« Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie »
L’article 55 de la Constitution et la consécration constitutionnelle de la supériorité des traités
Conditions d’application de l’article 55
L’article 55 de la Constitution pose plusieurs conditions à ce que les traités ou accords internationaux disposent d’une autorité supérieure à celle des lois nationales.
En premier lieu, lesdits traités ou accords internationaux doivent être ratifiés ou approuvés par les autorités compétentes, et plus particulièrement par le Président de la République, comme l’impose l’article 52 de la Constitution, bien que cette ratification puisse, conformément à l’article 53, supposer une autorisation parlementaire lorsque le texte porte sur des matières sensibles (qui engagent les finances de l’État, qui comportent une cession, échange ou adjonction de territoire, etc.).
La publication du traité ou de l’accord international doit qui plus est être régulière. En somme le texte doit être publié au Journal officiel de la République française (JORF), afin d’être opposable.
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Enfin, l’article 55 de la Constitution impose une réciprocité dans l’application, en ce que l’autre partie au traité ou à l’accord, applique effectivement ses obligations. Cette condition vise à préserver l’équilibre dans les relations internationales.
À ce titre, la jurisprudence administrative française a précisé que l’appréciation de cette réciprocité relève, non pas du juge administratif, mais du ministère des Affaires étrangères (Conseil d’État, ass du 9 avril 1999, n°180277 - Chevrol-Benkeddach c/ France).
Une hiérarchie des normes au service du droit international
La suprématie des traités et accords internationaux sur les lois nationales traduit la volonté du constituant de renforcer l’intégration de la France dans le système international, en positionnant les normes internationales, comme socle supérieur à celles internes.
L’article 55 de la Constitution et son application dans la jurisprudence française
Les juridictions françaises jouent un rôle essentiel dans l’application et la mise en œuvre de l’article 55 de la Constitution, à l’instar du Conseil Constitutionnel qui a pu préciser, dans une célèbre décision du 15 janvier 1975 (n°74-54 DC) que l’article 55 de la Constitution ne concerne pas le contrôle de constitutionnalité, mais s’applique dans un cadre législatif, et plus particulièrement, ne s’aurait d’exercer dans le cadre de l’examen prévu à l’article 61 de la Constitution.
Précurseuse, la Cour de cassation dans un arrêt du 24 mai 1975 (chambre mixte n°73-13.556, Société des cafés Jacques Vabre), consacre la primauté de l’ordre juridique communautaire, sur les lois nationales antérieures et postérieures.
Du côté du Conseil d’État, cette juridiction a eu l’occasion de renforcer l’application de l’article 55 de la Constitution, notamment dans l’arrêt Nicolo (Conseil d’État, ass du 20 octobre 1989), puisqu’abandonnant sa jurisprudence antérieure (jurisprudence des semoules) et suivant celle de la Cour de cassation précitée, le Conseil d’État accepte d’examiner la compatibilité d’une loi nationale et d’un traité international, et consacre la primauté des traités sur les lois postérieures.
Toutefois, malgré son apparente clarté, l’article 55 de la Constitution connaît également des limites, en ce que la condition de réciprocité a parfois pu être interprétée de manière restrictive, ce qui peut entraver l’application uniforme de certains accords internationaux, en particulier dans des situations ou la réciprocité est difficile à prouver ou établir juridiquement.
D’autre part, certains traités, bien que ratifiés, peuvent entrer en conflit avec des principes constitutionnels fondamentaux, à l’instar de la controverse concernant la Charte européenne des langues régionales et minoritaires.
L’article 55 de la Constitution et des enjeux contemporains
De nos jours, l’article 55 de la Constitution est particulièrement crucial dans le contexte européen et constitue un levier pour l’intégration européenne.
Avec l’expansion du droit de l’Union européenne, les juges français doivent régulièrement concilier l’article 55 de la Constitution avec les exigences croissantes du droit communautaire, puisque la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) affirme la primauté du droit européen (15 juillet 1964, affaire 6-64, Costa c/ ENEL), les juridictions internes ont dû ajuster leur pratique, et l’arrêt Nicolo précité illustre parfaitement cette adaptation, dont la jurisprudence a pu être étendue en intégrant, le droit communautaire dérivé, comme les directives européennes, dans l’ordre interne (Conseil d'État, ass 28/02/1992, n°56776 et 56777).
Par ailleurs, en consacrant la primauté des traités et accords internationaux, l’article 55 de la Constitution contribue à renforcer la position de la France sur la scène internationale et dans ses relations avec les autres pays. Ce cadre juridique contribue à l’image d’un État engagé dans le respect du droit international et des normes communes, même si cet aspect peut être source de critiques, en ce que certains voient dans cette primauté une atteinte à la souveraineté législative, couplé au fait qu’à l’échelle internationale, le respect des engagements par les autres parties prenantes n’est pas toujours garanti, asymétrie qui peut affaiblir la portée normative des traités.
Pourtant, à l’heure où de nouvelles problématiques globales et complexes émergent, notamment en matière de défis environnementaux, de flux migratoires ou d’évolutions numériques, l’article 55 de la Constitution doit être envisagé comme une norme vivante, permettant une meilleure articulation du droit interne avec les enjeux contemporains et les standards internationaux.
Références :
- « Lire l'article 55 : Comment comprendre un texte établissant une hiérarchie des normes comme étant lui-même le texte d'une norme ? », Olivier CAYLA - Cahiers du Conseil constitutionnel n° 7 (Dossier : La hiérarchie des normes) - décembre 1999
- Conseil d’État, Avis consultatif sur la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, 31 juillet 2015
- Constitution française du 4 octobre 1958.
- CE, Ass., Nicolo, 20 octobre 1989.
- Cass., Ch. mixte, Société des cafés Jacques Vabre, 24 mai 1975.
- Conseil constitutionnel, décision n°74-54 DC, IVG, 15 janvier 1975.
- CE, Ass., Chevrol-Benkeddach c/ France, 9 avril 1999.
- CJUE, Costa c/ ENEL, 15 juillet 1964.