Les pouvoirs exceptionnels du Chef de l’Etat sous la Ve République

Parmi les différents pouvoirs attribués au Chef de l’Etat par le pouvoir constituant de 1958 se retrouvent les célèbres pouvoirs exceptionnels découlant des dispositions de l’article 16 du texte constitutionnel suprême. Ces pouvoirs ont été prévus puis mis en place du fait de ce que l’on appelle la mémoire constitutionnelle, et qui renvoie plus précisément à la crise de 1940 qui, du fait de ses circonstances propres, empêchait l’Etat français d’avoir « un fonctionnement régulier des pouvoirs » d’après Charles de Gaulle. 

Il nous faut bien garder à l’esprit que dès l’instant où le Chef de l’Etat entend recourir aux dispositions de cet article 16 de la Constitution, il détient par voie de conséquences des pouvoirs remarquables et étendus dans leur sens, leur force et leur portée juridiques et constitutionnels. Le pendant de ce constat réside, néanmoins, dans le fait que l’application de ces mêmes dispositions ne saurait s’exercer indéfiniment. Se pose régulièrement la question de savoir si un contrôle peut ou pas être effectué à l’égard de l’usage de ces dispositions et nous pouvons répondre par l’affirmative. 



Le recours à l’article 16 de la Constitution : une compétence exclusive

Il convient de débuter notre développement par le constat suivant : seul le Chef de l’Etat est en mesure de recourir à ces dispositions. Cette décision relève donc de lui seul, et il n’est aucunement nécessaire pour ce dernier d’obtenir un quelconque contreseing, aussi bien du Premier ministre que des ministres. A cela, il convient tout de même de noter que les conditions à la fois de fond et de forme, découlant exactement de ces mêmes dispositions constitutionnelles, font que ce recours est, comme les pouvoirs qui en résultent, exclusivement exceptionnel. 

Se pose donc la question de savoir en quoi consistent ces conditions de fond, de forme ? Au titre des conditions de fond découlant de ces dispositions, il faut retenir qu’il doit exister une menace à la fois grave et immédiate à l’encontre des institutions de la République, mais aussi à l’encontre de l’indépendance de la Nation, ou encore de l’intégrité du territoire national ou de l’exécution des engagements internationaux pris par la République. L’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels doit également être rencontrée. 

Maintenant, au titre des conditions de formes, imposées par l’article 16, il convient de noter que le Chef de l’Etat doit nécessairement consulter de manière officielle le Conseil constitutionnel, mais également le Premier ministre, et les Présidents des deux assemblées formant le Parlement, ainsi qu’en informer la Nation toute entière par un message allant en ce sens. 

Les pouvoirs exceptionnels : jusqu’où s’étendent-ils ?

L’application de ces dispositions impliquent que le Chef de l’Etat prenne l’ensemble des mesures que les circonstances imposent et ce, même si le principe de séparation des pouvoirs est bafoué. Il est ainsi autorisé à exercer des compétences qui, en temps normal, ne seraient pas les siennes, à l’image des compétences du Parlement, voire encore d’exercer le pouvoir réglementaire et ce, en se passant du contreseing ministériel.  

Cependant, il convient de noter ici que bien que ces pouvoirs soient exceptionnels, il n’en reste pas moins qu’ils ne sont pas illimités. Pour preuve, relevons que ces mesures prises par le Chef de l’Etat, après consultation du Conseil constitutionnel, ont pour dessein de permettre aux différents pouvoirs publics constitutionnels d’exécuter et réaliser leur mission. Il n’est pas possible pour lui de décider d’une quelconque dissolution de l’Assemblée nationale, de même qu’il ne lui est pas possible d’empêcher les parlementaires de se réunir. De même, il ne lui est pas possible de réviser la Constitution. 

Combien de temps ces pouvoirs peuvent-ils être exercés ?

Depuis la réforme de la Constitution intervenue le 23 juillet 2008, il est maintenant prévu par cet article 16 qu’il revient au Conseil constitutionnel de veiller à la nécessité de maintenir en application ces pouvoirs. Sous ce rapport, il existe deux contrôles : d’abord le contrôle dit facultatif s’il est saisi, à compter de 30 jours d’application, par les présidents des chambres formant le Parlement, ou bien par un groupe de 60 députés ou 60 sénateurs, dans le but de vérifier que les conditions constitutionnelles d’utilisation de ces pouvoirs exceptionnels sont toujours rencontrées. Un avis public doit, par ailleurs, être rendu par lui. Ensuite, le contrôle dit de plein droit, à compter de 60 jours d’utilisation de ces pouvoirs, et à chaque instant au-delà de ce délai, il revient au Conseil constitutionnel de procéder à cet examen. Un avis public doit, par ailleurs, être rendu par lui. 



Quid enfin du contrôle de ces pouvoirs exceptionnels ?

L’on voit bien qu’il existe un contrôle juridictionnel dont le Conseil constitutionnel est par ailleurs seul habilité à y procéder. Il conviendra toutefois de bien garder à l’esprit qu’un contrôle politique peut aussi être exercé. 

Lorsque le Chef de l’Etat prend la décision de mettre en mouvement la procédure de l’article 16 du texte constitutionnel suprême, cette décision revêt la nature d’un acte de gouvernement, c’est-à-dire qu’il s’agit ici d’un acte qui n’est pas contrôlé par le juge administratif (cf. en ce sens, l’arrêt du CE, 02/03/1962, Rubin de Servens). Il convient de noter que les décisions prises par le Chef de l’Etat, pour le cas où elles interviennent dans le domaine du règlement (c’est-à-dire des dispositions de l’article 37 de la Constitution), et sur le fondement de cet article 16, peuvent faire l’objet d’un contrôle par les juridictions administratives (cf. par exemple, CE, 23/10/1964, d’Oriano).

Finalement, l’on peut relever les règles découlant des dispositions de l’article 68 du texte constitutionnel qui prévoit que la Haute Cour pourrait tout à fait destituer le Chef de l’Etat s’il manque à ses devoirs et ce, de manière manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. 

Références

https://www.lessurligneurs.eu/larticle-16-de-la-constitution-les-pleins-pouvoirs-au-president/

https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241008

https://www.village-justice.com/articles/questions-autour-article-constitution,50116.html

https://www.vie-publique.fr/fiches/273931-les-pouvoirs-exceptionnels-definis-par-larticle-16-de-la-constitution