Énoncé

Monsieur X a été employé sous contrat à durée indéterminée au sein d'une bijouterie renommée sur les Champs-Élysées à Paris. Depuis son entrée en poste, il est un employé modèle. Ayant passé sa période d'essai avec brio, il réalise d'excellents chiffres de vente.

Mais dernièrement, Madame Y entend souvent parler de lui, de son bon ami qui tient un bar. Il lui a raconté que Monsieur X était devenu un habitué et avait déclenché une bagarre pas plus tard que la semaine dernière. Plusieurs fois, il avait dû faire appeler un taxi pour le faire rentrer chez lui. « Il titubait et ne marchait même pas droit. Un véritable ivrogne ! ». Il aurait été à l'origine de plusieurs conflits avec d'autres clients.

Son comportement s'est fait également ressentir au travail, depuis quelques semaines. Son employé réalise de moins bonnes ventes que le mois dernier et il est de constante mauvaise humeur face aux clients.

Maintenant qu'elle connaît l'origine du problème, Madame Y souhaite licencier ce « fauteur de troubles ». Mais elle ne veut pas avoir à payer des indemnités alors que « c'est lui qui est clairement en tort ». Elle envisage donc de le licencier pour faute lourde.


Résolution du cas pratique

Un employeur peut-il valablement licencier un employé pour un fait ayant eu lieu en dehors des heures de travail ?

1/ Le droit positif

Le droit positif veut que le salarié soit sous la subordination juridique de son employeur durant son temps de travail. En dehors de ses horaires de travail, cette subordination disparaît. Les pouvoirs de direction et disciplinaire de l'employeur ne visent plus à s'appliquer. La jurisprudence est constante sur ce point : le salarié ne peut pas être sanctionné ou licencié pour des faits relevant de sa vie privée, en dehors de l'exécution de son contrat de travail (Cass. Mixte 18/05/07 n° 05-40803). Un tel licenciement serait dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 09/03/11 n° 09-42150).

Mais ce principe souffre d'exceptions admises par la jurisprudence. La Cour de cassation a pu retenir le licenciement d'un salarié ayant causé un « trouble objectif caractérisé dans l'entreprise » en raison de ses fonctions et des finalités de l'entreprise, en se fondant sur un fait relevant de sa vie personnelle (Cass. Soc. 14/09/10 n° 09-65675). Il ne peut alors pas s'agir d'un licenciement disciplinaire (Cass. Soc. 09/03/11 n° 09-4215).

Cependant, la jurisprudence a parfois accepté le licenciement revêtant un caractère fautif grave. Mais il est nécessaire que le fait relevant de la vie personnelle puisse être rattaché à la vie professionnelle du salarié. Il doit constituer un manquement grave au contrat de travail (Cass. Soc. 27/06/01 n° 99-40555).

Un tel licenciement a pu être constitué par une atteinte à l'image de l'entreprise. Par exemple, la secrétaire d'une agence immobilière a pu être valablement licenciée, car elle était venue travailler en survêtement (Cass. Soc. 06/11/2001, no 99-43.988). En revanche, la Cour de cassation a aussi pu juger un licenciement abusif quand un garage concessionnaire a congédié un salarié venu avec un véhicule d'une autre marque (Cass. Soc. 22/01/1992, no 90-42.517).

La détermination de la proportionnalité de la sanction avec l'intérêt lésé sera à l'appréciation souveraine des juges du fond. Ils pourront alors accepter la qualification de licenciement pour faute grave ou le requalifier comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.


2/ Les faits

En l'espèce, les faits relevant de la vie privée du salarié sont son état d'ivresse apparent en public et les troubles causés subséquemment à celui-ci. Ces faits ayant eu lieu en dehors des heures de travail ne pourraient en principe ne pas être un motif légitime de licenciement.

Cependant, l'entreprise concernée est une bijouterie renommée à Paris. Les actions du salarié pourraient porter atteinte à l'image de l'enseigne et lui causer un préjudice dans une perte de clients. Ce sera à l'employeur de démontrer que les actes du salarié relevant de sa vie personnelle, car en dehors des heures de travail, sont rattachables à sa vie professionnelle. De plus, il devra motiver que cela aura causé un trouble objectif caractérisé au sein de l'entreprise. Alors il relèvera de l'appréciation souveraine des juges du fonds d'estimer si un licenciement est valable, notamment s'il peut être fautif.

En tout état de cause, le comportement même du salarié dans le bar ne semble pas avoir un lien direct avec sa vie professionnelle. Pourtant son comportement a un impact sur l'attitude du salarié envers la clientèle, durant ses heures de travail. Le trouble serait alors présent dans la perte de clients, affectant les résultats de l'entreprise. Mais la preuve devra être rapportée qu'il commet des actes répréhensibles, comme des insultes et des menaces (Cass. Soc. 16/09/15 n° 14-46376). Ce lien pourrait être suffisant pour retenir le licenciement pour faute lourde, si ce n'est moins, le licenciement pour cause réelle et sérieuse.


Conclusion

Le licenciement fondé sur un fait de la vie personnelle d'un salarié n'est en principe pas valable. Il n'en demeure pas moins qu'il peut être accepté s'il cause un trouble objectif à l'entreprise. Et pour aller plus loin en étant qualifié de fautif, ce comportement ayant eu lieu en dehors du temps de travail doit être suffisamment rattaché à la vie professionnelle du salarié, en causant un préjudice à l'employeur. Tout reposera sur la preuve rapportée par les parties et l'appréciation souveraine des juges du fond.


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