Le problème de droit

La question qui a pu se poser dans le cadre de cet arrêt du 2 mars 1962 était celle de savoir quelle est la valeur accordée aux décisions prises par le président de la République lorsque ce dernier décide d'appliquer l'article 16 de la Constitution.


L'arrêt

Cet arrêt fait suite à une tentative de putsch à Alger. Le président de la République, Charles de Gaulle a décidé tout d'abord de mettre en application l'article 16 susmentionné ainsi que la création d'un tribunal militaire afin de lui permettre de juger des militaires ayant participé au putsch. Le sieur Rubin de Servens ayant été condamné par ce tribunal, celui-ci a demandé à la Haute juridiction d'annuler pour excès de pouvoir la décision prise par le président de la République d'instituer ledit tribunal ainsi que soit ordonné le sursis à son exécution.

Or les juges du Conseil d'État ont considéré que l'administration ne pouvait connaître un tel contrôle et a par conséquent refusé de se prononcer sur la légalité de la décision prise par le Chef de l'État.


Que retenir précisément de cette décision du Conseil d'État ?

Le juge administratif a considéré que la décision de mettre en application l'article 16 de la Constitution constitue un acte de gouvernement insusceptible de recours.

Mais qu'est-ce alors qu'un acte de gouvernement ? Celui-ci constitue un acte qui se situe hors de la hiérarchie des normes. Cet acte concerne précisément l'exercice du pouvoir exécutif dans sa fonction gouvernementale. En fait, l'acte ne concerne pas la fonction administrative du pouvoir exécutif : l'acte de gouvernement n'est alors pas susceptible de recours.

L'arrêt Rubin de Servens est un arrêt de principe en ce qu'il est précis sur la nature juridique de la décision initiale de mise en oeuvre de l'article 16 de la Constitution ainsi que celle des mesures qui sont prises en application de cet article.

En effet, ces derniers sont des actes législatifs et ainsi, il n'appartient pas au juge administratif d'en connaître puisque ces actes interviennent dans le cadre de l'article 34 de la même Constitution prévoyant le domaine de la loi. Si la mesure était entrée dans le champ de compétence du réglementaire et donc de l'article 37 de la Constitution, alors le juge administratif aurait été en mesure d'en connaître.

Il n'y a alors pas de recours possible contre la décision de mettre en application l'article 16... Il s'agirait d'une sorte de zone de non-droit. Cependant, il apparaît opportun de rappeler que cet article n'a été mis en oeuvre qu'une seule fois depuis l'entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958. En outre, est intervenue le 23 juillet 2008 une révision de la Constitution qui a prévu la création d'un contrôle démocratique sur la durée d'application dudit article. Un certain contrôle est ainsi instauré et au-delà d'une durée de trente jours d'application, le Conseil constitutionnel pourra se prononcer, lorsqu'il aura été saisi par l'un des présidents des deux chambres constituant le Parlement français, le président de l'Assemblée nationale ou le président du Sénat, ou par un groupe de soixante députés ou soixante sénateurs, sur le fait que les conditions d'application sont encore ou non réunies, et ce, plus précisément par un avis public.

Aussi, le Conseil constitutionnel se prononcera de plein droit à l'issue d'un délai de soixante jours d'application de cet article et à tout moment après ce délai.

Cette révision a eu pour effet de limiter les mesures liberticides et autres mesures contrariant les garanties fondamentales des citoyens français.


Sources : Légifrance, Vie publique


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