Dans la première espèce, la cour d'appel a prononcé la condamnation du propriétaire du remorqueur à vapeur et a indemnisé la veuve du mécanicien mort sur la responsabilité du fait des bâtiments en ruine. Le propriétaire a formé un pourvoi contre cette décision. Dans la seconde espèce, la cour d'appel de Besançon a refusé d'indemniser la victime. Cet arrêt a subi une cassation de la Cour de cassation, le 21 février 1926. La cour d'appel de renvoi résiste.

Dans la première espèce, le pourvoi est formé sur le fait de la responsabilité du fait des bâtiments en ruine, ce n'est pas le bon fondement en droit. Dans la deuxième espèce, le pourvoi est formé sur l'applicabilité de l'ancien article 1384 alinéa 1er du Code civil. Dans l'arrêt du 16 juin 1896, la chambre civile rejette le pourvoi qui a été formé par le propriétaire de la machine, car ce n'était pas la responsabilité du fait des bâtiments en ruine qu'il fallait invoquer, mais il fallait fonder la responsabilité du propriétaire sur l'ancien article 1384 alinéa 1er du Code civil. Dans l'arrêt du 13 février 1930, les chambres réunies posent une présomption de responsabilité établie pour « celui qui a sous sa garde, la chose inanimée qui a causé un dommage ne peut être détruite que par la preuve d'un cas fortuit ou de force majeure ou d'une cause étrangère ». Pour appliquer cette présomption, on ne doit pas distinguer selon que la chose qui a causé le dommage était ou non actionnée par la main de l'homme. Il n'est pas nécessaire qu'elle ait eu un vice susceptible de causer le dommage, l'ancien article 1384 du Code civil rattachant la responsabilité à la garde de la chose elle-même. Les chambres réunies cassent la décision de la cour d'appel de renvoi.

Il convient d'observer que l'examen des deux arrêts pose un problème de droit qui est le suivant : comment l'arrêt du 16 juin 1896 constitue-t-il à la fois une réaffirmation et un prolongement de l'arrêt du 13 février 1930 ?

L'arrêt du 13 février 1930 est une réaffirmation de l'arrêt du 16 juin 1896 (I), mais il s'agit aussi d'un prolongement de l'arrêt du 16 juin 1896 (II).


I. L'arrêt du 13 février 1930 comme une réaffirmation de l'arrêt du 16 juin 1896

L'arrêt du 13 février 1930 est une réaffirmation de l'arrêt du 16 juin 1896 : pour deux séries de raisons : les deux arrêts sont en faveur de l'applicabilité de l'ancien article 1384 alinéa 1er du Code civil, aujourd'hui, article 1242 (A), de plus, ce sont 2 arrêts qui engagent la responsabilité du propriétaire de la chose qui a commis l'accident (B).

A. L'applicabilité de l'article 1384 alinéa 1er

Les deux arrêts utilisent comme fondement de droit pour motiver leur décision l'ancien article 1384 alinéa 1er du Code civil. Il convient de rappeler la teneur de cet article. L'ancien article 1384 alinéa 1er dispose que « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde ». La réforme du droit des obligations a renuméroté cet article qui est aujourd'hui l'article 1242 alinéa 1er du Code civil.

En effet, les deux arrêts viennent appliquer cet article. L'arrêt du 16 juin 1896 est la première décision qui reconnaît la valeur normative de cet article. L'arrêt du 13 février 1930 est un arrêt de cassation prononcé au visa de l'ancien article 1384 alinéa 1er du Code civil. Ces deux arrêts illustrent comment la jurisprudence s'est emparée de l'ancien article 1384 alinéa 1er pour lui donner des conséquences juridiques qui, au départ, n'étaient pas prévues par le législateur. L'arrêt du 13 février 1930 a réaffirmé l'arrêt du 16 juin 1896 en venant confirmer que l'article 1384 alinéa 1er trouvait à s'appliquer dans ce type d'espèce ou une machine cause un accident et un préjudice à une victime, personne physique. L'arrêt du 13 février 1930 réaffirme aussi l'arrêt du 16 juin 1896 en ce qu'il engage la responsabilité civile du propriétaire de la machine.

B. L'engagement de la responsabilité du propriétaire de la chose

On peut voir dans l'arrêt du 13 février 1930, une réaffirmation de l'arrêt du 16 juin 1896 en ce que l'arrêt du 13 février 1930 vient comme dans l'arrêt du 16 juin 1896, engager la responsabilité du propriétaire de la chose. Dans l'arrêt du 16 juin 1896, cela se manifeste par le fait que la chambre civile a rejeté le pourvoi du propriétaire de la machine, ce qui implicitement veut dire que sa responsabilité civile est engagée. La chambre civile va pour cela substituer ses motifs de droit à ceux de la Cour d'appel, la décision mal fondée de la Cour d'appel se trouve désormais validée par la juridiction au sommet de l'ordre judiciaire.

