Les faits de l’espèce

Dans le cas d’espèce ici jugé et rapporté par la Cour de cassation, il était question d’un salarié qui avait été engagé par un restaurant libre-service en tant qu’employé. Il nous est indiqué que ce dernier a tout d’abord fait l’objet d’une mise à pied qui finalement aboutit à un licenciement. Ce qui était principalement reproché au salarié évincé réside en fait dans le non-respect de certaines procédures propres à l’entreprise, tenant notamment à l’encaissement et la remise systématique d’un ticket de caisse au client. L’employeur, afin d’apporter la preuve objective de la faute commise par son salarié, a décidé de mandater une société afin que des contrôles soient réalisées au sein de son entreprise par un client dit « mystère ». La fiche d’intervention de ladite société fut produite par l’employeur. Ici, il convient de relever que l’employeur a fait appel à une tierce personne afin de rédiger un rapport démontrant qu’il ne lui avait été remis aucun document de paiement.

Mécontent d’avoir fait l’objet d’un licenciement, le salarié évincé n’a cependant pas emporté la conviction des juges de la Cour d’appel, et, au soutien de son pourvoi, ce dernier a argué que l’employeur n’avait pas respecté les règles comprises au sein du Code du travail et qui intéressent les méthodes d’évaluation et de surveillance, et que le principe de loyauté dans l’administration de la preuve avait été méconnu par celui-ci.

Son pourvoi sera finalement rejeté par la Cour de cassation. Cette décision n’est cependant pas sans poser certaines questions… Pourquoi la Cour de cassation a-t-elle rejeté le pourvoi ainsi formé ?

En droit du travail français, l’employeur bénéficie d’un pouvoir de contrôle, de surveillance et d’évaluation de ses salariés (cf. notamment Cass. soc., 14/03/2000, n° 98-42.090). Par conséquent, celui-ci peut instaurer des dispositifs même s’il est prévu par le Code du travail que les salariés mais aussi le comité social et économique doivent en avoir été informés au préalable, sous peine de voir ces dispositifs considérés comme illicites (cf. notamment Cass. soc., 17/03/2021, n° 18-25.597), surtout si cette surveillance est effectuée par une tierce personne à l’entreprise et donc par le fameux « client mystère » (cf. notamment Cass. soc., 15/05/2001, n° 92-42.219). L’employeur ayant apporté la preuve de cette information préalable, les juges de la Cour d’appel acquiescèrent, les preuves découlant du rapport d’enquête sont donc considérées comme recevables dans cette affaire.
La Chambre sociale n’a pas réellement fait preuve d’originalité dans cette décision, s’étant uniquement bornée à considérer la méthode employée comme non clandestine, et donc non illicite. Les résultats qui ont été produits dans le rapport pouvaient valablement être utilisés dans le cadre d’une procédure disciplinaire contre le salarié évincé.
La lecture de cette décision nous impose certaines questions, surtout celle tenant à savoir si l’utilisation du procédé du « client mystère » doit obligatoirement être considérée comme valable, au soutien d’une procédure disciplinaire, dès l’instant où les salariés en ont été préalablement informés ?

Salariés informés préalablement = procédure disciplinaire systématiquement valable ?

Même si l’article L. 1222-3 du Code du travail impose que l’information des salariés soit préalable et que le dispositif mis en place par l’employeur par rapport à sa finalité soit pertinent, en l’espèce, la Cour de cassation a fait fi de ce dernier point. Ce point est purement mis de côté. Qu’entendait exactement prouver l’employeur lorsqu’il a décidé de mettre en œuvre cette pratique du « client mystère » ? Du fait du silence des juges de la Chambre sociale à cet égard, nous n’aurons pas de réponse à cette question pourtant cruciale.

Ce qui peut poser davantage soucis dans notre cas d’espèce réside surtout dans le principe de loyauté dans l’administration de la preuve (cf. en ce sens, Ass. pl., 07/01/2011, n° 09-14.316). Il est vrai que l’emploi de ce « client mystère » peut être considéré comme une manigance de la part de l’employeur et qu’en tant que tel il soit considéré comme illicite. Mais il convient de noter que la Cour de cassation ne retient pas ce moyen en ce qu’il n’a pas été soulevé devant les juges du fond dans cette affaire. Sous ce rapport, il apparait malheureux que les juges n’aient pas souhaité prendre position à cet égard tant la jurisprudence est tout à fait confuse et imprécise. En fait, même si l’employeur prévient bien ses salariés qu’il va avoir recours à un client mystère, il ne s’agirait pas d’un procédé déloyal et surtout cette information, quand bien même elle intervient en amont de la mise en œuvre de ce procédé, ne constitue qu’une bien fragile garantie puisque le client mystère peut agir n’importe quand, et être parmi n’importe quel client fréquentant l’entreprise…
En outre, en matière commerciale, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, avait eu s’intéresser aux actes de concurrence déloyale mis au jour par le recours à un client mystère (cf. Cass. com., 10/11/2021, n° 20-14.669). Ici, les juges avaient simplement évincé ce mode de preuve dans la mesure où le client mystère, celui qui enquête, est rémunéré directement par le demandeur. Se posait l’épineuse question de la neutralité attendue du client mystère, et donc de l’enquêteur, notamment dans son comportement envers les salariés dans le cadre de ses missions.

Notons en fin de compte que quand bien même le procédé mis en place par ce « client mystère » peut être considéré comme déloyal, il n’apparait pas systématique que la preuve qu’il a pu obtenir soit écartée.

Ce qui apparait tout de même utile à noter dans le cadre de l’étude de cette décision réside dans le fait qu’une décision est prochainement attendue par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation. Cette décision intéresse spécialement l’articulation attendue entre le droit à la preuve d’une part, le principe de loyauté probatoire d’autre part (la chambre sociale ayant en effet décidé à l’occasion de deux décisions rendue le 1er février dernier de renvoyer cette question à l’Assemblée plénière, cf. n° 20-20.648 ; 21-11.330)…