« [L’ordre public permet] d’assurer l’exercice effectif des libertés et des droits fondamentaux en garantissant dans la cité les conditions d’une vie sociale propice à leur sauvegarde et leur épanouissement […]. L’ordre public ne peut être placé au même niveau que les libertés, mais il entre avec elles dans un rapport dialectique aux fins de mieux les garantir ». Ainsi Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’Etat, interprète-t-il la notion d’ordre public dans le contexte du droit administratif en France. En l’espèce, Rodolfo, étudiant, perd la vue de l’œil droit dans le cadre d’une manifestation des gilets jaunes à Paris. Cette perte est due à un tir de lanceur de balle de défense (LBD) par un policier. De même, Monsieur Gérard, gérant et propriétaire d’un magasin de vente d’objets divers pour touriste, subit un dommage matériel, ayant eu ses vitrines détruites. Dès lors se pose la question du dommage subi dans le cadre du maintien de l’ordre public dans le cadre d’une manifestation, à la fois spécifiquement par Rodolfo (I) et, de manière plus générale, consécutivement à ce même maintien, les dommages de façon transversale (II). L’étudiant qu’est Rodolfo s’engage parallèlement dans la protection de l’environnement, et souhaite savoir si l’arrêté d’un maire interdisant l’utilisation de pesticides sur sa commune est légal et si une association peut prendre le soin de contrôler le respect de ce même arrêté. Dès lors se pose la question de la légalité de l’acte du maire dans le cadre du contrôle des pesticides (III).
I. Du dommage subi par Rodolfo
Il convient de distinguer à la fois la notion de nature de l’opération policière dans le cadre de la manifestation des gilets jaunes (A) et la notion de responsabilité déduite du dommage subi par Rodolfo (B).A. La nature de l’opération policière dans le cadre de la manifestation
En droit, la notion d’ordre public constitue un objectif de valeur constitutionnelle (OVC) selon le Conseil constitutionnel . En cette qualité, l’ordre public participe de ces objectifs qui « sont principalement, voire exclusivement, des instruments de limitation des droits fondamentaux ». Elle se retrouve également dans le droit positif, notamment au visa de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), qui précise les conditions dans lesquelles s’applique l’opération policière où « la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ». D’un point de vue infralégislatif, la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE) assure la délimitation de cette notion (CE, 18 décembre 1959 Société Les Films Lutétia), notamment par le biais de la notion de dignité humaine (CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge). En l’espèce, la police intervient bien dans le cadre d’une manifestation des gilets jaunes qui eût pu donner lieu à des débordements et à des troubles à l’ordre public. Il s’agit donc bien d’une opération de police visant au maintien de l’ordre public dans le cadre d’un attroupement. En conclusion, l’opération policière est légale et légitime au regard de sa nature (maintien de l’ordre public) et de son objectif de sécurité publique.
B. La responsabilité déduite du dommage subi par Rodolfo
En droit, la notion de responsabilité s’étend de la personne responsable du dommage à la victime dudit dommage. Le régime de la responsabilité administrative dans le cadre de l’utilisation « d’armes ou d’engins comportant des risques exceptionnels pour les personnes et les biens » entraîne « la responsabilité de la puissance publique […] même en l’absence d’une faute lourde », notamment là où « les charges doivent être normalement supportées par les particuliers » selon le Conseil d’Etat (CE, 24 juin 1949, Consorts Lecomte). Opération de police administrative puisqu’agissant dans le cadre du maintien de l’ordre public, cette dernière respecte les principes du régime de responsabilité administrative qui n’exige qu’une responsabilité pour faute simple (CE, 10 février 1905, Tomaso Grecco). En l’espèce, c’est l’opération de police qui a entraîné le dommage subi par Rodolfo, la police agissant dans le contexte du maintien de l’ordre et donc d’une opération de police administrative. En conséquence, Rodolfo peut simplement se prévaloir de la faute simple pour engager la responsabilité administrative de l’Etat du fait d’une opération de police administrative.
