Si la jurisprudence Blanco est intéressante à cet égard, puisqu'elle constitue l'un des fondements de la responsabilité de l'administration, celle-ci n'est en réalité pas intervenue pour la première fois à la suite de cette décision du Tribunal des conflits du 8 février 1873. En effet, la responsabilité de l'administration est née d'une loi, sous la Révolution française (1789-1799), dès les 13 et 19 décembre 1790 bien qu'elle n'ait jamais été appliquée.
Napoléon Bonaparte interviendra lui aussi par la suite par la création de certains régimes de responsabilité, notamment par la loi du 28 Pluviôse An VII et qui intéressait la situation des victimes lésées par des travaux publics.
Une distinction interviendra rapidement dans le cadre de l'évolution du droit administratif français : la distinction entre la faute personnelle des agents et la faute de service. Il s'agit là d'une évolution jurisprudentielle...
- Aux origines de la distinction entre la faute de service et la faute personnelle des agents
- La possibilité de cumuler les fautes personnelles et les fautes de service
- La possibilité de reconnaître une faute personnelle, non détachable de tout lien avec le service
- La question des actions récursoires
Aux origines de la distinction entre la faute de service et la faute personnelle des agents
La décision fondamentale en la matière réside dans celle du Tribunal des conflits en date du 30 juillet 1873, Pelletier, dans laquelle le Tribunal des conflits participe pour la première fois à la distinction entre faute de service et personnelle des agents de l'administration.
Cependant, il faudra attendre une autre décision, elle aussi du Tribunal des conflits, en date du 5 mai 1877, Laumonnier-Carriol, pour que le commissaire au gouvernement, Édouard Laferrière, distingue les deux types de fautes de la façon suivante. Ainsi, il existe une faute de service lorsque l'acte dommageable est impersonnel, et donc, lorsqu'elle relève un administrateur sujet à erreur. Il y a faute personnelle lorsque l'acte dommageable relève un homme « avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences ». Cette distinction renvoie alors à la compétence respective des juges administratif et judiciaire.
Cependant, force sera de constater que cette distinction n'est pas facilement applicable dans les cas d'espèce devant être connus. Alors, d'après une autre jurisprudence du Tribunal des conflits, Thépaz, en date du 14 janvier 1935, il fut retenu que la juridiction administrative est la seule compétente pour connaître d'une action en responsabilité découlant d'une faute de service. Dans le cas de l'espèce, bien qu'une faute pénale fut reconnue, il n'en reste pas moins qu'il s'agissait d'une faute de service dans la mesure où l'agent de l'administration ne faisait qu'obéir aux ordres de l'administration. Cela emporte donc la compétence des juridictions administratives pour connaître de telles actions.
D'après cette décision, un seul et même fait peut revêtir le caractère d'une faute de service (engageant alors la responsabilité de l'administration) et le caractère d'une faute personnelle (engageant la responsabilité de l'agent, personnelle et pénale de ce dernier).
Cela nous amène alors à étudier le cumul possible des fautes de service et des fautes personnelles...
La possibilité de cumuler les fautes personnelles et les fautes de service
La décision de principe au regard de cette possibilité de cumuler ces deux formes de fautes réside dans la jurisprudence du Conseil d'État, en date du 3 février 1911, Anguet.
En effet, dans le cas de l'espèce, les juges du Palais Royal auront retenu l'existence, d'une part, d'une faute de service du fait de la fermeture du bureau de poste, ainsi que d'une faute personnelle du fait de la particulière brutalité d'un agent de la Poste ayant entraîné un dommage en la personne d'un client.
Par conséquent, la faute de service est de nature à engager la responsabilité de l'administration tandis que la faute personnelle est de nature à engager la responsabilité personnelle, la faute pénale, de l'agent concerné. Le juge administratif sera alors compétent pour connaître de la faute de service tandis que le juge judiciaire le sera pour connaître de la faute personnelle de l'agent puisqu'il existe deux fautes distinctes.
S'il s'agit là d'une avancée dans la reconnaissance d'un cumul de fautes, celle-ci demeure relativement timide. D'ailleurs, une autre distinction interviendra quelques années après cette décision Anguet de 1911...
La possibilité de reconnaître une faute personnelle, non détachable de tout lien avec le service
Il a été argué par des auteurs de la doctrine que la jurisprudence Pelletier qui distingue les deux formes de fautes n'est pas réellement justifiable au regard de la personne de l'agent qui a commis la faute. Il serait difficilement admissible pour eux de pouvoir attaquer personnellement cet agent...
C'est en ce sens que le Conseil d'État a retenu, dans une jurisprudence en date du 26 juillet 1918, Lemmonier, qu'il existe une faute unique qui est essentiellement due à des faits personnels d'un agent pouvant découler sur la responsabilité de l'agent, mais qui entraînerait également la responsabilité de l'administration.
S'il y a bien eu une faute personnelle, mais qu'aucune faute de service n'a été reconnue, il est cependant possible de reconnaître la responsabilité de l'administration parce que le service a rendu possible la commission de la faute personnelle.
Cette décision Lemonnier constitue donc une décision de principe qui reconnaît la possibilité d'un cumul de responsabilités : la victime est alors en mesure de demander la réparation de son préjudice subi auprès de la juridiction de son choix. Une seule faute peut alors découler sur un cumul de responsabilités.
Par ailleurs, le commissaire au gouvernement Léon Blum a considéré qu'il est possible de concevoir qu'une faute se détache du service, mais qu'il est impossible de concevoir que le service se détache de la faute.
Il s'agit là d'une faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service.
Plus encore, la jurisprudence du Conseil d'État en date du 18 novembre 1949, Demoiselle Mimeur, constitue l'une des plus grandes contributions à la question de savoir s'il y a eu une faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service et plus précisément la question relative à la réparation par l'État de dommages subis par des victimes du fait d'une faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service.
C'est là l'occasion pour le juge administratif suprême de reconnaître pour la toute première fois la responsabilité de l'administration alors qu'une seule faute personnelle aura été commise hors du service.
Finalement, ce cumul possible des responsabilités appelle à un autre constat : celui des actions récursoires.
La question des actions récursoires
La question de ces actions récursoires découle de la possibilité de cumuler la faute de service et la faute personnelle.
À cette occasion, là où les victimes auront le choix de rechercher la responsabilité de l'agent devant les juridictions judiciaires puisqu'il a commis une faute personnelle. Dans ce cas, l'agent se devra de payer l'intégralité du préjudice subi par la victime.
Autrement, il est possible pour la ou les victimes de rechercher la faute de service devant les juridictions administratives. Dans ce cas, l'État devra payer l'intégralité du préjudice subi par la victime.
Les juges du Palais Royal retiendront dans la jurisprudence du 28 juillet 1951, Delville, qu'il existe une responsabilité pécuniaire des agents publics : alors, il est possible pour l'administration, pour l'État, de se retourner contre son agent, parce que l'État aura procédé à l'indemnisation du préjudice subi par la victime du fait de l'existence de la faute commise par l'agent. Le même jour, dans une autre jurisprudence, Laruelle, le Conseil d'État retiendra le contraire : le Conseil d'État aura alors reconnu de façon prétorienne la possibilité pour un agent qui a indemnisé le préjudice subi par la victime de se retourner contre l'Etat, et donc, d'effectuer une action récursoire.
Finalement, si la victime peut décider, à son choix, de rechercher une responsabilité plutôt qu'une autre, voire de chercher les deux responsabilités en même temps, elle ne sera pas en mesure de bénéficier de deux indemnisations pour son préjudice.
Sources : Syndicat autonome de la fonction publique territoriale, Revue générale du droit
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