En l'espèce, un homme marié a entretenu une relation adultère avec sa secrétaire. Dans son testament, il l'a nommée légataire universelle. À son décès le 15 janvier 1991, elle a demandé en justice la délivrance du legs. La veuve et l'enfant du testateur s'y sont opposés reconventionnellement. Elles ont invoqué comme moyen que le legs était contraire aux bonnes moeurs et était par conséquent nul de nullité absolue.
En première instance, les demanderesses ont vu leurs prétentions accordées. Un appel a été interjeté, mais la Cour a rendu un arrêt confirmatif en considérant que le maintien de relation adultère avait été la cause impulsive et déterminante de ce legs.
Un premier pouvoir a été formé devant la première chambre civile de la Cour de cassation, qui a rendu un arrêt le 25 janvier 2000. La Cour a censuré l'arrêt de la Cour d'appel avec renvoi, en posant le principe que « n'est pas contraire aux bonnes moeurs la cause de la libéralité dont l'auteur entend maintenir la relation adultère qu'il entretenait avec le bénéficiaire ».
L'affaire a été renvoyée devant la Cour d'appel de Paris, qui a rendu un arrêt le 9 janvier 2002. Elle a prononcé l'annulation du legs puisqu'il n'avait pour « vocation qu'à rémunérer les faveurs » du bénéficiaire.
Un nouveau pourvoi a été formé devant la Cour de cassation, mais cette fois-ci en Assemblée plénière.
Il lui était demandé si une libéralité consentie à l'occasion d'une relation adultère, même pour rémunérer des faveurs, avait une cause contraire aux bonnes moeurs et devait par ce fait être annulée.
La Cour a rendu l'arrêt « Galopin » en date du 29 octobre 2004. L'arrêt de la cour d'appel de renvoi a été censuré. Cet arrêt confirme la jurisprudence antérieure sur le principe que « n'est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes moeurs la libéralité consentie à l'occasion d'une relation adultère ».
Il est intéressant de noter que cet arrêt traduit une jurisprudence devenue constante de la Cour de cassation depuis 1999 (I) en traduisant une évolution des bonnes moeurs, dans une solution encore applicable aujourd'hui (II).
I. Une solution de jurisprudence constante depuis 1999
II. La traduction de l'évolution des moeurs de la société
I. Une solution de jurisprudence constante depuis 1999
Pendant longtemps et en suivant l'évolution de la société, il était accordé de l'importance au mobile de la libéralité, particulièrement en présence d'une relation adultère.
Les juges avaient un grand pouvoir en présence de telles libéralités. Souvent les décisions étaient prises selon la propre opinion personnelle du juge. Ce qui contrevient notamment à l'obligation d'impartialité à laquelle il est tenu, selon l'article 6 de la CEDH, relatif au procès équitable.
Il était fait une distinction entre les libéralités valables puisqu'elles étaient accordées en raison d'un « devoir de conscience » et les libéralités qui devaient être annulées puisqu'elles ne visaient que le maintien ou la reprise de relations adultères (Civ 1re, 4 avril 1982, Bulletin, I, n 319, p. 274). Mais comment juger du motif moral d'une libéralité ? Le risque d'un jugement arbitraire des magistrats était très grand en raison de tous les facteurs complexes à prendre en compte.
Un mobile n'est pas simple à dévoiler quand le disposant est déjà décédé, ce qui est souvent le cas dans ces litiges. Les juges doivent à la fois prendre en compte l'affection du disposant, son intérêt personnel et sa reconnaissance du bénéficiaire.
Cependant, les moeurs ont évolué et la jurisprudence aussi. L'arrêt Galopin présente une solution qui n'est pas nouvelle. En effet, depuis un revirement de la première Chambre civile le 3 février 1999 (Bulletin, I, n 43, p. 29), la solution s'est faite constante en établissant que quel que soit le mobile, même s'il s'agit de la rémunération de faveurs du bénéficiaire dans une relation adultère, une telle libéralité n'est pas nulle. Ainsi, elle n'est plus contraire aux bonnes moeurs évoquées dans les articles 1131 et 1133 anciens du Code civil.
Le droit suit l'évolution des sociétés et des moeurs qu'elle traduit. Cette jurisprudence en est une représentation dans le domaine des libéralités.
II. La traduction de l'évolution des moeurs de la société
Les moeurs ont évolué. L'arrêt Galopin en est une représentation. En effet, jusqu'en 2001 par la loi n 2001-1135, il était encore fait mention de l'enfant « adultérin » dans le Code civil. L'adultère lui-même n'a été dépénalisé qu'en 1975. Cet arrêt s'inscrit donc dans cette volonté de suivre les moeurs qui changent. Une relation adultère ne présente plus un caractère aussi grave qu'auparavant aux yeux du droit, malgré le fait que l'un des devoirs du mariage est la « fidélité » (article 212 Code civil).
L'arrêt Galopin s'inscrit dans ce mouvement dans le domaine des libéralités. En dehors de toutes considérations morales, il affirme qu'une libéralité librement consentie ne peut être nulle, même si elle vise à rémunérer le bénéficiaire de ses faveurs. Il n'y a plus de contrôle social de la part des magistrats. Il y a ici une véritable remise en question de la notion de cause illicite et morale, puisqu'elles n'importent plus pour la validité des libéralités.
La notion de « bonnes moeurs » a évolué par cette jurisprudence. Cependant, la Cour de cassation a tout de même fait face à la résistance de tribunaux qui continuaient à annuler de tels legs en faveur de la veuve et des enfants.
La notion de « cause » a quant à elle disparu du Code civil depuis l'ordonnance du 10 février 2016 relative au droit des contrats. Celle de « bonnes moeurs » a également disparu des anciens articles 1131 et 1133 anciens et nouvel article 1162 du Code civil, mais elle reste présente aux articles 900 et 6 du Code civil. La solution de l'arrêt Galopin face à cette réforme s'en trouve pourtant inchangé quand sont visés ces articles pour fonder un moyen.
En conclusion, l'arrêt Galopin est une jurisprudence devenue bien établie aujourd'hui. Il a traduit le contexte de l'évolution de la société française quant aux relations adultères dans le domaine des libéralités. Enfin, il n'est pas remis en cause par la réforme de 2016 sur le droit des contrats.
Sources : Légifrance, Dalloz, Cour de cassation