En l'espèce, une personne a été inculpée pour avoir pris part à une vente de drogue en décembre 2008. Cependant, il n'a été jugé qu'en février 2013, soit après 49 mois entre le dépôt des accusations et la déclaration de culpabilité. Face à un tel délai pour obtenir son jugement, il a interjeté appel devant la cour d'appel sur le fondement de l'article 11b de la Charte des droits et libertés. Il dispose que « Tout inculpé a le droit d'être jugé dans un délai raisonnable ».
Cette Charte est de valeur constitutionnelle. Cependant, la « culture des délais » pratiquée jusqu'alors a rendu impossible pour de nombreuses affaires de soutenir ce délai raisonnable. Les faits de l'arrêt Jordan en sont parfaitement explicites. Sur le fond, plus que la question de la culpabilité de l'accusé, il s'agissait de la question du droit processuel, son jugement a été beaucoup trop tardif.
La Cour suprême a dû s'interroger sur le fait de savoir si l'ancien système de délais allait à l'encontre de l'article 11b de la Charte des droits et libertés, soit à l'exigence d'un délai raisonnable pour être jugé.
La Cour a pris une position radicale en exprimant de nouveaux délais de jugement à partir de cet arrêt pour toutes nouvelles affaires : il y aura désormais une présomption de dépassement de délai raisonnable à partir du moment où le jugement a été rendu plus de 18 mois après la mise en accusation pour les cours provinciales et 30 mois pour la Cour suprême. Ce sera alors à la poursuite de démontrer le caractère raisonnable des délais.
La Cour a pu ainsi établir que l'ancien système ne produisait que des délais déraisonnables, au détriment des droits de l'accusé (I). La détermination de nouveaux délais était donc nécessaire, cependant cet arrêt s'applique de manière stratégique (II).
I. Des délais déraisonnables de jugement contre l'accusé = une violation de la Charte
II. Les conséquences des nouveaux délais et les mesures transitoires
I. Des délais déraisonnables de jugement contre l'accusé = une violation de la Charte
L'ancien système de délai avait été posé par l'arrêt Morin de 1992 (R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771). Il consistait en ce que le juge devait estimer si le délai de jugement était raisonnable en tenant compte du préjudice subi et de la gravité de l'infraction. Chaque cas d'espèce était alors soumis à une interprétation et une solution différente pour ce qui concerne le délai. De plus, c'était au détriment de la défense qui devait démontrer que les délais étaient trop longs et facilement imputables à la poursuite pour obtenir un arrêt des procédures.
Cette méthode est en théorie parfaitement applicable pour maintenir un délai raisonnable, pour des affaires simples et peu nombreuses. Mais ce n'est plus le cas quand les tribunaux sont débordés. En effet, il a été constaté qu'au Canada, les juges manquent, les affaires sont de plus en plus complexes et les preuves beaucoup plus importantes quantitativement.
Ces circonstances ont inévitablement mené à des délais plus longs. Mais cela va à l'encontre des droits fondamentaux de l'accusé d'être jugé dans un délai raisonnable. Selon la longueur de ce délai, cela peut revenir à un « déni de justice pour l'inculpé, les victimes, leurs familles et la population dans son ensemble » (arrêt Jordan). Ce qui est parfaitement explicable dans le fait que la lenteur et longueur pour obtenir un jugement reviendrait à ne pas en avoir pour les parties, ou alors bien trop tard.
La « culture des délais » a entraîné de nombreuses conséquences graves auxquelles l'arrêt Jordan a pu mettre fin. Il s'agissait notamment de l'incertitude d'être condamnés dans laquelle vivaient les accusés, ainsi que la complexification de la procédure. En effet, entre le jour de la mise en accusation et le jugement, les preuves par témoins deviennent incertaines, car le souvenir devient flou, si ce n'est pas le témoin qui décède entre temps.
Il a donc été nécessaire pour la Cour de mettre un terme à cette pratique par le revirement de jurisprudence qu'est l'arrêt Jordan.
II. Les conséquences des nouveaux délais et les mesures transitoires
La conséquence principale de la nouvelle présomption de délai déraisonnable si les 18 ou 30 mois ne sont pas respectés est l'accélération des procédures, au bénéfice de l'accusé. Celui-ci ne reste plus dans l'incertitude pendant une durée excessive, sauf à ce que la poursuite démontre que le délai était raisonnable en raison de la complexité de l'affaire. En tous les cas, la charge de la preuve est renversée. Chacun des intervenants devra collaborer pour l'accélération de la procédure et pour maintenir le délai raisonnable.
L'autre effet notoire de ce revirement de jurisprudence n'est pas l'abandon de toutes affaires en cours à la date de l'arrêt. La Cour a en effet posé des mesures transitoires. Ce nouveau système ne s'applique qu'aux nouvelles mises en accusation à partir de l'arrêt. Les affaires déjà en cours resteront sous l'empire de l'ancien système.
Cependant comme pour l'affaire Jordan, d'autres affaires où les délais ont été plus que déraisonnables ont dû se terminer par un arrêt des procédures. C'était par exemple le cas d'affaires comme celle de Sivaloganathan Thanabalasingham.
En conclusion ?
Cet arrêt quant au respect du délai raisonnable pour être jugé a été étendu à d'autres domaines que les infractions pénales. Il s'agissait pour la Cour de viser toutes les procédures impliquant la détermination d'une peine. Par exemple, elle a rendu un arrêt en ce sens dans l'affaire St-Amour c. Major, en 2017 (QCCS 2352) pour les outrages au tribunal en matière civile.
Sources : Arrêt St-Amour c. Major, Témoignages d'avocats pénalistes, Arrêt Jordan