II. Du dommage subi dans le cadre du maintien de l’ordre
Il convient de distinguer le régime de la responsabilité à la suite de rassemblements armés ou non armés (A) et l’extension de la notion du régime de la réparation face à cette même responsabilité (B).A. Le régime de la responsabilité à la suite de rassemblements armés ou non armés
En droit, le régime de la responsabilité de l’Etat en cas d’attroupements ou de rassemblements armés ou non armés se trouve fondé au visa de l’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure : « L’Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis […] par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ». La jurisprudence entoure cette notion de responsabilité, y compris récemment, puisque les crimes et les délits qui procèdent d’une préméditation n’entrent pas, selon le Conseil d’Etat, dans le champ de cette responsabilité sans faute (CE, 28 octobre 2022, Ministre de l’Intérieur c. SANEF). En l’espèce, c’est bien à la suite de la manifestation des gilets jaunes, qualifiable « d’attroupement », qu’a été provoqué le dommage. En conséquence, il suffit d’engager la simple responsabilité de l’Etat pour faute simple.B. L’extension de la notion du régime de la réparation
En droit, le régime de la réparation est engagé dans la mesure où la victime bénéficie d’un lien de causalité qui soit direct et certain entre, d’une part, le dommage subi, et de l’autre, l’attroupement qualifié par le Code de la sécurité intérieure, et l’acte qualifiable de crime ou de délit (CAA Nantes, 5 juillet 2013, no. 11 NT03064). En outre, le préjudice commercial « consistant notamment en un accroissement de dépenses d’exploitation ou en une perte de recettes d’exploitation » peut fonder la demande en réparation. En l’espèce, le préjudice économique du magasinier est bien recevable puisqu’il y a un lien direct et certain entre le préjudice subi, l’attroupement et le délit. De plus, les vitrines à réparer constituent bien un accroissement de dépenses d’exploitation. En conclusion, Monsieur Gérard est fondé à demander réparation à l’Etat du fait du dommage subi.
III. De la légalité de l’acte du maire dans le cadre du contrôle des pesticides
Il convient de distinguer la question de la notion de légalité de l’arrêté du maire (A) et la question de la délégation du contrôle de l’arrêté à une association (B).A. La légalité de l’arrêté du maire
En droit, sont distingués les pouvoirs de police administrative générale et les pouvoirs de police administrative spéciale. Les pouvoirs de police administrative générale sont régis par l’article L. 2212-2 du CGCT. Les pouvoirs de police administrative spéciale se distinguent par le fait qu’elles n’ont pas pour but d’assurer le maintien de l’ordre public : c’est par exemple le cas de l’article L. 511-1 du Code de la construction et de l’habitat qui concerne les édifices menacés de ruine. En l’espèce, l’arrêté concerne des pesticides, ce qui appartient à l’objectif de salubrité publique au titre des pouvoirs de police administrative générale. Dans le cadre de ses pouvoirs, le maire est tout à fait habilité à durcir la législation, ce qui peut être le cas en matière de contrôle des pesticides (CE, 18 avril 1902, Commune de Néris-les-Bains). En conséquence, le maire est tout à fait fondé dans son arrêté du point de vue de la légalité.B. La délégation du contrôle de l’arrêté à une association
En droit, la délégation de pouvoirs de police administrative générale attachées à l’exercice de la puissance publique est interdite au profit de personnes privées (CC, 15 octobre 2021, Société Air France, QPC), ce qui suit une longue évolution jurisprudentielle de la justice administrative en la matière (CE, 17 juin 1932, Commune de Castelnaudary). En revanche, le maire peut déléguer une partie de ses fonctions à un ou plusieurs de ses adjoints (article L. 2122-18 du CGCT). En l’espèce, le maire souhaite déléguer son pouvoir de police administrative générale de respect de la salubrité publique à une association de droit privé. Le maire serait, dès lors, dans l’illégalité manifeste s’il acceptait une telle délégation. En conséquence, le maire ne peut pas déléguer le contrôle et la supervision du respect de l’arrêté à ladite association.En conclusion, non seulement le dommage subi par Rodolfo relève-t-il d’un préjudice physique survenu à la suite d’un maintien de l’ordre public (compétence de police administrative générale), mais Rodolfo est à même de soutenir une démarche contentieuse visant à la réparation sur le principe d’une faute simple. De même, le magasinier, Monsieur Gérard, peut engager la responsabilité de l’Etat pour le préjudice économique subi. Enfin, dans le cadre du contrôle des pesticides, le maire est tout à fait fondé à disposer de mesures plus sévères en ce qui concerne l’interdiction des pesticides, mais ne peut pas déléguer, en droit, son pouvoir administratif de police générale à une association de droit privé.
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