Si le Doyen Favoreu a semblé souhaiter la disparition du terme pour parler plus largement de Constitution, l'expression s'est pour autant imposée jusqu'à devenir une thématique incontournable de l'étude du contentieux constitutionnel français. On verra ainsi à la suite la définition du bloc (I), sa composition (II) et sa mise en oeuvre effective (III).

I. Le bloc de constitutionnalité : histoire et définition

Historiquement, le bloc de constitutionnalité est dessiné par le Conseil constitutionnel dès sa décision n° 70-39 DC du 19 juin 1970 Traité du Luxembourg qui mentionne aux visas « la Constitution et notamment son préambule ». La même formulation sera reprise pour sa décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971 Liberté d'association, dans laquelle il mobilisera explicitement le préambule pour déclarer un texte contraire à la Constitution.

La spécificité du bloc de constitutionnalité est qu'il est de création jurisprudentielle et qu'il fonctionne par un jeu subtil de renvois. En effet, le préambule de la Constitution de 1958 dispose dans son premier alinéa que « le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004 ».

Le bloc de constitutionnalité est donc l'ensemble des normes que le Conseil constitutionnel mobilise pour contrôler la constitutionnalité des lois à la Constitution tant dans son contrôle a priori que dans son contrôle a posteriori en QPC. Ce bloc a formellement pu voir le jour grâce aux renvois opérés par le préambule de la Constitution de 1958.

 

II. Le bloc de constitutionnalité : composition

Le premier élément du bloc de constitutionnalité, trop souvent oublié, est la Constitution elle-même. En effet, nombreux sont ses articles qui sont utilisés pour contrôler la constitutionnalité des lois, tant sur le plan procédural que sur celui des droits et libertés.

On retrouve ensuite la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le préambule de la Constitution de 1946 et la Charte de l'environnement, adoptée en 2004 et constitutionnalisée en 2005.

Le préambule de la Constitution de 1946 abrite en son sein deux séries de normes constitutionnelles. Le premier alinéa évoque les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » (PFRLR), principes qui seront par la suite mobilisés par le Conseil d'État (CE, 1956, Amicale des Annamites de Paris) puis le Conseil constitutionnel pour consacrer certains principes. Depuis la décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013 Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe le Conseil retient cinq critères pour consacrer ces PFRLR. Ils doivent être issus d'une loi antérieure à 1946, adoptée sous un régime républicain (ce qui exclut les empires et Vichy), appliquée sans discontinuité, être de nature générale et non contingente, et enfin toucher aux droits et libertés fondamentaux, à la souveraineté nationale ou à l'organisation des pouvoirs publics.

Le préambule de la Constitution de 1946 mentionne aussi les « principes particulièrement nécessaires à notre temps » (PPNT) afin de désigner les alinéas suivants du préambule.

On trouve enfin les objectifs à valeur constitutionnelle (OVC) et les principes à valeur constitutionnelle (PVC), qui sont des normes purement jurisprudentielles. De manière générale, les PVC garantissent des droits spécifiques qui peuvent être mobilisés pour déclarer une loi contraire à la Constitution. En revanche, les OVC sont plus souvent mobilisés par le Conseil pour justifier l'atteinte à un droit ou une liberté par le législateur, qui poursuivait alors un objectif particulier que la Constitution lui permet de poursuivre.

Certaines normes que le Conseil mobilise ponctuellement pour son contrôle doivent être exclues de ce bloc. C'est le cas des lois organiques et, notamment, de la loi organique relative aux lois de finances de 2001, pourtant mobilisée dans le contrôle des lois de finances. C'est aussi le cas des dispositions inconditionnelles et précises des directives de l'Union européenne lorsqu'elles sont transposées par le législateur.

 

III. Le bloc de constitutionnalité : mise en oeuvre et contenu effectif

Les dispositions du bloc de constitutionnalité, dans leur mise en oeuvre, ont toute la même valeur. Seuls les alinéas 16, 17 et 18 du préambule de la Constitution de 1946 sont de facto caducs, ayant pour objet l'Union française qui n'existe plus. La Charte de l'environnement, de même, a pleine valeur constitutionnelle. Il n'y a donc pas de priorité des textes du préambule comme la doctrine a pu le croire pendant un temps. En cas de conflit entre deux énoncés, le Conseil constitutionnel met en balance les droits et libertés en jeu. Ainsi, quand le gouvernement socialiste de 1981 souhaite nationaliser, le Conseil ne s'y oppose pas au nom du droit de propriété pourtant garanti parce que cette nationalisation était rendue possible par le préambule de la Constitution de 1946. À l'inverse, lorsqu'en 1986 la droite revient au pouvoir et souhaite privatiser certains services publics, le Conseil ne s'y oppose pas non plus.

Le contenu est en outre évolutif, à deux niveaux. D'abord, le constituant peut ajouter un texte de référence, comme il l'a fait en 2005. Mais surtout, le Conseil constitutionnel dispose d'un très large pouvoir d'interprétation. Il tire ainsi de l'article 16 de la Déclaration de 1789, qui pose le principe de séparation des pouvoirs, une multitude de principes tels que le droit à un procès équitable et la protection des droits de la défense. Le bloc n'est donc pas figé.

 


Sources :

- V. Champeil-Desplats, Les Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Principes constitutionnels et justification dans les discours juridiques, PUAM-Economica, 2001

- L. Favoreu (dir.), Droit constitutionnel, 22e éd., Dalloz, 2020

- L. Favoreu, « Le principe de constitutionnalité », Mélanges Eisenmann, 1975, pp. 33-48

M. Troper, Fr. Hamon, Droit constitutionnel, 41e éd., LGDJ, 2020