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- Solution de la Cour de cassation
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Il s'agit d'un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 22 février 1978 relatif à l'intégrité du consentement.
Les propriétaires d'un tableau l'ont vendu au musée du Louvre dans l'ignorance qu'il s'agissait d'une oeuvre originale d'un artiste renommé. Le Musée du Louvre, à la suite de travaux d'expertise, en est arrivé à la conclusion qu'il s'agissait bel et bien d'un original et l'a donc présenté comme tel. Les vendeurs, afin de faire annuler cette vente, agissent en nullité pour erreur sur la qualité substantielle de la chose vendue.
La Cour d'appel de Paris avait considéré qu'il n'était pas « prouvé que le tableau litigieux fut une oeuvre authentique » et que par conséquent leur demande en nullité pour erreur sur la qualité substantielle de la chose n'était pas recevable.
Est-il possible de se servir d'éléments d'appréciation postérieurs à une vente pour prouver l'existence d'une erreur de la part des vendeurs au moment de la vente ?
La Cour de cassation, dans son arrêt du 22 février 1978, considère que la réponse à cette question est positive puisqu'elle considère qu'il était nécessaire de rechercher si au moment de la vente le consentement des vendeurs n'avait pas été vicié par leur conviction erronée que le tableau ne pouvait pas être une oeuvre originale. Par conséquent, il est donc possible de prononcer la nullité d'une vente dès lors qu'il y a une discordance entre la réalité et la certitude des vendeurs.
Cette affaire a fait grand bruit à l'époque à laquelle elle a été rendue puisqu'elle a fait l'objet d'une saga jurisprudentielle. En effet, cette affaire a donné lieu à un second arrêt de la Cour de cassation du 13 décembre 1983. Nous allons donc à présent faire quelques commentaires sur cette affaire.
Il ressort des deux arrêts de la Cour de cassation que la discordance entre la réalité et la certitude des vendeurs suffit à admettre la nullité de la vente. En effet, les vendeurs avaient vendu le tableau avec la certitude qu'il n'était pas original puisque c'est ce que le commissaire-priseur chargé de la vente leur avait indiqué, or cette certitude s'est avérée, postérieurement, erronée. Ainsi, pour la Cour de cassation il peut y avoir une erreur dès lors que la conviction est erronée, c'est-à-dire que le doute n'empêche pas que l'on reconnaisse une erreur, car ce qui est erroné, c'est la certitude des vendeurs. L'erreur étant un vice du consentement, la vente peut donc être annulée et les parties remises dans la situation dans laquelle elles se trouvaient antérieurement à la vente. Ici en l'espèce, il s'agit d'une erreur sur la substance qui s'entend des qualités substantielles de la chose, c'est-à-dire subjectivement sur les qualités que les deux parties considèrent comme essentielles dans le contrat de vente puisque ce n'est pas la même chose de vendre une copie ou de vendre un original. En effet, si par principe l'erreur doit s'apprécier au jour de la formation du contrat, les juges ont accepté en l'espèce de retenir des éléments postérieurs à la conclusion du contrat de vente pour déterminer ou non s'il y avait erreur. Pourquoi ? Tout simplement parce que la Cour de cassation considère que l'erreur doit, certes, s'apprécier au jour de la formation du contrat, mais également s'apprécier au regard de la croyance légitime de la victime à ce moment-là. Un des domaines privilégiés du jeu de l'erreur sur la substance est justement le domaine de la vente des oeuvres d'art puisque dans ce domaine la réalité que présente la chose, c'est-à-dire la certitude ou non qu'il s'agit d'un original, peut avoir été déterminée avec certitude par des éléments ultérieurs.
Depuis cette affaire dite du « Poussin » si au moment de la vente le vendeur est persuadé qu'il vend un tableau qui n'est pas un original et que finalement, ultérieurement à cette vente, après des travaux d'expertises réalisés par l'acquéreur, il est révélé qu'il s'agit d'un original alors l'erreur est recevable et la vente peut être annulée. En effet, la réalité au moment de la vente est la même que celle après les travaux d'expertises et, par conséquent, la personne s'est bien trompée au moment où elle vendait son tableau. L'erreur s'apprécie donc toujours au moment où le contrat est conclu, mais rien n'empêche, sur un plan strictement probatoire, de prouver l'erreur à partir d'éléments ultérieurs.
Cette solution n'est cependant pas exempte de toute critique. En effet, cette solution reconnaît la possibilité pour le vendeur d'un tableau d'agir en nullité pour erreur sur la substance en invoquant l'erreur sur sa propre prestation. On pourrait ainsi reprocher au vendeur d'avoir fait preuve de négligence puisque celui-ci avait le tableau et aurait donc pu réaliser des travaux d'expertises précédemment ; il ne l'a cependant pas fait. Néanmoins, après la vente du tableau et à la suite de travaux d'expertises réalisés par l'acheteur, lorsque le vendeur apprendra qu'il s'agit d'un original, celui-ci va bien évidemment souhaiter annuler la vente. Il est donc difficilement compréhensible de considérer que son erreur est excusable dans une telle situation alors qu'il aurait pu, par ses propres moyens, constater qu'il s'agissait d'un original. Même s'il faut souligner que ce n'était pas le cas en l'espèce puisque les vendeurs qui étaient de bonne foi avaient été assistés par un professionnel : un commissaire-priseur qui n'avait pas pu considérer qu'il s'agissait d'un original, la portée assez générale de l'attendu de principe laisse planer le doute concernant la situation évoquée ci-dessus.
Enfin et pour conclure, il convient d'indiquer que l'affaire dite du « Poussin », de laquelle il ressort que le vendeur peut invoquer une erreur sur sa propre prestation, est à articuler avec l'affaire dite du « Verrou de Fragonard » qui trouve sa source dans un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation du 24 mars 1987.
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