Énoncé du cas pratique
Charles est marinier et travaille pour une petite entreprise sur le port de pêche de Dunkerque. Alors qu'il s'apprêtait à quitter le port pour partir en mer, Charles avait déployé une antenne qui se trouvait sur le toit du bateau comme à son habitude avant chaque sortie.
Le vent soufflait fortement ce matin-là et l'antenne touchera malheureusement une ligne électrique qui se trouvait non loin de là sur le quai. Au contact de la ligne électrique, un arc électrique s'est formé brûlant grièvement le marinier.
Celui-ci recherche la responsabilité de l'Administration.
Après avoir défini ce que sont les notions de tiers à l'ouvrage public (1), ainsi que l'ouvrage public (2) et le travail public (3), vous vous demanderez dans quelle mesure il est possible d'engager la responsabilité de l'Administration.
N.B. : La ligne électrique est un ouvrage public distinct non incorporé au domaine public.
Correction du cas pratique
(Il s'agit ici d'un corrigé non exhaustif du cas pratique)
1. La définition de tiers à l'ouvrage public
Cette qualité de tiers à l'ouvrage public est reconnue à toute personne qui ne tire pas davantage ou n'utilise pas le travail public.
Toutefois, la distinction, qui existe en droit administratif des biens, entre le tiers, l'usager le participant n'est pas toujours chose aisée à faire. C'est pourquoi la jurisprudence procède au cas par cas pour déterminer quelle est la qualité de la victime.
2. La définition de l'ouvrage public
La définition de l'ouvrage public est une définition largement jurisprudentielle, et découle donc de la jurisprudence du Conseil d'État, mais aussi du Tribunal des conflits.
Pour qu'un ouvrage public soit rencontré, il est nécessaire qu'il s'agisse d'un ouvrage immobilier qui peut consister en une dépendance du domaine public, voire appartenir à un particulier. Cet ouvrage immobilier doit en outre avoir été spécialement aménagé et doit correspondre à un but d'intérêt général.
3. La définition du travail public
Traditionnellement, le travail public est considéré comme étant un travail immobilier, effectué dans un but d'intérêt général pour le compte d'une personne publique ou bien pour le compte d'une personne privée dans le cadre d'une mission de service public.
Ainsi, la notion de travail renvoie à la fois à l'opération qui est en cours, mais aussi à une opération achevée. D'ailleurs, la construction, l'entretien voire encore la destruction pourront être constitutifs d'un travail public.
La notion de travail immobilier renvoie à l'ensemble des éléments des immeubles par nature ou par détermination de la loi selon les dispositions des articles 517 et suivants du Code civil, ainsi que les travaux d'entretien, de réparation et de prévention.
Le but d'intérêt général renvoie, pour sa part, à la notion d'utilité publique. Il fut considéré dans une jurisprudence du Conseil d'État du 10 juin 1921, Commune de Montségur, qu'était constitutif d'un travail public un bénitier dans une église en ce que les églises sont des biens qui appartiennent au domaine public. Toutefois, la notion d'utilité publique évoluera. Il est nécessaire que la présence d'un but d'intérêt public soit rencontrée de façon à pouvoir utilement qualifier de travail public un travail effectué sur la propriété d'un particulier, ce qui en outre entraîne la compétence du juge administratif.
Le travail public doit en outre être exécuté pour le compte d'une personne publique. D'après la jurisprudence Montségur ci-dessus mentionnée, seule compte la qualité de bénéficiaire : il peut donc s'agir de l'État, d'une collectivité territoriale ou bien encore d'un établissement public. Cependant, pour que le travail soit effectivement exécuté dans un but d'intérêt général, concernant la situation des collectivités territoriales, l'intérêt général local doit être rencontré, de même que l'intérêt général doit être conforme à la spécialité des établissements publics. L'intervention de la personne publique peut être immédiate lorsque celle-ci réalise, dirige ou contrôle l'exécution de ces travaux, ou bien elle peut être postérieure, au terme d'une concession, par exemple.
Enfin, il se peut que le travail soit réalisé pour le compte d'une personne privée dans le cadre de l'exécution d'une mission de service public. La jurisprudence EFFIMIEFF du Tribunal des conflits, en date du 28 mars 1955, a complété la jurisprudence Montségur du Conseil d'État : pour le Tribunal des conflits, de tels travaux peuvent être effectués dans un but d'intérêt général, et ce, pour le compte d'une personne privée, chargée d'exécuter une mission de service public.
4. Dans quelle mesure est-ce possible d'engager la responsabilité de l'Administration ?
Quelle est la qualité de la victime ?
Dans le cas de l'espèce, la victime n'utilise pas et ne tire aucun avantage de l'ouvrage public.
Conformément à ce qui avait été décidé dans la jurisprudence du Conseil d'État, EDF contre Brenot, en date du 23 mai 1986, la victime est considérée comme un tiers vis-à-vis de la ligne électrique en cause.
Il est alors possible pour la victime de rechercher la responsabilité sans faute de l'Administration du fait des préjudices qu'elle a subis.
Toutefois, si l'Administration est par principe reconnue responsable de l'intégralité des dommages qui sont subis par la victime et qui sont occasionnés par l'ouvrage ou le travail public, il existe deux causes exonératoires : la force majeure et la faute de la victime.
Existe-t-il, dans le cas de l'espèce, une cause d'exonération de la responsabilité de l'Administration ?
Par principe, EDF semble responsable des dommages qui ont été causés et dont le marinier a été victime puisque ces dommages sont la conséquence de la présence de cette ligne électrique le long du quai.
La victime aurait-elle commis une faute qui serait de nature à exonérer l'Administration ?
Il est indiqué que le vent soufflait le jour où le dommage a été causé.
Conformément à ce que le Conseil d'État a eu l'occasion de retenir dans le cas d'espèce du 23 mai 1986, il semble qu'une faute d'imprudence ait été commise par la victime en décidant de déployer l'antenne alors que « le vent soufflait fortement » et sans prendre de précaution particulière à cet effet.
Ici, la victime a commis une faute en ne se montrant pas assez précautionneuse dans le déploiement de l'antenne.
Donc, cette cause d'exonération de la responsabilité de l'Administration pourra être retenue. Il peut d'ailleurs être imaginé qu'elle ne soit pas totalement exonérée, mais simplement partiellement exonérée de sorte qu'elle participe tout de même à la réparation des dommages subis par la victime, celle-ci pouvant d'ailleurs se voir reconnaître une part de responsabilité dans le dommage dont elle se plaint.
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