Dans l'arrêt du 13 février 1930, on engage la responsabilité du propriétaire de la chose en cassant l'arrêt de la cour d'appel qui voulait faire une distinction selon que la chose qui a causé le dommage soit actionnée par la main de l'homme ou non. Le propriétaire de la chose, un véhicule terrestre à moteur en l'espèce, est responsable de l'accident. Les deux arrêts viennent comme le montre cette sous-partie engager la responsabilité du propriétaire de la machine.

L'arrêt du 13 février 1930 est une réaffirmation de l'arrêt du 16 juin 1896, mais c'est aussi un prolongement de l'arrêt du 16 juin 1896, ce que nous allons démontrer maintenant.

II. L'arrêt du 13 février 1930 comme un prolongement de l'arrêt du 16 juin 1896

On peut voir dans l'arrêt du 13 février 1930, un prolongement de l'arrêt du 16 juin 1896 pour 2 séries de raisons : cet arrêt est une énonciation d'une présomption de responsabilité (A) et c'est un arrêt fondateur de la responsabilité du fait des choses (B).

A. L'énonciation d'une présomption de responsabilité

L'arrêt du 13 février 1930 est un prolongement de l'arrêt du 16 juin 1896 d'abord, en ce qu'il énonce une présomption de responsabilité. En effet, l'arrêt du 16 juin 1896 reconnaît la responsabilité civile du propriétaire de la chose qui cause l'accident sur le fondement de l'ancien article 1384 alinéa 1er, l'arrêt du 13 février 1930 va puis loin en disant qu'il y a une présomption. Les chambres réunies le matérialisent dans l'arrêt en posant un attendu de principe qui est le suivant : « Attendu que la présomption de responsabilité établie par cet article (1384 du Code civil) à l'encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé un dommage à autrui ne peut être détruite que par la preuve d'un cas fortuit ou de force majeure ou d'une force étrangère qui ne lui soit imputable ; qu'il ne suffit pas de prouver qu'il n'a commis aucune faute ou que la cause du fait dommageable est restée inconnue ». L'arrêt vient poser une présomption simple dans la mesure où le propriétaire de la chose peut s'exonérer en prouvant qu’il s'agit d'un cas de force majeure ou d'un fait d'un tiers.

Cette présomption va plus loin, car désormais il y a une présomption à l'égard de la personne propriétaire de la chose, ce qui n'était pas le cas dans l'arrêt du 16 juin 1896. C'est pour cela que l'on parle de prolongement en ce que dans l'arrêt du 13 février 1930, on va plus loin que dans l'arrêt du 16 juin 1896.

B. Une décision fondatrice de la responsabilité du fait des choses

L'arrêt du 13 février 1930 est un prolongement de l'arrêt du 18 juin 1896, ensuite, en ce qu'il fonde la responsabilité du fait des choses. Dans la décision du 18 juin 1896, il y a une intention évidente de punir civilement celui qui est propriétaire de la machine. L'arrêt ne vient pas dire qu'il existe une responsabilité spécifique, il vient dire que les juges du fond ne pouvaient appliquer la responsabilité du fait des bâtiments menaçant ruine. La chambre civile vient juste corriger l'erreur commise par la cour d'appel pour que la décision que prononce la cour d'appel soit conforme au droit.

Dans l'arrêt du 13 février 1930, on va plus loin en disant pas seulement que l'article 1384 alinéa 1 (1242 alinéa 1 aujourd'hui) du Code civil s'applique, puisqu'on dit que cet article pose une responsabilité du fait des choses dont une des conséquences est la présomption dont on a parlé plus haut. La Cour de cassation a été au bout du processus qu'elle avait enclenché dans l'arrêt du 18 juin 1896, en rendant l'arrêt du 13 février 1930, l'article 1384 alinéa 1er ancien du Code civil n'est pas seulement applicable, il est le fondement de la responsabilité du fait des choses et d'une présomption de responsabilité du propriétaire de la chose qui est considéré comme le gardien de cette chose et est tenu de réparer les dommages que cause cette chose.


Sources :

- Droit des obligations, Muriel Fabre-Magnan, 4e édition, Thémis PUF
- Droit des obligations, Philippe Malaurie, Laurent Aynès, Philippe Stoffel-Munck, 11e édition LGDJ