Quels étaient les faits de l’espèce ?

Dans notre cas d’espèce, le 1er mars dernier, le Conseil constitutionnel avait été saisi par la Cour de cassation d’un ensemble de questions prioritaires de constitutionnalité inhérentes à la conformité aux droits et aux libertés garantis par le texte constitutionnel suprême eu égard aux dispositions contenues au sein de l’article 3 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle, et plus spécifiquement par rapport à sa rédaction qui découle de la loi n°2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

Quel était l’objet de la question prioritaire de constitutionnalité posée ?

Il est intéressant de noter que le deuxième article de la loi du 10 juillet 1991 susmentionnée prévoit que les personnes physiques qui ne disposent pas de ressources qualifiées de suffisantes afin de faire valoir leurs droits en justice sont en mesure de jouir d’une aide juridictionnelle. Plus exactement, l’article suivant prévoit que les individus qui peuvent en effet bénéficier de cette aide juridictionnelle sont aussi bien les individus de nationalité française que les ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne. Pour les individus de nationalité d’un Etat tiers à l’Union européenne, les dispositions législatives contestées envisagent que ceux-ci sont en mesure de bénéficier de ladite aide uniquement s’ils résident de manière régulière sur le territoire national.


Partant ces individus, de nationalité d’un Etat tiers à l’Union européenne, sont par principe exclus de ce bénéfice s’ils ne résident pas régulièrement en France. Cependant ce même article 3 de la loi de 1991 relative à l’aide juridique vient spécifier que, par voie d’exception, les individus dans cette situation peuvent bel et bien bénéficier de cette aide juridictionnelle si et seulement si ceux-ci sont mineurs, ou bien s’ils sont partie civile voire mis en cause à l’occasion d’une procédure pénale, ou s’ils font l’objet de mesures prévues par les dispositions de l’article 515-9 du Code civil, s’ils font l’objet de mesures précisées au sein du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et, en fin de compte, de manière strictement exceptionnelle, si leur situation personnelle est particulièrement digne d’intérêt eu égard à l’objet du litige ou encore des charges qui sont prévisibles à l’occasion du procès.

Les requérants, dans les cas d’espèce portés à la connaissance du juge constitutionnel par la Cour de cassation, considéraient que les dispositions en cause méconnaissaient le principe d’égalité devant la justice en évinçant les étrangers en situation irrégulière de garanties égales aux garanties dont bénéficient les autres justiciables lorsqu’ils agissent en justice.

Qu’a donc décidé le Conseil constitutionnel ?

La question prioritaire de constitutionnalité ayant été posée, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision le 28 mai 2024. A l’occasion de cette décision, le juge constitutionnel suprême est intervenu à l’effet de rappeler, notamment, le contenu de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, c’est-à-dire que la loi se doit d’être identique pour tous les justiciables, peu importe que la loi punisse ou bien protège le justiciable. A l’appui du visa de l’article 16 du même texte, il convient de noter que bien qu’il soit possible aux parlementaires français d’instaurer des règles différentes qui s’appliqueront par rapport à des faits, à des situations et à des individus auxquels ces règles s’appliquent, ceci n’est possible que pour le cas bien particulier selon lequel les différences en cause ne procèdent pas de distinctions jugées injustifiées et que des garanties d’ordre légal soient prévues au bénéfice des justiciables (tenant particulièrement au droit d’agir en justice ou encore des droits de la défense).

Ces rappels étant effectués, les juges du Conseil constitutionnel précisent que le fait pour la loi d’avoir prévu que, sauf situations particulières, les individus de nationalité étrangères (hors cas des ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne résidant en France) ne sont pas conformes aux droits et libertés qui sont garantis par la norme suprême en ce qu’elles prévoient l’instauration d’une différence de traitement entre les justiciables, selon que ceux-ci sont ou non présents sur le territoire national de manière régulière.

Même si le Conseil constitutionnel ne remet en cause la possibilité pour les parlementaires d’instaurer des dispositions particulières trouvant à s’appliquer à la situation des étrangers, en regard de la régularité de leur séjour sur le territoire français, ceci n’est rendu possible que par le strict respect de la Constitution et des droits et des libertés que celle-ci contient et protège et qui s’appliquent à l’ensemble des individus résidant sur ce même territoire afin de permettre que des garanties égales soient assurées au bénéfice de tous les justiciables.

Ceci étant dit, il convient de noter qu’en décider de priver les étrangers qui ne résident pas sur le territoire français de manière régulière de la possibilité de bénéficier de l’aide juridictionnelle pour faire valoir des droits devant la justice (hormis les cas d’exception précités), les dispositions de nature législative contestées dans les cas d’espèce ne permettent pas d’assurer à ces individus des garanties égales aux garanties dont disposent l’ensemble des autres justiciables sur le territoire national.

Par conséquent, les dispositions susmentionnées ne sont pas conformes au principe d’égalité devant la justice, et ainsi, le Conseil constitutionnel décide de les déclarer contraires aux dispositions constitutionnelles suprêmes. Enfin, les effets découlant de cette déclaration d’inconstitutionnalité sont opérants dès la date de publication de ladite décision et sont in fine applicables pour l’ensemble des cas non encore définitivement jugés à cette date.