Présentation de l'arrêt Perruche

Dans le cas d'espèce ici jugé et rapporté par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 17 novembre 2000, alors que Mme Perruche était enceinte de son fils Nicolas, sa fille est atteinte de la rubéole. Quelques semaines plus tard, la future mère présente des symptômes qui ont laissé penser qu'elle serait, elle aussi, atteinte par la rubéole. Cette maladie étant potentiellement grave pour le foetus, son médecin a par conséquent procédé à des recherches d'anticorps. Il s'avère dans les résultats d'analyses, à tort, que la future mère est immunisée contre la maladie. Celle-ci avait néanmoins préalablement communiqué à son médecin sa décision de procéder à une interruption volontaire de grossesse si les tests effectués étaient positifs. Après la naissance de son fils, le 13 janvier 1983, celui-ci présente des symptômes qui s'avéreront être ceux d'une rubéole qui n'a pas été détectée et qui fut bien contractée par sa mère.

Les parents du jeune Nicolas décide alors d'engager une procédure en responsabilité du médecin, mais aussi du laboratoire et des assureurs de ce dernier en ce que les fautes qui ont été commises par eux ont fait croire à la mère qu'elle n'était pas porteuse de la maladie. Le versement d'indemnités sera prononcé par le tribunal de grande instance, ce dernier reconnaissant par là la commission d'une faute. Un peu moins d'un an plus tard, la cour d'appel de Paris en date du 17 décembre 1993, vient elle aussi confirmer l'existence d'une faute. Pour l'arrêt, seul le préjudice supporté par les parents, d'avoir un enfant handicapé, doit être réparé et décide de condamner in solidum le médecin et le laboratoire. Les juges du fond refusent effectivement l'indemnisation de leur enfant pour vie dommageable ou vie préjudiciable. Les séquelles, dont le fils des époux Perruche souffre, ont pourtant pour seule et unique cause la rubéole qui lui a été transmise par sa mère alors qu'elle était enceinte.

Contrariés par cette décision et agissant au nom de leur fils, en tant qu'administrateurs légaux de ses biens, les parents du jeune Nicolas décident alors de former un pourvoi en cassation et lors de son arrêt rendu le 26 mars 1996, la Cour de cassation en sa première chambre civile annule l'arrêt rendu par la cour d'appel, au visa de l'article 1147 du Code civil, en ce que le jugement n'a pas considéré que les fautes médicales qui ont été commises sont en lien de causalité directe avec le dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole contractée par la mère. La Cour répare, de ce fait, le préjudice subi par l'enfant. L'affaire est donc ensuite renvoyée devant la cour d'appel d'Orléans qui, le 5 février 1999, refuse à son tour l'indemnisation de l'enfant dans la mesure où ce dernier ne subit pas un préjudice qui serait dû aux fautes commises par les professionnels de santé qui ont pris en charge sa mère...

Par conséquent, pour la cour d'appel de Paris et la cour d'appel de renvoi d'Orléans, il n'existe pas de préjudice réparable pour le jeune Nicolas Perruche en ce que le handicap qui fut révélé à sa naissance était congénital, mais aussi antérieur aux différents diagnostics qui furent posés et qui avaient failli à le révéler.

Face aux résistances des juridictions inférieures, la Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, le 17 novembre 2000 s'empare de la question et casse et annule l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans au visa des articles 1165 et 1382 du Code civil, en ce que lesdites fautes qui furent commises dans l'exécution des contrats passés entre la mère et le médecin et le laboratoire ont empêché celle-ci de procéder, à son choix, à une interruption volontaire de grossesse afin d'éviter que son enfant à naître ne soit pas atteint d'un handicap. Nicolas Perruche peut donc, pour la Haute juridiction, demander la réparation du préjudice qui résulte de son handicap et qui est causé par les fautes en question. Il s'agit ici précisément, pour la première fois, de la reconnaissance en termes clairs pour l'enfant né handicapé d'être indemnisé de son propre préjudice. L'Assemblée plénière décide également de renvoyer l'affaire devant la cour d'appel de Paris.

La question bien épineuse à laquelle l'Assemblée plénière eut à répondre lors de cet arrêt pourrait être formulée de la manière suivante : dans quelle mesure le fait d'être né et atteint d'un handicap constituerait-il un préjudice réparable pour l'enfant ?

La Cour de cassation reconnaît la réparation d'un nouveau préjudice (I), mais fait abstraction du lien de causalité (II) dans sa motivation.

