L’article 515-14 du Code civil fut introduit par la réforme législative du 16 février 2015. Il s’agissait, évidemment, de protéger les animaux ou, de manière plus réaliste, de leur accorder un statut de reconnaissance spécifique. Il introduit alors l’idée d’être doué de sensibilité dans le droit, sans spécifiquement la définir. Il ne définit pas non plus « animal », ce qui pourrait poser des problèmes dans le cas limite des éponges de mer ou des coraux. En outre, il continue de soumettre les animaux au statut des biens.

Cet article s’insère en tête du Livre du Code civil relative aux biens. De manière générale, le droit civil connaît une distinction fondamentale entre les biens et les personnes. Toute entité juridique ne peut être que l’un ou l’autre. Certains biens font l’objet d’une protection juridique particulière, mais ils n’en restent pas moins des biens. C’est notamment le cas des restes humains, puisqu’après le décès l’enveloppe charnelle n’est plus une personne. Elle ne peut donc qu’être un bien.

Il ne peut en aller que de même pour l’animal, et c’est spécifiquement ce que visait à modifier au moins partiellement l’introduction de l’article 515-14 du Code civil. Cet article vise ainsi à casser la dichotomie entre biens et personnes en plaçant l’animal dans un statut spécifique. On peut alors s’interroger sur le statut spécifique de l’animal selon l’article 515-14 du Code civil.

Malgré les volontés législatives, l’analyse de l’article révèle une absence de véritable changement du statut de l’animal. La reconnaissance en trompe-l’oeil d’un statut spécifique pour les animaux (I) ne doit pas faire perdre de vue l’absence de remise en cause de la séparation entre les personnes et les biens et donc, partant, le plein statut de bien de l’animal (II).

 

I. La reconnaissance de principe du statut spécifique des animaux

L’article 515-14 du Code civil reconnaît à l’animal un statut particulier, celui d’être vivant doué de sensibilité (A). Les lois spécifiques de protection sont de même reconnues spécialement (B).

A – L’animal comme être sensible ou la reconnaissance d’une spécificité de l’animal comme bien

« Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité ». C’est ainsi que le nouvel article 515-14 du Code civil semble réformer en profondeur le statut de l’animal. Cette reconnaissance du caractère sensible, concernant un bien, est une nouveauté indéniable dans le droit civil.

Pour autant, la formule est loin d’être limpide. Derrière la reconnaissance du caractère sensible de l’animal, la doctrine n’a pas manqué de souligner la vacuité du sens juridique de la rédaction de l’article. En effet, purement déclaratoire, il est à première vue sans influence réelle sur le statut de l’animal. Il n’existe en effet pas de régime spécifique associé à cette nouvelle qualification.

Ainsi, malgré une reconnaissance réelle de la spécificité des animaux pour leur accorder une plus grande protection juridique, le législateur a porté son choix sur le domaine du symbolique plus que celui du juridique.

 

B – La réserve des lois spécifiques de protection

Les animaux restent donc des biens, « sous réserve des lois qui les protègent ». La précision est aussi notable qu’inutile. Elle est en effet notable, puisque la rédaction de l’article 515-14 du Code civil précise bien que certaines lois protègent spécifiquement les animaux. On trouve alors le principe de la possibilité d’une concrétisation de la protection particulière dont les animaux sont objet. Cette concrétisation, affichée dans le statut spécifique de l’animal, forme alors tant un avertissement de la possibilité d’aménagement qu’un affichage servant à montrer ce statut dérogatoire de l’animal.

Cette précision, pour autant, n’a pas par elle-même d’utilité juridique au-delà de l’affiche. En effet, elle ne cite pas les lois spécifiques protégeant les animaux, l’article 515-14 du Code civil ne permet donc pas d’y accéder facilement. Sa portée juridique est donc nulle puisque le sens juridique serait exactement identique sans cette précision. À titre d’exemple, les dispositions pénales punissant la cruauté envers les animaux s’appliqueraient à l’identique, de même que l’article 522 du Code civil relatif à l’assimilation des animaux inclus dans un fond à des immeubles par destination aurait exactement le même sens.

