Dans les faits, il s'agit d'une loi qui avait pour effet de prévoir une consultation de la population en Nouvelle-Calédonie. Il a été expressément prévu que les fonctionnaires et les expatriés ne pourraient pas participer à la consultation ou du moins s'ils n'étaient pas présents sur l'île depuis plus de dix ans. Cette consultation populaire a donc fait l'objet d'une loi et de décrets d'application de celle-ci.

Mrs Sarran et Levacher, et autres, ont attaqué un décret, acte administratif, car pour eux celui-ci était contraire à la Convention européenne des Droits de l'Homme. Le juge administratif est donc compétent pour contrôler la conformité de la loi - conventionnalité - par rapport à l'engagement international pris par la France.

Au sein de la Constitution du 4 octobre 1958, il faut savoir que la Nouvelle-Calédonie dispose d'articles et, précisément, il avait été noté dans ces articles que la consultation populaire "se fera dans les conditions prévues par la loi". Donc, la loi qui organise cette consultation se trouve dans les dispositions de la Constitution... Y a-t-il ou non conformité de la Constitution par rapport à l'engagement international, et donc, la Convention européenne des Droits de l'Homme ?

Pour rappel, le Conseil d'État accepte de contrôler la conventionnalité des lois et donc la conformité d'une norme inférieure, la loi, à une norme supérieure, le traité international. Toutefois, dans cet arrêt la question qui se pose ne concerne pas une telle conventionnalité ou non d'une loi, mais bien de la Constitution elle-même. Il s'agit donc de s'intéresser à la conformité de la norme constitutionnelle par rapport à la norme conventionnelle.


Donc, quelle est la place respective de la Constitution ainsi que des conventions internationales dans la hiérarchie des normes en droit français ?


Une primauté proclamée par la Haute juridiction administrative

La Haute cour énonce expressément et en ces termes limpides dans son arrêt que "la suprématie conférée aux engagements internationaux ne s'applique pas, dans l'ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle".

C'est par cette énonciation que le Conseil d'État a décidé que la Constitution française serait la norme suprême et que les traités ou "engagements internationaux" seraient pour leur part placés inférieurement dans la hiérarchie des normes. Cette affirmation est d'ailleurs faite en contradiction directe avec la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (cf. COSTA c/ ENEL, 15 juillet 1964) qui prévoit la primauté du droit communautaire sur les droits nationaux des États membres.

Il faut donc comprendre qu'il y a une forme de subordination entre la constitution et les engagements internationaux. Si une telle suprématie n'est pas réellement nouvelle (cf. KONÉ, C.E., 3 juillet 1996), elle est cependant explicitement exprimée dans le cas d'espèce.

Donc, au plan interne, les engagements internationaux sont inférieurs, hiérarchiquement, par rapport à la Constitution, norme supérieure.

La justification de la décision ainsi rendue

Pour comprendre la justification de la décision rendue par le Conseil d'État, il faut précisément lire l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958.

Ainsi, l'article 55 prévoit une hiérarchie entre la Constitution et un traité international. Cette hiérarchisation entre des normes supérieures aux lois est exprimée en faveur non pas de l'engagement international, mais en faveur de la Constitution, car si le traité était contraire à elle, il ne pourrait pas être ratifié. Le traité a donc une autorité supérieure à la loi et non à la Constitution. Une telle décision est aussi compréhensible en ce que la Haute cour administrative française tient sa légitimité de la Constitution elle-même et rien moins que cela. Donc, elle n'aurait eu d'autre choix que de s'y confirmer. Comment aurait-elle pu en décider autrement ? Après tout, le juge administratif n'est pas juge constitutionnel...

Le juge administratif ne juge pas la conformité d'un traité à la Constitution

Il est revenu aux juges du Conseil d'État, dans cet arrêt, de décider qu'il n'appartient pas au Conseil d'écarter une loi constitutionnelle en appuyant leur décision sur un engagement international liant la France.

Il est vrai que la limpidité de la décision ne fait aucun doute, le Conseil d'État n'a reconnu seulement que la Constitution française faisait écran entre l'acte administratif dont il était question et les traités internationaux. Il n'a rien déclaré quant à une potentielle conformité ou non d'une norme constitutionnelle par rapport à une norme conventionnelle (et donc issue d'un traité). Il ne revient donc pas au juge administratif de déclarer une telle norme conforme ou non à la Constitution, norme suprême. Il revient en réalité au Conseil constitutionnel de connaître d'une telle possibilité et seulement lui peut contrôler la constitutionnalité d'une norme conventionnelle (par rapport à la Constitution).


Sources : Conseil d'Etat ; Revue générale du droit ; Droit administratif - l'angle jurisprudentiel, Manuel Gros, octobre 2012, L'harmattan, collection Logiques ; Juridiques Regards sur le droit de l'Union européenne après l'échec du Traité constitutionnel (p73), Jean Rossetto


Les articles suivants peuvent vous intéresser :

Contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité
Le Conseil constitutionnel : un rôle politique ou juridique ?
Décryptage de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution
L'arrêt Arrighi du Conseil d'État du 6 novembre 1936 : la théorie de la loi-écran