Exemple de plan de commentaire de l'arrêt

I. La reconnaissance de la réparation d'un nouveau préjudice

Les fautes à la fois médicales, mais aussi contractuelles commises par le médecin et le laboratoire d'analyses furent à l'origine de préjudices non seulement pour les parents (A), mais aussi pour leur enfant, né handicapé (B).

A. La réparation du préjudice subi par les parents

Une question fortement intéressante se pose à la lecture de cet arrêt : dans quelle mesure la naissance peut-elle donc constituer un dommage ? Le préjudice pour les parents réside dans le fait d'avoir un lien de filiation qu'ils n'ont pas désiré avec leur enfant ou, tout au moins, le fait de ne pas avoir eu cette possibilité qui leur aurait permis de choisir ce lien si maladie du foetus il y avait.

B. La reconnaissance d'un préjudice de vie

Ainsi, un individu dispose-t-il du droit de naître ou au contraire de ne pas naître ? Vivre ou ne pas vivre ? Y-a-t-il chance ou malchance de naître handicapé ou de se voir supprimer sa vie ? Des lois bioéthiques datant de 1994 répondaient déjà, plus ou moins, à ces questions, mais limitaient l'interruption volontaire de grossesse "aux affections d'une particulière gravité".

Cet arrêt soulève une autre question tout aussi importante. Il est constant en droit français que pour se prévaloir d'un droit, il faut en être titulaire. Est-ce le cas de l'enfant à naître ? Il est bien sûr le destinataire du diagnostic, certes faux dans le cas d'espèce, mais il n'en est pas pour autant sujet de droit... Octroyer un préjudice de vie ne reviendrait-il pas à préférer la mort à la vie ? La mort vaudrait-elle alors mieux que la vie ? Pourtant, le Code civil renseigne aujourd'hui par rapport à ces questions, en effet, l'article 16-3 pose le principe selon lequel la vie n'a pas de prix...

Certes, une grande partie du débat repose sur l'indemnisation du préjudice subi par les parents, mais aussi par l'enfant handicapé, toutefois il ne faut pas oublier de souligner cette absence, déplorable, du lien de causalité dans la motivation de la Cour de cassation.

II. Un lien de causalité absent de la motivation

En faisant fi du lien de causalité (A), la Cour de cassation a porté le débat sur une question et a suscité nombre de questions, mais aussi de nombreuses critiques (B).

A. L'économie du lien de causalité

La position de la Cour de cassation dans cet arrêt est bien curieuse, car faire cette économie du lien de causalité revient à déplacer la discussion entre les parties sur le préjudice des parents, mais aussi de l'enfant.

Alors, se pose la question suivante, après constat que la naissance d'un enfant handicapé peut, de façon circonstanciée, constituer un préjudice pour ses parents qui avaient, et de façon préalable, manifesté cette envie de ne pas accueillir un enfant handicapé : sa vie d'handicapé constitue-t-elle vraiment un préjudice indemnisable ? La Cour de cassation, en son Assemblée plénière, en tout cas décide de ne réparer que le dommage qui résulte du handicap.

B. Des questions posées par ces constatations

Admission d'un nouveau préjudice indemnisable. La Cour de cassation, pourtant, n'ose le dire directement. Mais elle l'admet... Nombreuses furent alors les critiques à voir le jour.

En reconnaissant ce type d'indemnisation, la Cour de cassation a fait couler beaucoup d'encre. Peut-être plus que la vie d'un handicapé, son existence toute entière, la Cour a considéré comme préjudice le fait d'être venu au monde.

La vie des handicapés ne mérite-t-elle pourtant pas d'être vécue ? Telle fut la question alors posée par des associations de défense des handicapés. Ces dernières ont vu en cet arrêt une affirmation selon laquelle il valait mieux mourir que de vivre lorsqu'un individu est handicapé...



Pour clore l'exposé de cet arrêt, il n'est pas illogique de se poser la question d'un éventuel et nouveau principe de responsabilité qui gommerait l'exigence du lien de causalité entre le fait générateur de responsabilité et le dommage dont se plaint la victime, cette exigence étant pourtant indispensable lorsqu'il s'agit d'engager la responsabilité d'un individu... En faisant abstraction de cette exigence, la Cour n'avait pourtant souhaité qu'une chose, ou tout du moins ce qu'il est possible de comprendre en faisant la lecture de cet arrêt : orienter le débat judiciaire sur l'indemnisation des victimes du fait de leur préjudice... Quoi qu'il en soit, aujourd'hui torpillée, cette jurisprudence a eu le mérite de pousser les gouvernants à légiférer en la matière.


Sources : Senat.fr, Persée, Union des familles, Eleves, « Exercices, droit des obligations : sources, contrats, responsabilités » de Marie Bénédicte Guillet


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