Aux termes de ce texte, il est également possible de relever une orientation générale qui entend conférer des pouvoirs spécifiques à chaque institution tout en les équilibrant. Toutefois, certaines dispositions prévues par la Constitution elle-même permettent à certains pouvoirs de déroger à la répartition classique des compétences et d'agir hors des limites initialement posées. Notamment, l'article 16 de la Constitution prévoit que « lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire, ou l'exécution de ses engagements internationaux » sont remis en cause ou menacés, il est possible d'admettre des dérogations concernant le pouvoir dont dispose le chef de l'État. Cet article confère consécutivement à la Seconde Guerre mondiale, un pouvoir exceptionnel au président de la République, afin de pallier une éventuelle insuffisance des pouvoirs publics face à une situation d'invasion par exemple.

Dans quelle mesure l'article 16 de la Constitution de 1958 est-il un pouvoir absolu pour le président ?

I. La mise en oeuvre des pouvoirs exceptionnels du chef d'État

L'application de l'article 16 répond tout d'abord à des conditions de fond, ainsi que de forme.

A.   Les conditions de fond

Dès la première phrase du texte de cet article, il est prévu que celui-ci sera appliqué lorsqu'un danger « grave et immédiat » survient. Ainsi, ces deux critères constituent des conditions obligatoires pour identifier un cas d'urgence justifiant l'application des pouvoirs exceptionnels. Il faut alors que le risque menaçant l'équilibre de la République dans les aspects définis en introduction soit à la fois important et temporellement proche. De plus, ces pleins pouvoirs du président de la République rendant en principe sa latitude d'action absolue, il faut les limiter à des crises graves qui pourraient perturber le fonctionnement normal des institutions et des pouvoirs publics. Le rôle du chef d'État lors de l'exercice de ces pouvoirs exceptionnels n'est alors que celui de rétablir et d'assurer le fonctionnement normal des pouvoirs de la nation. Cette intervention limitée aux périodes de crise grave rend alors cet article relativement peu utilisé, mais il demeure essentiel en ce qu'il serait indispensable lors de la survenance de tels événements. En effet, la crise interrompt nécessairement le fonctionnement normal de la République d'après la Constitution, ce qui se doit d'être contrebalancé par un pouvoir plus grand accordé aux décideurs publics.

B.   Les conditions de forme

Outre les conditions nécessaires avant la mise en oeuvre des pleins pouvoirs, il y a des conditions restreignant celui-ci une fois la décision prise par le président de la République de les appliquer. En premier lieu, la validité d'une telle mesure est conditionnée par plusieurs approbations, car le chef d'État, s'il peut prendre la décision initiale seul, doit en revanche consulter le Premier ministre, les présidents des Assemblées, ainsi que le Conseil constitutionnel sur la question. Cette série de consultations avant l'exercice des pouvoirs permet alors de surveiller l'action du président de la République et de veiller à ce que la mesure entreprise soit réellement justifiée au vu des circonstances. De plus, il est nécessaire de vérifier que la mise en oeuvre de l'article 16 ne se confonde pas avec celui de l'article 36 de la même Constitution, prévoyant un autre pouvoir possible en temps de crise, mais relativement moins grave et imminente que celle envisagée pour les pleins pouvoirs. Malgré les consultations obligatoires, le recours aux pleins pouvoirs est une compétence exclusive du chef de l'État puisque ce dernier en prend la décision sans contreseing au préalable. Le président de la République dispose alors par l'application de cet article, de pouvoirs largement étendus, et peut prendre des mesures qui ressortent en temps normal de la compétence parlementaire.

 

II. Les limites a posteriori du pouvoir présidentiel

Une fois les conditions de l'article 16 remplies, le pouvoir du président de la République est relativisé par la nécessaire proportionnalité dans ces décisions, ainsi que par un contrôle postérieur.

A.   Le critère de proportionnalité

Afin de surveiller l'exercice des pouvoirs exceptionnels par le président de la République, et de limiter les risques de dérives, un contrôle relativement strict est opéré par différents moyens. En effet, si les conditions de l'article 16 sont réunies, le chef d'État peut prendre les mesures « exigées par les circonstances ». Il dispose donc à cette fin d'un pouvoir en principe absolu en termes de ses possibilités d'action, mais celles-ci sont en revanche limitées, car elles doivent être proportionnées aux problèmes confrontés. Le chef d'État doit en ce sens agir dans l'unique et seul but de rétablir le fonctionnement normal de la République, ce qui est contrôlé par le Conseil constitutionnel. Cette limite s'inscrit alors sur le plan matériel, par le contrôle du contenu des décisions et de leur justification au vu des circonstances, mais aussi sur le plan temporel, car les pouvoirs devront cesser a priori lorsque la situation se régule. Malgré cette limite, les mesures nécessaires peuvent être prises par le président de la République au mépris de la répartition des compétences et des pouvoirs définis par la Constitution. Le chef de l'État exerce donc pendant la durée de la menace grave et imminente, un pouvoir sujet à peu de limites, ce qui peut présenter certains risques quant aux libertés et à l'équilibre des pouvoirs, mais doit pour cette raison être justifié au regard de la situation.

B.   Le contrôle ex post

Lors de la mise en oeuvre des pouvoirs de l'article 16, le Parlement peut se réunir de plein droit. Cette disposition, prévue par le texte, constitue une autre garantie face au risque d'abus de son pouvoir par le chef d'État. L'action du président est alors non seulement contrôlée par rapport aux conditions de fond et de forme de son application, mais aussi postérieurement par diverses instances. De plus, l'Assemblée nationale, affaiblie lors de l'exercice des pleins pouvoirs, ne peut être dissoute, ce qui a été conçu comme un second rempart contre l'action d'un chef d'État tout puissant. Par ailleurs, depuis la révision de 2008, le Conseil constitutionnel peut être saisi après 30 jours d'exercice des pleins pouvoirs, afin de vérifier que les conditions de son application sont toujours réunies. Après 60 jours, le Conseil se saisira lui-même. Si le juge administratif ne peut pas contrôler directement la décision du président de recourir à l'article 16, il peut en revanche contrôler les décisions prises en application de ces pouvoirs exceptionnels sur le fondement règlementaire. Enfin, l'exercice de ce pouvoir par le chef d'État est contrôlé par la Haute Cour aux termes de l'article 68 de la Constitution, d'après lequel elle peut le destituer si elle constate un abus de pouvoir. Les pouvoirs exceptionnels, mesure emblématique de la place prépondérante du chef d'État dans les institutions de la République n'ont cependant été utilisés qu'une seule fois en 1961, lors du Putsch d'Alger, ce qui a permis au Général de Gaulle, président alors, de prendre 26 décisions sous l'égide de l'article.