Le vice de violence a été étendu à ce qui est appelé « la contrainte économique » par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation le 30 mai 2000. Cette notion de contrainte économique s'inscrit dans un mouvement favorable à la justice contractuelle, entre le contractant se trouvant en position de force et celui étant en position de faiblesse.

Dans le cas d'espèce ici jugé et rapporté par la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 03 avril 2002, une salariée d'abord collaboratrice devenue rédactrice d'une société d'éditions a reconnu, par une convention à titre onéreux conclue le 21 juin 1984, à son employeur, la propriété sur tous les droits d'exploitation d'un dictionnaire intitulé « Mini débutants ». Cette personne est ensuite devenue directeur éditorial langue française mais a été licenciée en 1996. En 1997, elle a assigné la société d'éditions en nullité de la cession de propriété pour violence ayant vicié son consentement, en interdiction de la poursuite de l'exploitation de l'ouvrage et recherche par expert des rémunérations dont elle avait été privée.

Le 12 janvier 2000, la Cour d'appel de Paris a accueilli ces différentes demandes. L'arrêt retient que, lorsque la convention à titre onéreux a été conclue, le statut salarial de la collaboratrice la plaçait dans une situation de dépendance économique par rapport à la société d'éditions, ce qui l'a contrainte d'accepter la convention sans pouvoir discuter les termes qu'elle considérait contraire à ses intérêts personnels et aux dispositions protectrices des droits d'auteur. Si la collaboratrice avait refusé ces termes, elle aurait fragilisé sa situation car il existait un risque réel et sérieux de licenciement dû au contexte social de ladite société, même s'il est relevé que son employeur ne lui a jamais adressé de menaces précises par rapport à ce contexte social. De plus, il n'était pas possible, pour la collaboratrice, de proposer son manuscrit à un éditeur concurrent en raison de son devoir de loyauté envers la société d'éditions pour laquelle elle travaillait. La crainte de perdre son travail a influencé son consentement. Cette crainte ne lui a donc pas laissé discuter avec son employeur les termes de la convention en raison du rapport de supériorité avec celui-ci. La Cour d'appel retient que ce lien de subordination n'a cessé qu'avec son licenciement.

Un pourvoi est formé par la société d'éditions contre l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris. La première chambre civile de la Cour de cassation le 03 avril 2002 casse et annule l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris aux motifs que l'arrêt attaqué ne constate pas que lors de la cession de la propriété sur tous les droits d'exploitation du dictionnaire, l'auteure de celui-ci était menacée par le plan de licenciement et que son employeur a exploité cette circonstance économique pour la convaincre de lui céder ladite propriété. La Cour d'appel de Paris n'a donc pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1112 (ancien) du Code civil relatif au vice de consentement de la violence.

Il convient alors de se demander dans quelle mesure l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique peut vicier de violence le consentement ?

Les conditions de la violence doivent être réunies (I) pour que l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique puisse vicier de violence le consentement d'une partie à un contrat (II).


I. La réunion des conditions de la violence

La violence est un vice du consentement qui, s'il est prouvé, permet de sanctionner de nullité la convention (A). L'existence de la contrainte économique est constatée seulement si les conditions de la violence sont réunies (B).


A. La violence : un vice du consentement

La violence est un vice du consentement expressément prévu par le Code civil aux (anciens) articles 1111 à 1115. Trois conditions cumulatives doivent être apportées pour prouver le vice de la violence. Ainsi, il faut une contrainte, un caractère abusif et un caractère déterminant.

La contrainte est donc prise en compte lorsqu'elle s'exerce sur la personne même du contractant (et il peut s'agir d'une contrainte physique ou morale) mais également sur ses proches. Cette contrainte exercée sur le cocontractant ou ses proches doit revêtir un caractère abusif ayant une portée générale et s'imposant quelque soit le type de violences exercées. Finalement, la contrainte doit être suffisamment importante pour que le cocontractant soit conduit à contracter contre son gré. Celui-ci doit en effet avoir le sentiment de ne pas avoir pu faire autrement que de conclure.


B. Un rapprochement opéré avec la jurisprudence antérieure

La Cour de cassation, en sa troisième chambre civile, a rendu un arrêt le 30 mai 2000 lors duquel elle a jugé que la contrainte économique se rattachait à la violence et non à la lésion qui est un défaut d'équivalence entre les prestations. Cet arrêt s'inscrivait dans le sens de l'admission de la contrainte économique qualifiée de violence par lui.

La jurisprudence exige un comportement actif de l'auteur de la violence. En effet, celle-ci ne peut résulter des seules circonstances. Il faut alors prouver que le cocontractant a abusé d'une situation d'inégalité contractuelle ou de sa supériorité contractuelle.

La Cour de cassation dans cet arrêt ici rapporté exige deux conditions afin d'admettre la violence : celles d'un abus de dépendance économique, pour en tirer profit. Donc, la contrainte économique existe seulement si les conditions du vice de la violence sont réunies. Cet arrêt reprend les mêmes notions expressément utilisées par l'arrêt rendu par la troisième chambre civile le 30 mai 2000.

Seule pourra constituer une violence, l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique pour en tirer profit... (II)


II. L'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique

Seule l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique d'un cocontractant vicie le consentement de ce dernier (A). Cet arrêt de cassation rendu par la première chambre civile est à la fois justifié et justifiable (B).


A. L'exploitation abusive viciant le consentement d'une partie à un contrat

La Cour de cassation déclare, en l'espèce, que « seule l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la contrainte d'un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement. » Elle précise que le caractère illégitime de la violence, comme il ressort de la lecture de l'article 1112 (ancien) du Code civil, en le qualifiant d'« exploitation abusive ». Et, seulement cette exploitation abusive d'une telle situation économique peut vicier de violence le consentement du cocontractant si elle est faite pour tirer profit de la contrainte d'un mal qui menace directement les intérêts légitimes de celui-ci.

La Cour de cassation précise ici les deux conditions cumulatives de l'application du vice de la violence, prévu par le Code civil, à la contrainte économique. Le 03 avril 2002, la première chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 12 janvier 2000. Cet arrêt de cassation est justifié et justifiable au regard de l'espèce et de la jurisprudence antérieure de la Cour.


B. Un arrêt de cassation justifié et justifiable

Cet arrêt de cassation est justifié car il est établi qu'il faut démontrer les deux conditions cumulatives résidant dans le fait que le contractant a exploité une situation de faiblesse ou de détresse économique de son cocontractant et que cet abus a été déterminant dans son consentement. Donc, les deux conditions cumulatives du vice de la violence sont bien étendues à la contrainte économique. En outre, l'arrêt est justifiable car la Cour d'appel de Paris n'a pas constaté que la salariée était menacée par un plan de licenciement puisqu'elle relève que « son employeur ne lui avait jamais adressé de menaces précises à cet égard. » Elle ne constate pas non plus que son employeur a exploité cette circonstance pour la convaincre de lui céder les droits d'exploitation du dictionnaire.

La Cour de cassation ouvre à la contrainte un champ d'application plus vaste car elle dissocie contrainte et lésion (première chambre civile de la Cour de cassation, le 30 mai 2000). Cela permet de dénoncer plus facilement les conditions excessivement défavorables et imposées de manière abusive par une partie à un contrat à l'autre.