Propos introductifs et faits de l’espèce
Cette décision, publiée au bulletin, est fondamentale lorsqu’il s’agit d’étudier les conflits de normes, et plus précisément les conflits pouvant apparaitre entre une norme interne et une norme issue du droit européen. Celle-ci fut rendue dans la continuité de la décision rendue par le Conseil constitutionnel, le 15 janvier 1975, IVG (n° 74-54 DC) : dans cette décision, le juge constitutionnel se refusait à effectuer un quelconque contrôle de conventionnalité d’une loi, et donc de contrôler la conformité d’une loi à un traité international. La décision rendue par la Chambre mixte de la Cour de cassation permet ainsi de mettre un terme à la supériorité de la loi par rapport aux traités internationaux et permit in fine de consacrer la compétence du juge judiciaire afin d’assurer, en droit national, un contrôle de conventionnalité d’une loi.
Il ressort des faits de l’espèce ici jugé et rapporté par la Cour de cassation qu’en 1967, deux sociétés, dont la société Jacques Vabre, importent du café soluble depuis les Pays-Bas. Toutefois et conformément aux dispositions du Code des douanes français, ces sociétés sont contraintes de s’acquitter d’une taxe supplémentaire, dans le cadre de l’importation de telles marchandises (à savoir : la taxation intérieure de consommation). Cependant, pour ne pas s’acquitter de cette taxation, les deux sociétés arguent que la taxe en cause a pour résultat de créer une altération de la concurrence vis-à-vis des producteurs français. Pour elles encore, la taxation serait bel et bien contraire aux dispositions conventionnelles contenues au sein du Traité de Rome de 1967, traité qui, entre autres, prévoit expressément la libre circulation des marchandises au sein des Etats membres de la Communauté économique européenne. Cette taxe sera donc contestée auprès des juridictions françaises, et finalement, parviendront à emporter la conviction des juges d’appel. Selon eux, la taxe est illégale. Néanmoins, l’administration des douanes décida de se pourvoir en cassation.
La primauté du droit européen consacré par la Chambre mixte de la Cour de cassation
Suite à la saisine de la Cour de cassation par l’administration des douanes, la Chambre mixte eut à connaitre de la bien épineuse question de savoir dans quelles mesures est-il possible pour le juge judiciaire français de procéder à un contrôle de conventionnalité (de conformité) d’une loi française par rapport à un traité international et plus spécifiquement par rapport à un traité européen ?
Cette question fut déjà posée à la Cour de cassation, et, jusqu’à cette date, jusqu’à cette décision, les juges de la Cour régulatrice avaient toujours décidé de refuser la compétence du juge judiciaire français dans le cadre du contrôle de la conformité d’une loi interne vis-à-vis d’un traité international. Qu’à cela ne tienne, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence et cette décision constitue alors une avancée remarquable.
En effet, la lecture de cette décision nous renseigne sur la nature même de l’ordre juridique européen qui, en effet, pour la Cour de cassation, constitue « un ordre juridique propre intégré à celui des Etats membres (…) directement applicable », cet ordre juridique propre y ayant été intégré grâce au Traité de Rome. Il faut comprendre de ces quelques mots d’une importance inouïe que le droit européen prime sur le droit interne français. Partant, il est décidé par la Cour de cassation que la taxe en cause doit être annulée, et principalement, la Cour de cassation entérine le contrôle de conventionnalité qui a été effectivement opéré par les juges d’appel dans notre cas d’espèce.
Quelle est finalement la portée de cette décision ?
La portée juridique de cette décision est grande en ce qu’elle permet en fin de compte d’acter de manière officielle la primauté du droit de l’Union européenne sur le droit interne français. Cette décision est aussi l’occasion pour la Cour de cassation d’enterrer définitivement la jurisprudence en vigueur jusqu’alors, à savoir : la doctrine Matter, afin d’aligner sa jurisprudence sur celle de la Cour de justice des Communautés européennes, et sa non moins célèbre décision Costa c/ ENEL du 15 juillet 1964 (aff. 6/64). Cette décision de la Cour de cassation permet également d’appliquer pleinement et entièrement le droit européen sur le territoire national.
Cet arrêt donne compétence au juge judiciaire français afin de procéder au contrôle de conventionnalité, et donc de conformité, des lois internes par rapport aux traités internationaux, et donc de possiblement procéder à la mise à l’écart du loi interne contraire au droit européen.
Cette même position sera adoptée bien plus tard par le Conseil d’Etat à l’occasion de la décision Nicolo, rendue le 20 octobre 1989.
L’arrêt Société des Cafés Jacques Vabre du 24 mai 1975 constitue une avancée majeure dans l’intégration du droit européen dans l’ordonnancement juridique interne et a finalement permis de lui accorder une place importante.
Références
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000006994625/
https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/Media/files/autour-de-la-loi/guide-de-legistique/2024_02_07_fiche_1.3.1_differentes_normes.pdf
https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwj5h5jJ9NuJAxUdRaQEHWRSOlg4ChAWegQIFRAB&url=https%3A%2F%2Fjurisprudence.lefebvre-dalloz.fr%2Fjurisprudence%2Fjacques-vabre&usg=AOvVaw1deurpCINz12MDDspDUkvX&opi=89978449
https://www.vie-publique.fr/infographie/38756-infographie-la-hierarchie-des-normes-de-lunion-europeenne