Par une décision du 14 décembre dernier, la Cour de cassation a décidé de procéder à un revirement de jurisprudence en matière de charge de la preuve au regard du respect des durées maximales de travail, et en particulier pour le télétravail d’un salarié. Décryptage.

Les durées maximales du travail : de quoi parle-t-on ?

En droit français, la durée travail effectif hebdomadaire pour les salariés à temps complet est portée à 35 heures. Toutefois il s’agit là d’une durée légale hebdomadaire qui peut tout à fait être modifiée de manière conventionnelle ou bien contractuelle.
Il est à noter que cette modification doit respecter certaines limites. A ce titre, l’on peut retenir que cette durée ne peut excéder 48 heures sur une même semaine travaillée (sauf exception bien précise puisque l’inspecteur du travail devra donner son accord exprès dans le cadre de certaines circonstances dites exceptionnelles).
Si un litige venait à intervenir entre un salarié et son employeur concernant la durée du travail, il convient de retenir que le contenu de l’article L. 3171-4 du Code du travail ne saurait valablement s’appliquer à la preuve du respect non seulement des seuils mais également des plafonds qui sont effectivement applicables à la durée de travail. Cet article n’intéresse que la charge de la preuve au regard des heures supplémentaires. Sous ce rapport, chacune des parties devra produire des éléments suffisamment précis concernant leurs demandes, pour emporter la conviction du juge. Ainsi, en pareille hypothèse, la charge de la preuve revient à la fois à l’employeur et à son salarié.
Dès l’instant où la durée maximale du travail est franchie, alors la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation retient que cette seule circonstance permet d’ouvrir droit à réparation, au bénéfice du salarié, sans même que ce dernier n’ait à prouver un quelconque préjudice (cf. Cass. Soc., 26/01/2022, n°20-21.636).
S’intéresser à la durée maximale de travail implique aussi de revenir, en quelques points, sur les notions de temps de repos aussi bien quotidien qu’hebdomadaire, que les temps de pause des salariés.

Pause, repos quotidien et hebdomadaire : de quoi parle-t-on ?

Le droit du travail prévoit que tout salarié doit disposer d’un minimum de onze heures consécutives de repos chaque jour entre deux journées de travail. Cette durée s’impose à tous les salariés qui ne peuvent pas, même s’ils en sont d’accord, y déroger (cf. en ce sens, Cass. Soc., 08/06/2010, n°08-45.577). Certaines dérogations sont néanmoins possibles, soit par accord collectif, soit par avec une autorisation expresse de l’inspecteur du travail allant en ce sens et dans certaines circonstances spécifiques.
Quid du repos hebdomadaire ? Le droit du travail français prévoit que les salariés ne peuvent travailler plus de six journées consécutives sans obtenir un repos hebdomadaire. Ce dernier doit nécessairement être d’une durée minimale de vingt-quatre heures consécutives ; à cette durée s’ajoute la règle des onze heures de repos quotidien, ce qui porte le total d’heures de repos hebdomadaire à trente-cinq heures.
Enfin, qu’en est-il du temps de pause ? Lorsque le temps de travail quotidien est d’un minimum de six heures, en pareil cas, tout salarié dispose d’un temps de pause d’une durée qui ne peut être inférieure à 20 minutes consécutives. Attention, il s’agit ici d’une durée minimale : il est donc envisageable qu’une durée supérieure soit choisie. Si ce temps n’est pas respecté, alors il revient nécessairement au salarié d’apporter la preuve qu’il a subi un préjudice et qu’en conséquence de ce dernier, il souhaite obtenir des dommages et intérêts. S’il ne parvient pas à emporter la conviction des juges du fond, il ne pourra valablement obtenir de réparation (cf. en ce sens, Cass. Soc., 19/05/2021, n°20-14.730).
Enfin, si le salarié considère que les repos et les temps de pause auxquels il a droit conformément au droit du travail n’ont pas été respectés par son employeur, alors il revient à ce dernier d’apporter la preuve contraire (cf. Cass. Soc., 19/05/2021, 19-14.510 ; idem, 20/02/2013, n°11-21.599).
Après avoir étudié ces quelques notions, revenons sur l’arrêt qui nous intéresse. Quel est son sens et quelle est sa portée ?

Cass. Soc., 14/12/2022, n°21-18.139

Dans notre cas d’espèce, il s’agissait d’un salarié qui avait habitude de travailler en présentiel (sur une durée de deux jours) et en télétravail (sur une durée de trois jours). Après que ce dernier trouva la mort sur le trajet entre son domicile et le site de l’entreprise, ses ayant-droits ont décidé de saisir le Conseil des prud’hommes afin de demander le versement des heures supplémentaires effectuées et non rémunérées par l’employeur ; mais aussi d’obtenir des dommages et intérêts pour violation du droit au repos et du droit à la vie privée et familiale.
Toutefois, la Cour d’appel rejeta l’ensemble de leurs demandes au motif que les éléments produits n’ont pas permis de démontrer que l’employeur avait en effet méconnu les règles en matière du droit au repos, ajoutant également que le salarié bénéficiait d’une liberté d’organisation de son temps de travail, eu égard aux déplacements qu’il devait couvrir dans le cadre de ses missions. Ces derniers arguaient également de l’amplitude horaire conséquente entre le premier et le dernier mail envoyés par le salarié. Toutefois, les juges de la Cour d’appel n’ont pas été convaincus puisqu’ils ont considéré qu’aucun élément de preuve ne permet d’affirmer que le salarié ne bénéficiait pas de ses repos quotidiens et que celui-ci travaillait en effet de manière permanente. Mécontents de cette décision, les ayant-droits se sont pourvus en cassation.
Les juges de la Cour de cassation se sont fondés aussi bien sur le Code du travail que sur le Code civil pour considérer qu’il revient à l’employeur de prouver qu’il a gratifié au salarié l’ensemble des temps de repos auxquels ce dernier a droit. Ces derniers jugent alors qu’il revient exclusivement à la charge de l’employeur de prouver qu’il a respecté les règles en matière de durées maximales de travail, conformément au droit du travail français et ce, même lorsque le salarié effectue sa mission en télétravail. Il revient donc à l’employeur de contrôler la durée effective du travail du salarié, peu importe la circonstance que celui-ci est, ou pas, en télétravail et donc non présent sur site.
L’employeur doit être vigilant quant au contrôle des heures supplémentaires. Dans une décision rendue par la Cour d’appel de Chambéry, les juges du second degré avaient considéré que l’employeur qui n’effectue pas de contrôle à cet égard, se satisfaisant des heures effectuées par la salariée, acceptait même de manière strictement implicite le fait qu’elle en effectuait. Elle pouvait donc en demander le paiement (cf. 09/12/2021, n°20/00862).

Références
Cass. Soc., 14 décembre 2022, n°21-18.139.
Cour d’appel de Chambéry, 09 décembre 2021, n°20/00862
https://www.courdecassation.fr/publications/bulletin-des-arrets-des-chambres-civiles/numero-12-decembre-2022/travail-reglementation-duree-du-travail
https://www.agn-avocats.fr/blog/droit-du-travail/teletravail-attention-a-la-duree-du-temps-de-travail/