En l'espèce, un employé de bureau à la chefferie de Grenoble était placé en Tunisie, celui-ci avait tenu des propos jugés critiques à la politique du gouvernement en place en participant à une campagne électorale. Ce dernier se voit le 7 avril 1935 déplacé d'office. En effet, le ministre de la Guerre a prononcé son déplacement de la chefferie du génie de Tunis à celle de Grenoble.
Ainsi, il forme une requête enregistrée au Secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 8 juin 1934 demandant l'annulation de la décision du déplacement. Celui-ci affirme que le déplacement d'office ne peut être prononcé que pour sanctionner des fautes commises dans le service (selon l'article 7 du décret-loi du 28 avril 1933) et qu'en l'espèce, il ne possède que des notes professionnelles, extrêmement élogieuses et n'a jamais fait l'objet d'observation, de blâme à l'occasion de l'exercice de ses fonctions. Il continue en affirmant que c'est à tort que la sanction de le déplacer a été prise, en dehors de toute raison de l'activité syndicaliste.

Le ministre de la Guerre face à ce pourvoi rejette la requête en affirmant que le déplacement infligé est à titre disciplinaire après communication régulière du dossier et surtout qu'elle a été motivée par des faits reprochés au requérant, et ces faits relèveraient de l'appréciation discriminatoire de l'autorité disciplinaire.

D'où le problème de droit suivant : le fait qu'un officier exprime son opinion politique peut-il constituer une faute disciplinaire et peut-il résulter en un déplacement d'office ?

Ce questionnement a une très grande importance. D'un point de vue théorique, ce serait discuter de la place des libertés fondamentales au sein de la fonction publique, libertés et droits universels. D'un point de vue pratique se serait limiter clairement le rôle des fonctionnaires : que peuvent-ils dire, quand et où ?

Le Conseil d'Etat face à problème de droit et ses enjeux, sous le visa de la loi des 7-14 octobre 1790, la loi du 24 mai 1872, le décret du 29 avril 1933 considère que l'officier avait commis des manquements à la réserve qui lui étaient imposés par la situation où il se trouvait à Tunis. Ceci motiverait la sanction disciplinaire. De plus, le fait d'avoir bien communiqué le dossier, on ne pouvait reprocher à la décision de s'inscrire dans l'excès de pouvoir. Ainsi, le Conseil rejette la requête de l'officier.

I. L'obligation de réserve, une obligation prétorienne

Dans un premier temps, nous étudierons les contours de cette obligation de réserve consacrée par l'arrêt (A) pour ensuite se pencher sur les conséquences du manquement à cette obligation (B).

A. Obligation consacrée par l'arrêt Bouzanquet
L'arrêt Bouzanquet, fut le premier arrêt à consacrer l'obligation de réserve. Obligation qui fut confirmée par la suite par plusieurs arrêts, dont l'arrêt Tessier du 13 mars 1953. Cette obligation ne fut pas reprise par le statut général des fonctionnaires de 1980 ni par la loi n 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. En l'espèce, le Conseil d'Etat admet une violation de cette obligation lorsqu'un officier tient des propos exprimant son opinion politique et qui pourraient nuire à l'administration à laquelle il appartient. Le fait qu'un officier exprime son opinion politique peut-il constituer une faute disciplinaire et peut-il résulter en un déplacement d'office ? Cela répond également à l'impératif de neutralité de l'administration.
Ainsi, il est interdit aux fonctionnaires d'évoquer leur opinion. Il est à noter que cette obligation est indépendante du devoir de réserve préélectorale.

B. Les conséquences du manquement à cette obligation
En l'espèce, la sanction de l'obligation de réserve a été le déplacement d'office. En principe, le non-respect de cette obligation constitue une faute disciplinaire. C'est l'autorité hiérarchique compétente qui peut apprécier au cas par cas cette violation de l'obligation. Il est à noter que ces manquements peuvent avoir des effets quant à l'admission à concourir pour des postes de fonction publique. Affirmation à relativiser (CE, Ass., 28 mai 1954, Barel).

II. Une obligation critiquable en soi

Nous étudierons dans un premier temps la menace de la casuistique que contient cette obligation (A) pour ensuite exposer la jurisprudence actuelle en la matière (B).

A. La casuistique : menace aux libertés et à l'égalité
Ainsi, il est interdit aux fonctionnaires d'évoquer leur opinion. Mais l'appréciation dépend de plusieurs facteurs : la position hiérarchique et la place de l'agent, l'investissement de dernier dans un syndicat et l'agent se réclamant lanceur d'alerte. De plus, la forme de l'expression serait un facteur d'appréciation. On retrouve une instabilité flagrante dans l'appréciation de ce manquement, ce qui pourrait jouer en faveur de l'administration, mais qui menacerait les libertés de l'agent. Face à cette critique, le juge administratif tente de se positionner comme protecteur de la liberté d'opinion à travers plusieurs arrêts dont : CE, Ass., 28 avril 1978, Dame Weisgal.

B. Une jurisprudence évolutive palliant la faille de l'obligation de réserve
Dans l'arrêt du CE du 12 janvier 2011, on remarque une sorte d'assouplissement des sanctions du manquement à cette obligation qui pourrait paraître casuistique. Dans l'arrêt présenté à l'étude, on peut y lire que le manquement relève de « l'appréciation discriminatoire de l'autorité disciplinaire » et est contrôlé par le juge administratif. Pourtant malgré cet assouplissement, l'obligation gagne du terrain, en effet selon le C.E 29 juin 2018, l'anonymat n'exonérerait pas l'obligation de réserve. De plus, les fonctionnaires en poste à l'étranger se voient opposer une obligation de réserve renforcée (CE, 19 juillet 2016). Ainsi, quelle serait la place de cette obligation face à un monde en mouvement et face à l'accroissement du numérique ?