Quels sont les faits dans notre cas d’espèce et la question de droit posée au Conseil d’Etat ?

Dans le cas d’espèce ici jugé et rapporté par le Conseil d’Etat, les demandeurs sont propriétaires de résidences secondaires, situées sur l’Ile de Ré. Il existe un service de bacs qui permet de relier l’île au continent. Le département, qui gère ce service, a instauré 3 tarifs différents pour pouvoir emprunter ces bacs. Ces derniers sont calculés en fonction du lieu de résidence : sur l’île de Ré, au sein du département et enfin, en dehors du département. Les demandeurs avaient demandé à la Préfecture du département de Charente-Maritime de bénéficier soit du tarif applicable aux habitants de l’île, soit le tarif appliqué aux habitants de l’île de Ré. 

Les demandes ainsi formulées sont rejetées par deux décisions, des 3 juin, et 27 octobre 1971. Mécontents de ces décisions, ils décidèrent de saisir le tribunal administratif de Poitiers. Ce dernier, par une décision rendue en date du 7 juin 1972, rejette également ces demandes. Ils décidèrent alors de se pourvoir devant le Conseil d’Etat en lui demandant d’annuler le jugement ayant rejeté lesdites demandes. 

 

Quels sont les prétentions des parties ?

Pour les demandeurs, les différents tarifs appliqués sont illégaux et contraires au principe d’égalité devant le service public. Parce qu’ils sont propriétaires de résidences secondaires sur l’Ile de Ré, ils souhaitent bénéficier du tarif applicable aux habitants de l’île, à tout le moins des habitants du département. 

Se pose donc la question de savoir si la tarification préférentielle est légale eu égard au principe d’égalité des administrés devant le service public ?


Qu’a retenu le Conseil d’Etat dans cette décision ?

Dans notre cas d’espèce, le Conseil d’Etat statuant au contentieux considère qu’il est possible d’appliquer de tels tarifs distincts. Pour lui, il est légalement possible de fixer des tarifs distincts pour un même service à destination d’usagers d’un service public ou bien d’un ouvrage public dans trois cas : lorsque cette fixation découle d’une loi, lorsqu’il y a des situations différentes entre usagers de tels services ou ouvrages, et enfin, lorsque cette fixation découle d’une nécessité d’intérêt général eu égard aux conditions d’exploitation dudit service ou de l’ouvrage. 

Plus exactement, le Conseil d’Etat considère que les demandeurs sont propriétaires de résidences secondaires et ceux-ci ne sauraient prétendre remplir « les conditions justifiant que leur soit appliqué un régime préférentiel ». Par conséquent, ils ne peuvent pas tirer avantage du tarif préférentiel qui est explicitement et uniquement réservé aux résidents permanents de l’Ile de Ré. 

Parce qu’il existe une différence de situation les concernant, qui motive que de tels tarifs distincts leur soient en effet appliqués, du fait de leur domicile en tant qu’usager, ceux-ci ne sauraient valablement bénéficier du tarif en cause (ils ne sont pas considérés comme insulaires, ni même encore en tant qu’habitants du département). Concernant maintenant cette question du tarif applicable aux habitants du département, le Conseil d’Etat juge que celui-ci ne dispose pas d’une base légale dans la mesure où il n’existe aucune différence de situation, ni même encore de nécessité d’intérêt général à leur égard. Un traitement particulier ne saurait donc valablement et légalement accepté les concernant, en comparant leur situation par rapport à celle des habitants insulaires. De fait, ces habitants du département doivent se voir appliquer le même tarif que celui effectivement appliqué aux individus résidant en dehors du département. 

Il est donc clair que les demandeurs ne peuvent pas demander à bénéficier de telles dispositions qui sont en vérité illégales. 

Quelques propos complémentaires sur cette décision

En statuant ainsi, le Conseil d’Etat s’est intéressé à la différence de traitement applicable entre les usagers d’un service ou d’un ouvrage public. De la sorte, il prévoit qu’une dérogation au principe d’égalité est possible. 

Il convient de préciser que ce principe revêt la nature d’un principe fondamental de droit administratif qui permet à l’ensemble des administrés d’avoir un accès à un service public de façon égale, sans aucune discrimination fondée sur un quelconque critère. Ce principe, par ailleurs, dispose d’une valeur constitutionnelle au sens des dispositions contenues au sein de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (notamment son article 6 et son article 13) ainsi que de la Constitution de 1958 (notamment son article 1er). Ainsi les spécificités des administrés sont indifférentes.  

Ce principe fondamental connait néanmoins une dérogation : le Conseil d’Etat prévoit que cette différenciation dans l’application de tarifs distincts pour un même service rendu au bénéfice des administrés doit répondre à l’une des trois situations prévues par lui à l’occasion de notre décision commentée. Ce sont en fait les différences de situation qui permettent de justifier la différenciation en cause. Le Conseil constitutionnel a également été amené à répondre à cette question, par une décision rendue en date du 12 juillet 1979 (cf. Cons. const., 12/07/1979, n° 79-107 DC), et à l’occasion de laquelle il examina les faits de la même façon que le Conseil d’Etat. 

Le principe d’égalité trouve à s’appliquer aussi bien à un service public administratif (cf. CE, 09/03/1951, Société des concerts du conservatoire, qui consacre d’ailleurs ce principe en tant que principe général du droit) qu’à un service public industriel et commercial. 


Dès l’instant où il existe des différences de situation entre les usagers d’un service public, différences devant revêtir une nature objective, alors il est possible de traiter leur situation de manière différente, par exemple concernant la tarification d’un tel service public comme c’est d’ailleurs le cas dans notre cas d’espèce.

Références 

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007643192/

https://www.actu-juridique.fr/administratif/quelle-signification-pour-legalite-devant-le-service-public/

https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/discours-et-interventions/l-egalite-des-citoyens-dans-la-republique-discours-de-bruno-lasserre-vice-president-du-conseil-d-etat

https://juripredis.com/jurisprudence-decisions-justice/les-grands-arrets-de-la-jurisprudence-constitutionnelle/les-grands-arrets-de-la-jurisprudence-administrative/