Si l’affichage de l’article 515-14 du Code civil est donc celui d’une protection accrue des animaux, la réalité est celle d’un statut de bien inchangé.

 

II. L’application aux animaux du régime général des biens

Malgré la reconnaissance du principe de la sensibilité des animaux, c’est le régime général des biens qui leur est applicable (A), et ce statut des animaux ne remet pas en cause la dichotomie fondamentale du droit civil entre les biens et les personnes (B).

A – Le statut général des biens applicable aux animaux

« Les animaux sont soumis au régime des biens ». La dernière phrase de l’article 515-14 du Code civil est la seule à, en dernière analyse, avoir une portée juridique quelconque, portée relativement inutile puisque les animaux étaient déjà, par la force des choses, considérés comme des biens.

La jurisprudence de la Cour de cassation ne s’est par ailleurs pas saisie de la modification de 2015. Il faut noter un arrêt de la 1re chambre civile de la Cour de cassation du 9 décembre 2015 se fonde sur le caractère sensible de l’animal pour considérer « qu’ayant relevé que le chien en cause était un être vivant, unique et irremplaçable, et un animal de compagnie destiné à recevoir l’affection de son maître, sans aucune vocation économique, le tribunal, qui a ainsi fait ressortir l’attachement de Mme Y pour son chien, en a exactement déduit que son remplacement était impossible, au sens de l’article L. 211-9 du Code de la consommation ». La Cour s’est ainsi basée sur la disposition nouvelle pour considérer que dans un litige relatif à la vente d’un chien et au défaut de ce dernier, le vendeur ne pouvait le remplacer, mais devait dédommager l’acheteur pour les réparations.

Le paradoxe du vocabulaire est éclatant : là où l’animal est un être sensible, il reste un bien susceptible, à l’achat, d’être remplacé ou réparé. La Cour de cassation, dans sa décision, s’est alors contentée de considérer que dans le cas spécifique, la réparation du bien était la seule possibilité, mais elle aurait tout à fait pu décider de manière parfaitement identique sans l’article 515-14 du Code civil.

La modification législative rate ainsi la révision de la séparation entre bien et personnes.

 

B – L’absence de remise en cause de la dichotomie entre les biens et les personnes en défaveur des animaux

L’article 515-14 du Code civil, et plus largement la loi de 2015 dont il est issu cherchaient à modifier le Code civil afin d’« éradiquer toutes les tournures directes ou indirectes affirmant ou laissant sous-entendre que les animaux sont des meubles, des immeubles ou des objets » (J.-P. Marguénaud). Pour autant, sans proposer de troisième catégorie entre les biens et les personnes, le législateur change le vocabulaire sans changer les concepts fondamentaux auxquels ces termes se rattachent. Les animaux restent des meubles ou des immeubles, comme l’illustre d’ailleurs encore l’article 522 du Code civil. Certains animaux ne sont pas qualifiés directement d’immeubles, mais l’article dispose qu’ils sont soumis à ce régime, ce qui revient au même.

Si les animaux sont des biens, susceptible de commerce limité et encadré, comme d’autres biens d’ailleurs, c’est parce que le droit civil ne connaît que deux catégories, fondamentales : les biens et les personnes. Un extraterrestre pourrait se poser sur Terre en France qu’il serait soit un bien, soit une personne. Ainsi, si l’article 515-14 n’arrive pas à modifier ce statut de bien de l’animal, c’est précisément parce qu’il ne cherche pas à changer cette distinction en profondeur, en s’inscrivant dans le livre du Code relatif aux biens.

 

Sources :

S. Desmoulin-Canselier, « De la sensibilité à l’unicité : une nouvelle étape dans l’élaboration d’un statut sui generis pour l’animal ? », D., 2016, p. 360 et s.
L. Neyret, N. Reboul-Maupin, « Droit des biens », D., 2016, p.1779 et s.
J.-P. Marguénaud, « L’entrée en vigueur de ‘‘l’amendement Glavany’’ : un grand pas de plus vers la personnalité juridique des animaux », RSDA, 2014, n° 2, p. 15.