme qui s'applique directement à lui n'est plus législative, mais réglementaire. La distribution des compétences entre les communes, intercommunalités, départements et régions entraîne ainsi un développement de ces normes générales non législatives.

Dans un même temps s'opère un phénomène de contractualisation. Les normes générales qui s'appliquent ne sont plus celles voulues directement par l'État, mais celles issues de contrats. Il peut s'agir de contrats privés entre les citoyens et les entreprises, d'une forme de contractualisation entre l'État et les citoyens, mais, également, d'une contractualisation entre les personnes publiques qui affectent les citoyens. Le détail importe peu ici, mais le phénomène général est notable : le contrat s'invite maintenant là où avant la loi régnait.


B - L'internationalisation des normes applicables au citoyen

Outre cette diminution de l'influence de la loi au profit de normes infralégislatives, on trouve également un mouvement inverse de perte de terrain de la loi sur des normes internationales. Le phénomène est évident en matière de droits de l'homme avec la place prise par la Convention européenne des droits de l'homme et sa Cour, mais il ne faut pas diminuer le rôle des différentes conventions adoptées dans le cadre des Nations-Unies.

Les accords de libre-échange, bilatéraux ou multilatéraux, sont également autant d'éléments qui diminuent la place de la loi.

L'Union européenne, avec son droit dérivé qui s'impose aux États sans qu'une transposition ne soit nécessaire, représente aussi, évidemment, une perte de terrain de la loi dans les démocraties modernes européennes.

Certes, il ne faut pas perdre de vue que ces accords sont tous ratifiés par les représentants des citoyens, puisqu'ils passent par le Parlement. Le citoyen a donc évidemment une influence énorme sur ces normes juridiques par le choix de ses représentants et, concernant l'Union européenne, par l'élection des députés européens.

En revanche, tous les nouveaux rôles gagnés par le citoyen par rapport à la loi dans les démocraties modernes ne trouvent pas à s'appliquer aux conventions. Grâce au contrôle de conventionnalité, le citoyen peut même demander au juge d'écarter une loi pour appliquer le droit international.

On voit donc que si le citoyen, dans une démocratie moderne, a vu son rôle dans la vie de la loi très largement augmenter, c'est la place de la loi elle-même qui a été relativisée dans l'ensemble des différentes normes applicables.

 

Sources :
- L. Favoreu (dir.), Droit constitutionnel, 22e éd., Dalloz, 2020.
- M. Troper, Fr. Hamon, Droit constitutionnel, 41e éd., Lextenso, 2020.
- R. Carré de Malberg, La loi, expression de la volonté générale, Librairie du Recueil Sirey, 1931.