I. La notion d'expropriation
II. La notion de nécessité publique


I. La notion d'expropriation

Il faut tout d'abord noter que toute privation d'un droit réel ne constitue pas, de manière indiscutable, une expropriation. En ce sens, le juge, qu'il soit national ou européen, distinguera une gêne au bénéfice du droit de propriété, une limitation dite temporaire de ce droit de propriété, de la dépossession pure et simple de ce droit.

En effet, la distinction fut effectuée par la Cour européenne des droits de l'homme, le 24 juin 1993, dans sa décision Papamichalopoulos et autres c/ Grèce (14556/89). Cette affaire trouve son origine particulière dans les années 1960 alors que le régime institutionnel grec connaissait une dictature. Le gouvernement avait décidé de l'installation de bases navales militaires en occupant des terrains sans user d'une procédure d'expropriation. À la fin du régime dictatorial, les parlementaires grecs ont dû restituer les biens, mais l'ensemble de ces biens ne l'ont pas été dans la pratique. C'est en ce sens que la Cour européenne des droits de l'homme fut saisie. Dans le cas de l'espèce, les juges de la Cour retiennent que la Convention européenne des droits de l'homme protège les droits concrets et effectifs. Ils procédèrent alors à l'examen des éléments de fait de façon à déterminer si la situation en cause n'équivalait pas à une expropriation de fait. Elle en vient, par ailleurs, à la conclusion qu'il n'y a pas eu d'expropriation de droit ; et que les règles du droit grec n'ont pas été respectées. Néanmoins, la Cour européenne des droits de l'homme retint que le requérant n'avait pas été dépossédé de son droit, mais simplement empêché d'en profiter ; elle relève également que l'ensemble des voies de recours ont été épuisées par le requérant et qu'elles ont, dans leur intégralité, échoué. Et la Cour de conclure sur ce point : la perte de toute disponibilité des terrains concernés, ainsi que l'échec des tentatives qui ont été menées de manière à remédier à cette situation ont engendré des conséquences graves ayant eu pour effet de gêner le requérant dans le bénéfice de son droit de propriété. La Cour releva que l'article premier du protocole 1, annexé à la Convention européenne des droits de l'homme, avait été violé en ce que la gêne occasionnée de manière durable au requérant est assimilable à une privation du droit de propriété et correspond à une expropriation indirecte.

Sur le plan strictement interne, le Conseil constitutionnel avait également eu affaire à des questions voisines. La loi relative à l'audiovisuel public contenait une disposition qui prévoyait que l'autorité publique était en mesure de grever des immeubles particuliers d'une servitude d'intérêt public, en raison soit de leur emplacement, soit de leur élévation, en usant de moyen particulier (implantation d'antennes relais). Certains parlementaires ont alors décidé de saisir le Conseil constitutionnel en arguant du fait que cela correspondait à une expropriation indirecte et nécessitait, de ce fait, une indemnisation au bénéfice des propriétaires concernés.

Ainsi, par une décision rendue le 13 décembre 1985, le Conseil constitutionnel retint qu'une gêne supportable ne constitue pas une privation de propriété au sens des dispositions contenues au sein de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et ne constitue, en l'espèce, qu'une servitude d'intérêt public.

De ce fait, il peut être retenu que l'expropriation n'est pas simplement constituée par une simple privation de la propriété et peut revêtir ainsi des formes différentes laissant, en fin de compte, une grande marge d'appréciation au bénéfice des juges.


II. La notion de nécessité publique

La notion de nécessité publique a connu une évolution après avoir été reconnue et consacrée par les révolutionnaires de 1789. Cette évolution a été telle qu'aujourd'hui, l'on retient la seule exigence de l'utilité publique qui constitue, finalement, un critère à la fois plus large et surtout moins protecteur. Ce glissement de la notion s'illustre, notamment, sous les conclusions du commissaire du gouvernement Josse, à l'occasion de l'arrêt du Conseil d'État, réuni en Assemblée, Cambieri, du 20 décembre 1938, qui énonce que l'utilité générale suffit à l'expropriation.

Pour sa part, le Conseil constitutionnel continuera à employer l'expression de la nécessité publique à l'occasion de la décision relative à la loi sur les nationalisations (n 81/132DC du 16 janvier 1982). Même si les membres du Conseil constitutionnel ont retenu que la nationalisation est un droit constitutionnel reconnu (et qu'il a pour objet d'attribuer aux autorités publiques l'ensemble des moyens de lutter contre la crise économique, et de promouvoir la croissance et de combattre le chômage), et constatant ainsi que le recours à la nationalisation répond à la nécessité publique, ils viennent à vider le principe de tout contenu en rappelant, au paragraphe 20, en ces termes "Considérant que l'appréciation portée par le législateur sur la nécessité des nationalisations décidées par la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ne saurait, en l'absence d'erreur manifeste, être récusée par celui-ci dès lors qu'il n'est pas établi que les transferts de biens et d'entreprises présentement opérés restreindraient le champ de la propriété privée et de la liberté d'entreprendre au point de méconnaître les dispositions précitées de la Déclaration de 1789 (...)".

C'est véritablement ce passage de la notion de nécessité publique à la notion d'utilité publique qui affaiblit et impacte la protection des propriétaires. Dès l'instant où sera excipé un intérêt public ou un intérêt général, la privation du droit de propriété pourra être mise en avant. Ainsi, et dans une décision du Conseil d'État, en date du 21 novembre 1990, les juges administratifs suprêmes retirent qu'un programme d'intérêt général suffit à déclarer une opération d'utilité publique.



Sources :

    Conseil-constitutionnel.fr Service-public.fr Gilbert Ganez-Lopez, L'expropriation pour cause d'utilité publique, Paris, éd. L'Harmattant, 2003