Propos introductifs

Pour bien comprendre les enjeux de cette décision du Conseil d'État du 22 décembre 1978, il est important de procéder à quelques rappels. Ainsi, le Conseil constitutionnel s'est reconnu incompétent pour contrôler la conventionnalité des lois : de fait, il est revenu au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation d'y procéder.

Ce contrôle s'est considérablement développé avec l'intégration du droit de l'Union européenne en droit français.

Normativement, de quoi se compose le droit de l'Union européenne ?

Le droit de l'Union européenne se compose du droit originaire, tel qu'il ressort des dispositions des traités. Celui-ci produit d'autres actes faisant partie du droit dérivé, dont il revient aux institutions européennes de les appliquer. Le droit dérivé comprend les règlements et les directives au sens des dispositions de l'article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

Ce qui nous intéresse dans l'exposé de cette décision est la directive. Mais qu'est-ce au juste qu'une directive ? Cet acte fixe une obligation de résultat en laissant cependant les moyens pour les États membres de l'Union de le mettre en oeuvre. Il s'agit de la transposition des directives, transposition qui relève de la loi dans le domaine de la loi et du règlement dans le domaine du règlement. La transposition est d'ailleurs au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel une exigence constitutionnelle.

Hiérarchiquement, les traités européens ont une valeur supérieure à la loi. Par conséquent, les actes qui en découlent doivent eux aussi disposer de cette supériorité hiérarchique. L'arrêt Boisdet du Conseil d'État du 24 septembre 1990 a reconnu la supériorité des règlements européens sur les règlements français et les lois françaises. La reconnaissance de cette supériorité n'a pas tellement posé de problèmes les concernant ; toutefois, tel n'est pas le cas concernant les directives européennes plus précisément concernant les lois (Arizona Tobacco Products du Conseil d'État du 28 février 1992) et les règlements internes (français) (Alitalia du Conseil d'État du 3 février 1989) et les actes administratifs individuels.

Ce sont ces actes administratifs individuels qui intéressent le développement de l'arrêt Cohn-Bendit du Conseil d'État...

Mais qu'est-ce qu'un acte administratif individuel ? Il s'agit d'un acte pris par une personne publique n'ayant pas de portée générale et impersonnelle dans la mesure où celui-ci concerne une personne désignée.

Ces jurisprudences ont participé à la plénitude du droit européen dans l'ordre juridique interne français.


Quels sont les faits de l'espèce ?

Daniel Cohn-Bendit a fait l'objet d'une mesure d'expulsion et la conteste. Il demandera au ministre de l'Intérieur d'abroger l'arrêté, mais il se verra opposer un refus. M. Cohn-Bendit a fait valoir que le refus était contraire à une directive européenne de 1964 prise par le Conseil des Communautés européennes.

Le Conseil d'État considérera que les directives ne sauraient être invoquées par les ressortissants des États membres à l'encontre d'un acte administratif individuel en ce que les directives ne s'imposent qu'aux États membres pour les moyens.


La décision du Conseil d'État

Pour le Conseil d'État :

- Les directives ne peuvent pas être invoquées directement à l'appui d'un acte administratif individuel, et ce, même si le délai de transposition de la directive est dépassé même si la transposition n'est pas effectivement assurée par l'État membre ;

- Or en absence de transposition de la directive dans le délai effectivement imparti aux États membres pour ce faire, il est possible pour les requérants d'exciper de l'incompatibilité du droit interne avec les objectifs fixés par la directive dès lors qu'une décision aurait été prise sur le fondement du droit interne.

Ici, le Conseil d'État adopte une autre position jurisprudentielle que celle de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) en date du 4 décembre 1974, Van Duyn, dans laquelle celle-ci considéra que les directives qui n'ont pas fait l'objet d'une transposition sont directement invocables par les justiciables à l'appui d'un recours porté à l'encontre d'une décision individuelle.

Toutefois, force est de constater que cette fracture en matière de jurisprudence s'estompera sans pour autant constituer une parfaite adéquation prétorienne. En effet, lors de l'arrêt Ratti de la CJCE, la Cour précisera que l'effet direct ne peut être que de nature ascendante et donc les directives ne peuvent être invoquées par un particulier qu'à l'encontre d'un État pour le cas où celui-ci n'aura pas transposé dans le délai imparti et pour le faire sanctionner.

L'arrêt Cohn-Bendit du 22 décembre 1978 est insoutenable dans la mesure où un particulier ne peut se prévaloir d'une telle directive, et donc, le Conseil changera sa jurisprudence dans la décision Perreux du 30 octobre 2009 dans lequel celui-ci considérera qu'un individu peut se prévaloir d'une directive européenne contre un acte individuel.


En bref, que retenir de cette décision ?

C'est dans cette décision que le juge administratif suprême a participé à une certaine fixation de sa jurisprudence en matière d'applicabilité des directives.

Si les directives n'ont pas d'effet direct et de ce fait, elles ne peuvent être invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir qui serait dirigé contre une décision individuelle (acte administratif individuel), et ce, même pour le cas où le délai qui est effectivement octroyé aux États membres pour transposer l'acte européen en question, il n'en reste pas moins qu'il est possible pour le requérant de soulever l'incompatibilité du droit interne qui a expressément servi de base juridique concernant la décision contestée au regard des objectifs contenus dans la directive concernée.


Sources : Conseil d'État, Courrier des maires
https://actu.dalloz-etudiant.fr/fileadmin/actualites/pdfs/Cohn-Bendit.pdf


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