La discrimination à l’embauche

Dans une décision de la Cour de cassation, rendue le 14 décembre 2022 en sa Chambre sociale (cf. n° de pourvoi : 21-19.628), il a été décidé qu’une discrimination dans le processus de recrutement, tenant spécialement à l’origine du ou des candidats à un poste, peut être démontrée par l’examen du registre unique du personnel. Ici, la Cour de cassation était intervenue afin de préciser que cet examen doit participer à la démonstration d’une analyse statistique dudit registre. De la sorte, et dès lors qu’un employeur n’est pas en capacité d’apporter la preuve que le refus d’une candidature pour occuper un poste vacant dans son entreprise se fonde spécialement sur des éléments non seulement objectifs mais surtout étrangers à toute sorte de discrimination, peut voir sa responsabilité engagée et ainsi être condamné au versement de dommages et intérêts au profit du salarié évincé. 



Il apparait ici immédiatement utile de relever que la charge de la preuve (puisque c’est bien sous ce rapport que le cœur du problème réside) appartient à l’une et l’autre des parties, c’est-à-dire aussi bien à l’employé dont la candidature fut en effet évincée mais aussi au recruteur, et donc à l’employeur. Par conséquent, conformément aux dispositions législatives contenues au sein de l’article L. 1134-1 du Code du travail, il appartient tout d’abord à l’employé évincé de produire tous les éléments qui laissent à penser qu’il fut victime d’une discrimination, peu importe par ailleurs la nature de celle-ci (elle peut en effet être dans la pratique aussi bien directe qu’indirecte). De son côté, il appartiendra à l’employeur de décrire l’ensemble des motifs qui l’ont amené à justifier sa décision de refus de la candidature en cause, cette décision devant revêtir un caractère objectif et surtout étranger à tout type de discrimination. 

Cass. soc., 14/12/2022, n° 21-19.628

Entre 2015 et 2019, un salarié a réalisé plusieurs contrats de missions qui avaient été rendus nécessaires par un accroissement temporaire d’activité dans l’entreprise qui l’avait embauché. Ce dernier avait décidé de répondre à une offre d’emploi à durée indéterminée au sein de cette même entreprise. Cependant, la candidature de ce dernier fut refusée. Mécontent de cette décision, celui-ci décida de saisir la juridiction prud’homale et avait critiqué les contrats de missions qu’il avait conclus avec son employeur mais aussi le rejet de sa candidature

En d’autres termes, le salarié évincé demandait à ce que l’ensemble de ses contrats de missions soient requalifiés en contrat à durée indéterminée et demandé également le versement à son bénéfice de sommes de différentes natures, tenant notamment à l’indemnité de requalification mais aussi le versement de dommages et intérêts du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse dont il dit avoir fait l’objet. La demande de requalification fut approuvée aussi bien par la juridiction prud’homale que par la Cour d’appel. Aussi, le salarié évincé avait argué qu’il avait été la victime d’une discrimination du fait non seulement de son âge mais aussi de son nom de famille. Sous ce rapport, celui-ci demandait également l’octroi de dommages et intérêts. 



Il ressort des faits de l’espèce et de la procédure que le salarié évincé a été en mesure d’effectuer une analyse de type statistique par rapport au registre unique du personnel ainsi que de l’organigramme de l’entreprise. Celui-ci a ainsi été en mesure de produire les éléments de preuve suivants. Concernant les salariés initialement recrutés en intérim et qui ont pu accéder à un contrat à durée indéterminée : en fonction de la consonnance du patronyme de ces salariés, ceux dont le nom apparaissait comme européen ont été avantagés dans l’obtention d’un tel contrat. Plus globalement encore, au regard de l’intégralité des salariés de l’entreprise concernée, près de 81% d’entre eux avaient un patronyme dont la consonnance était européenne.  

Compte tenu de ces éléments, les juges de la Cour d’appel de Chambéry, dans leur arrêt rendu le 20 mai 2021 (cf. n° 20/00391), ont relevé que cet examen et les résultats qui en ont résulté, et qui avait été réalisé par le salarié évincé, étaient en mesure de laisser penser que le salarié avait en effet été victime d’une discrimination à l’embauche du fait de son origine, de son patronyme dont la consonnance était extra-européenne.

Mécontent de cette décision, l’employeur a de ce fait décidé de ce pourvoi en cassation. En effet, ce dernier reprochait à l’arrêt d’appel d’avoir jugé « extra petita » puisque, selon ce dernier, il n’apparait pas dans l’examen effectué par le salarié et surtout dans les conclusions produites un quelconque motif de discrimination. Il reproche alors à la Cour d’appel de s’être basée sur la seule analyse statistique à l’effet de démontrer l’existence d’une discrimination à l’embauche en raison de l’origine ou de la race. 

En fait, l’employeur considérait qu’il n’était pas opportun de procéder à la comparaison du pourcentage des salariés eu égard à leur patronyme (à consonnance européenne ou extra-européenne). La production de cette comparaison n’apparaissait pas, pour lui, comme démontrant l’existence d’une discrimination

Au surplus l’employeur avait énoncé, pour critiquer l’arrêt d’appel, que le choix final qui s’est effectué entre les candidats à l’offre d’emploi en cause reposait sur une politique interne de l’entreprise concernée, à savoir : la favorisation des candidats « jeunes qui n’étaient pas encore entrés sur le marché de l’emploi. »

Ces constatations étant réalisées, la Chambre sociale de la Cour de cassation a décidé de valider le raisonnement produit par les juges de la Cour d’appel ; ainsi, les éléments de preuve apportés par le salarié évincé ont emporté la conviction des juges de la Cour de cassation quant au caractère discriminatoire à l’embauche dont il a été victime. 

Ici, ils ont accepté une nouvelle méthode de preuve qui pourra néanmoins être difficile à mettre en œuvre dans la pratique car les salariés évincés, sauf à ce que leur employeur leur produise le registre du personnel, devront demander au juge la communication de celui-ci, encore faudra-t-il que la preuve d’une discrimination soit apportée par son examen…

Références

https://www.legalplace.fr/guides/discrimination-embauche/

https://www.pole-emploi.fr/candidat/vos-recherches/preparer-votre-candidature/les-recours-en-cas-de-discrimina.html

https://www.courdecassation.fr/decision/63997d50b7ec7f05d42d8201

https://travail-emploi.gouv.fr/droit-du-travail/egalite-professionnelle-discrimination-et-harcelement/article/discriminations-a-l-embauche-de-quoi-parle-t-on