Dans une décision récente, la Chambre sociale de la Cour de cassation a décidé de procéder au rappel de la règle selon laquelle il est impossible pour l’employeur de licencier son salarié déclaré inapte par le médecin du travail pour un autre motif que celui de l’inaptitude en question, peu importe le fait que celui-ci avait en effet engager une procédure de licenciement pour une cause différente. Décryptage.

L’inaptitude en droit du travail

Conformément aux dispositions contenues au sein des articles L. 1226-2-1 et L. 1226-12 du Code du travail, à partir du moment où un salarié est déclaré inapte, par le médecin du travail, son employeur est dans l’impossibilité de le licencier sauf s’il lui est impossible de proposer au salarié un poste de reclassement ou bien si le salarié concerné refuse le poste proposé. De même, pour le cas où le médecin du travail juge expressément que le maintien du salarié dans son emploi lui porterait un préjudice grave pour sa santé ou s’il estime que l’état de santé du salarié fait effectivement obstacle à un quelconque reclassement, alors l’employeur serait autorisé à procéder au licenciement de son salarié.
La Chambre sociale de la Cour de cassation considère que les dispositions contenues dans le Code du travail et qui intéressent en effet la notion d’inaptitude sont d’ordre public. De la sorte, le sens et la portée de cette notion sont importants sur le plan juridique puisqu’il serait impossible pour un employeur d’arguer d’une absence prolongée du salarié qui causerait une désorganisation du service en appui du licenciement de son salarié, effectivement déclaré inapte à la suite d’un arrêt de travail pour maladie (cf. en ce sens, Cass. Soc., 05/12/2012, n° 11-17.913). Il en sera de même au regard du licenciement pour faute grave ou encore pour motif économique de tout salarié officiellement déclaré inapte (cf. respectivement Cass. Soc., 20/12/2017, n° 16-14.983 et Cass. Soc., 14/03/2000, n° 98-41.556).
S’il s’agit ici d’un principe tiré de règles d’ordre public auxquelles par principe il est impossible de déroger, certaines exceptions existent tout de même. Sous ce rapport nous pouvons, entre autres, retenir qu’il est tout à fait envisageable et possible de conclure une rupture conventionnelle entre un employeur et son salarié qui a été déclaré inapte par le médecin du travail conséquemment à la survenue d’un accident du travail. Cependant il faudra ici, pour valider juridiquement la signature de la rupture conventionnelle, exclure une fraude ou un vice de consentement (cf. ici Cass. Soc., 09/05/2019, n° 17-28.767).

Revenons maintenant sur le contenu, le sens et la portée de cette décision du 08 février 2023.

Les faits de l’espèce

Dans notre cas d’espèce, il s’agissait d’un salarié, responsable de secteur, convoqué pour un entretien préalable à un possible licenciement. L’entretien en cause devait avoir lieu le 07 février 2017. Toutefois, la veille de cet entretien, le salarié concerné rencontre le médecin du travail lors d’une visite de reprise. C’est à la suite de cette visite que le médecin du travail déclare le salarié inapte à son poste. Dans sa décision, le médecin souligne le fait que le salarié ne pourra pas être reclassé aussi bien au sein de l’entreprise, qu’au sein du groupe à laquelle cette dernière appartient.
Quelques jours plus tard, par une lettre adressée au salarié en date du 16 février, l’employeur fait savoir à son salarié qu’il a décidé de le licencier pour faute lourde. Mécontent de cette annonce, et en contestation de son licenciement, le salarié concerné décide de saisir le Conseil des Prud’hommes ainsi que la Cour d’appel de Grenoble, cette dernière déboutant finalement le salarié de ses prétentions, en date du 11 mars 2021. Pour justifier sa décision, la Cour d’appel a considéré que l’inaptitude du salarié à occuper son poste ayant été définitivement reconnue par le médecin du travail, le 06 février 2017, ne pouvait pas permettre de priver son employeur de la possibilité de le licencier pour faute lourde au soutien de son licenciement. Précision faite ici : l’employeur avait précédemment mis en mouvement une procédure disciplinaire, le 24 janvier de la même année.
De nouveau mécontent de la décision, le salarié décida de se pourvoir en cassation. Dans son arrêt rendu le 08 février 2023, la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle la règle selon laquelle lorsqu’un salarié est en effet reconnu inapte à occuper son poste par le médecin du travail, à l’occasion d’une unique visite médicale de reprise, les dispositions précitées du Code du travail et qui sont d’ordre public trouvent à s’appliquer pleinement (cf. n° de pourvoi : 21-16.258). De fait, le salarié ne peut valablement pas faire l’objet d’une procédure de licenciement disciplinaire qui interviendrait postérieurement à la date de l’avis d’inaptitude formulé par le médecin du travail.
Les juges de la Chambre sociale ont alors cassé et annulé l’arrêt d’appel au visa des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du Code du travail, rappelant explicitement que ces dispositions étant d’ordre public, un employeur ne pourrait pas prononcer un licenciement pour un autre motif que celui tiré de l’inaptitude du salarié à occuper son poste, peu importe par ailleurs qu’une procédure de licenciement pour une cause différente ait déjà été mise en mouvement.
Une critique surgit à la lecture de cette décision puisque même si des faits d’une particulière gravité étaient révélés, elle fait effectivement obstacle à un licenciement du salarié concerné. Aussi, la portée de cet arrêt est étendue en ce que ce dernier s’applique également à la procédure disciplinaire mise en action antérieurement à la déclaration officielle d’inaptitude.

En bref, que retenir de cette décision ?

Dans cette décision de février 2023, la Cour de cassation a, en visant les dispositions d’ordre public issues des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du Code du travail, rappelé la règle selon laquelle il est inopérant pour un employeur de licencier son salarié, déclaré inapte par le médecin du travail, pour un autre motif que celui tiré de cette inaptitude.

Les choses auraient été plus aisées pour chacune des parties si l’employeur avait actionné la procédure propre au licenciement pour inaptitude au lieu de se borner à la mise en place de la procédure disciplinaire.

Références

https://www.courdecassation.fr/decision/63e34cce500dc805de37cd9d
https://www.editions-tissot.fr/actualite/sante-securite/salarie-inapte-pas-de-licenciement-possible-pour-une-autre-cause
https://travail-emploi.gouv.fr/sante-au-travail/suivi-de-la-sante-au-travail-10727/article/la-reconnaissance-de-l-inaptitude-medicale-au-travail-et-ses-consequences
https://www.bayet-avocats.com/actualites-droit/droit-social/post-articulation-entre-inaptitude-et-rupture-du-contrat-de-travail-en-cours/