Énoncé
Sophie est très satisfaite, elle a pu trouver un travail pour cet été. Elle a été embauchée comme auxiliaire de vacances dans le Crédit Harmonie et Economie. Après avoir subi les formations de base, elle est en poste depuis deux semaines. Elle est curieuse et parcourt les comptes des clients qui ont pris rendez-vous pour la journée.
Parmi eux se trouve Madame Vetani, gérante d'une SARL disposant d'un capital de 2 millions d'euros qui s'occupe de la gestion de plusieurs immeubles en France. Mais quelque chose est bizarre : elle a effectué quatre virements importants à destination de deux sociétés ce matin. Le premier est un virement de plusieurs milliers d'euros pour une société de vente de terrains dans le Nord.
Les trois autres sont à destination d'une autre société dont l'activité est l'export de marchandises, elle aussi cliente dans la banque. Le total de ces ordres revient à un versement d'un million d'euros. En parcourant l'historique de cette propre société, il semble que ce ne sont pas les seuls versements faits par Madame Vetani au cours des trois derniers mois. Il y en a eu plusieurs de plusieurs centaines d'euros chaque semaine. Un est justement en cours de traitement par les services de l'établissement de crédit.
Sophie ne sachant pas quoi faire, prévient son supérieur.
Résolution
Un banquier est-il tenu de vérifier la pertinence des opérations inhabituelles réalisées par un client avant de les réaliser ?
I. Le droit positif
En principe, le banquier n'est pas tenu d'intervenir pour empêcher un client de réaliser une opération, même si celle-ci présente un caractère dangereux, non pertinent ou irrégulier pour ses affaires. Il existe un devoir de non-ingérence ou de non-immixtion, ce qui l'empêche de refuser d'accomplir l'ordre donné par le client. Chacun est maître de ses affaires.
Mais si ce principe limite les possibilités de pouvoir engager la responsabilité du banquier, celui-ci demeure tenu d'une obligation de vigilance en raison des risques caractérisant sa profession. Il gère d'importants flux financiers constamment. Il a le devoir de connaître l'identité du client au moment de l'ouverture d'un compte. Mais aussi de vérifier la régularité des opérations réalisées dans une certaine mesure.
En effet, la responsabilité du banquier pourra être engagée par ceux ayant subi un préjudice de son fait. À ce titre, il est tenu de détecter les anomalies et irrégularités apparentes et manifestes des ordres donnés. Ces irrégularités peuvent être matérielles comme des traces d'effacement du destinataire de l'ordre sur un chèque (Com 10/12/2003, Revue banque et droit de Mai-Juin 2004 page 53, LexisNexis).
Elles peuvent également être intellectuelles. Alors, les hypothèses sont peu admises en jurisprudence (Com. 28/06/2016, n 14-21256) : il ne suffit pas qu'une opération soit inhabituelle pour être irrégulière. Il faut des signes très alarmants pour que le banquier ait l'obligation de réagir (comme la confusion délibérée créée par une société avec la banque qui héberge son compte, dans le but d'apparaître comme une émanation de celle-ci aux yeux des tiers (Com 22/11/2011 n 10-30101).
Il n'y a que dans le cadre d'une relation avec un consommateur qu'il peut être tenu d'une obligation plus importante qui se mue en devoir de mise en garde. Les conditions sont que le client soit profane et l'opération dangereuse (Civ 1e 27/06/1995, Dalloz 95 page 621). Autrement dans une relation avec un professionnel, le banquier n'y est pas tenu.
II. Les faits
En l'espèce, les opérations litigieuses peuvent être distinguées en deux cas.
Tout d'abord, pour ce qu'il en est du virement réalisé au profit de la société pour acquérir des terrains, le banquier ne serait pas tenu de refuser d'exécuter cet ordre. En effet, il ne lui appartient pas de juger si cette opération présente pour elle un caractère dangereux ou inopportun. Le fait qu'au vu de son activité habituelle cette opération se distingue est insuffisant pour justifier son intervention.
En revanche, concernant les trois autres virements, le banquier sera tenu d'intervenir. Ces opérations présentent un caractère dangereux qui pourrait être retenu en raison de l'importance du montant en comparaison du capital de la société. Mais cette caractérisation ne viendrait qu'au surplus de celles que les juges du fond pourront apprécier pour ce qui est de son caractère extrêmement inhabituel et même alarmant en raison du montant.
Les opérations régulièrement effectuées sont de quelques centaines d'euros sur plusieurs semaines. Celles-ci comptent un million d'euros, visant à être versées en une seule matinée.
À cette fin, il serait raisonnable pour le banquier d'intervenir pour bloquer les virements effectués au bénéfice de la société d'export de marchandises, en demandant une justification de la gérante de la SARL, voire de déclarer ses soupçons au service TRACFIN en raison de l'importance du montant, de l'opération inhabituelle et de l'activité de la seconde société bénéficiaire.
Conclusion
Le banquier est tenu à un devoir de vigilance, mais également à une obligation de non-immixtion. La distinction entre les deux repose sur les anomalies apparentes et manifestes que le banquier est tenu de détecter, sous peine de voir sa responsabilité engagée.
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