En l'espèce, une institutrice est sanctionnée en raison de sa fréquentation d'un groupement de type confessionnel sur ses heures de loisir par une décision de l'inspecteur d'académie de Seine-et-Oise, en date du 2 avril 1948 qui met fin à ses fonctions de suppléante et l'empêchant d'être inscrite sur la liste d'admissibles à la titularisation.
La requérante a formé contre la décision de l'inspecteur d'académie la sanctionnant, un recours gracieux à la date du 11 mai 1948 puis forme un recours auprès du Conseil d'État le 15 juillet 1948.
Le ministère de l'Éducation nationale estime que le délai du recours de deux mois était atteint et qu'il y a lieu de constater la fin de non-recevoir du recours de la requérante et donc qu'il n'y a pas lieu à examiner le bien-fondé de la requête.
La demande de la requérante est-elle recevable et bien-fondée ?
Le Conseil d'État fait droit à la demande de l'institutrice en estimant d'une part qu'elle est bien recevable et estimant d'autre part que la sanction contre laquelle elle agissait était bien illégale.
La question de la recevabilité du recours administratif n'étant pas le point fondamental de cet arrêt, il convient d'étudier quelle est la place de la laïcité au sein des principes du droit administratif. La laïcité a été affirmée très tôt comme un principe général du droit administratif de manière absolue et quasiment illimitée (I), mais le Conseil d'État a dû établir une frontière entre la laïcité et la liberté de culte des fonctionnaires (II).
I. La réaffirmation du principe de laïcité en droit administratif
II. L'instauration d'une limite au principe de la laïcité
I. La réaffirmation du principe de laïcité en droit administratif
Le Conseil d'État dans cet arrêt confirme sa jurisprudence mettant en avant l'exigence d'une neutralité des agents administratifs particulière en matière religieuse (A), mais cette exigence est beaucoup plus stricte dans le domaine de l'enseignement (B).
A. La confirmation du principe de la laïcité
En effet, depuis la loi de 1905 sur la séparation de l'Etat et l'Église, la laïcité est devenue un principe fondamental de la démocratie française. Dans cet objectif de laïcité, le Conseil d'État a rendu de nombreuses décisions allant dans le sens d'une neutralité religieuse. Ainsi, dans un arrêt Abbé Bouteyre, le Conseil d'État a considéré qu'était légale l'interdiction de passer l'agrégation de philosophie pour un ecclésiastique et même si cette jurisprudence a pu faire l'objet de revirements, des dizaines d'arrêts vont dans le sens de l'affirmation et du respect de la laïcité.
Ici, la sanction prise par l'inspecteur d'académie avait pour objectif d'assurer la laïcité dans l'enseignement afin de permettre une éducation neutre des élèves.
B. Une décision administrative discutable
La sanction administrative paraît aujourd'hui incontestablement illégale puisqu'elle est disproportionnée par rapport à son objectif de faire respecter la laïcité. Mais le contrôle de proportionnalité n'était pas encore un outil du Conseil d'État en 1950. Cependant, la pratique religieuse de l'institutrice s'inscrivait dans le cadre de ses loisirs donc de sa vie privée donc la sanction de l'inspecteur d'académie empiète sur le respect de la vie privée et la liberté de culte ce qui justifie son annulation par le Conseil d'État.
II. L'instauration d'une limite au principe de la laïcité
Le Conseil d'État dans son contrôle de légalité doit prendre en compte d'autres principes aussi importants de sorte à les concilier (A), mais cette évolution se fait ensuite sous l'égide de la CEDH (B).
A. Le respect de la liberté de culte des fonctionnaires
Le Conseil d'État déclare la sanction de l'inspecteur du travail entaché d'excès de pouvoir du fait qu'il n'était pas caractérisé que l'institutrice avait pratiqué ses croyances dans le cadre de ses fonctions et que la stricte neutralité des agents du service public s'applique dans le cadre de leurs fonctions et ne peut en aucun cas concerner leur vie privée. Cette solution comme nous l'avons vu prend en compte le principe de la liberté de culte, mais uniquement dans sa dimension de la pratique. En effet, la liberté de culte comprend deux volets : la liberté de pratique religieuse et la liberté d'expression de ses convictions. Ainsi les fonctionnaires ont la liberté de pratiquer le culte qu'il souhaite, mais ils ne peuvent pas l'exprimer dans le cadre de leurs fonctions. Cette liberté de culte se décline également en une protection pour les fonctionnaires contre les discriminations, en effet dans son avis Mlle Marteaux du 30 mai 2000, le Conseil d'État interdit toute discrimination fondée sur la religion dans l'accès aux fonctions et le déroulement de carrière.
Ainsi, bien qu'assujettis à un strict devoir de neutralité, les fonctionnaires sont aussi protégés par la jurisprudence du Conseil d'État.
B. Le contrôle de proportionnalité initié par la CEDH
Cette solution est le point de départ d'une jurisprudence dense au sujet du contrôle de proportionnalité. En effet, sous l'influence de la CEDH, le Conseil d'État va prendre l'habitude de mettre en balance les différents intérêts présents dans les conflits qui lui sont présentés. En effet, la convention de sauvegarde des droits de l'homme prévoit la restriction de certaines libertés au profit d'autres libertés dans les paragraphes 2 de ses articles 8 à 11. Ce contrôle de proportionnalité va être consacré par le Conseil d'État dans son arrêt Benjamin de 1933 même si son application reste discrète dans cet arrêt de 1950, il n'en est pas moins que la proportionnalité a vocation à s'imposer en droit administratif.