Quels sont les faits de l’espèce et la problématique posée ?

Le 18 juin 1989 a eu lieu l’élection des représentants français à l’assemblée européenne, élection qui s’est tenue aussi bien en France métropolitaine que dans les départements et territoires d’outre-mer (ci-après les DOM-TOM). Le sieur Nicolo estime que cette élection est intervenue en contradiction avec des traités internationaux et partant, demande à ce qu’elles soient annulées. Pourquoi ? Car d’après lui les DOM-TOM n’appartiennent pas au continent européen et partant, les citoyens français qui y résident ne peuvent valablement voter dans le cadre d’une telle élection. 

Plus précisément, la loi du 7 juillet 1977 relative aux élections des représentants français au Parlement européen contrevient aux dispositions de l’article 227-1 du Traité de Rome, la première prévoyant que « le territoire de la République forme une circonscription », les secondes que ce traité « s’applique à la République française. » La lecture que le sieur Nicolo en a fait est la suivante : le traité ne s’intéresse pas aux DOM-TOM, la loi en question est donc contraire à l’article 227-1 susmentionné, et donc, les élections doivent nécessairement être annulées. 

Toutefois cette lecture des textes est erronée et ce du fait du principe d’indivisibilité de la République française : en vertu des articles 1er et 72 de la Constitution du 4 octobre 1958, les DOM-TOM appartiennent pleinement à la République française. De ce fait, la loi française de 1977 ne contrevient pas à un traité international : la requête ainsi formulée devant le Conseil d’Etat est rejetée. 

Le problème de droit réside véritablement dans le contrôle de la conformité d’une loi française par rapport à un traité international. Se posait donc la question de savoir si le Conseil d’Etat est ou pas compétent afin de contrôler cette conformité ? 

Cette question est d’une importance remarquable car jusqu’à cette même décision, la Haute juridiction refusait catégoriquement de procéder à un tel contrôle (et ce, depuis la décision CE, Syndicat général des fabricants de semoules de France, 01/03/1968), considérant que la loi qui intervient postérieurement à un traité international revêt la nature de l’expression du dernier état de volonté générale formulé. Autrement dit, même si la loi n’est pas comptable avec un traité international, celle-ci intervenue postérieurement au premier doit être appliquée. Un peu plus tard, c’est le Conseil constitutionnel dans sa décision IVG (du 15 janvier 1975) qui décida qu’il ne lui revient pas la compétence de connaitre d’une pareille hypothèse. Selon ce dernier, son seul rôle est de contrôler la constitutionnalité des lois et non leur conventionnalité, cette tâche revenant au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Cette dernière se reconnut finalement compétente pour procéder à ce contrôle, par sa décision Jacques Vabre, du 24 mai 1975. 


Le Conseil d’Etat continua de se considérer comme incompétent pour connaitre de ce contrôle. Ce constat força finalement le Conseil constitutionnel à rappeler ce qu’il avait jugé en 1975 : il revient à l’une ou l’autre des juridictions (Conseil d’Etat et/ou Cour de cassation) de procéder à ce contrôle. Le Conseil d’Etat devait donc revenir sur ses principes…

Comment comprendre la solution rendue par le Conseil d’Etat ? 

Dans notre cas d’espèce, la requête formulée par le sieur Nicolo est rejetée par le Conseil d’Etat. Pour lui, les dispositions de la loi française ne sont en rien incompatibles avec le traité international. Pour ce faire, il se fonde sur le contenu de l’article 55 de la Constitution qui dispose que les traités internationaux ont « une autorité supérieure à celle des lois ».

Cette décision constitue le tout premier arrêt dans lequel le Conseil d’Etat s’adonne au contrôle de conventionnalité d’une loi nationale par rapport à un traité international. Sa jurisprudence antérieure est donc abolie : le juge administratif est en mesure de contrôler la conformité d’une loi interne par rapport à un traité international, même si la loi est intervenue postérieurement à celui-ci. 

Cette décision est importante en ce qu’il est ainsi mis un terme à la théorie de la loi-écran considérant la situation juridique des traités internationaux : dorénavant, un traité international prime nécessairement sur une loi, même si celle-ci lui est postérieure. Cette théorie impliquait pour le juge administratif qu’il ne pouvait pas apprécier de quelque manière que ce soit une loi -qu’il s’agisse du contrôle de la conformité d’une loi par rapport à un traité international, voire encore du contrôle de la conformité d’un règlement par rapport à un traité international pour le cas où celui-ci était pris en application d’une loi. L’on comprend donc, de cette théorie, que la loi faisait en vérité écran entre le règlement en question et le traité international en cause. 

Il convient immédiatement de noter après cette constatation, et non des moindres, que le Conseil constitutionnel demeure incompétent pour connaitre de la conformité d’un acte administratif par rapport à la Constitution française (cf. CE, Arrighi, 06/11/1936). Quand bien même cet acte serait contraire, jamais le juge administratif ne saurait en écarter son application. 

Dans cette décision Nicolo, les juges du Conseil d’Etat ont fait application des dispositions de l’article 55 de la Constitution : les traités régulièrement ratifiés disposent d’une autorité supérieure à l’autorité des lois françaises. Partant, peu importe que la loi soit ou non intervenue avant ou après la conclusion d’un traité international, elle doit obligatoirement être écartée si elle est en conflit avec ce même traité. De fait, au sein de la hiérarchie des normes, le droit international est donc bien supérieur à la loi.

Références

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007742504/

https://www.conseil-etat.fr/decisions-de-justice/jurisprudence/les-grandes-decisions-depuis-1873/conseil-d-etat-assemblee-20-octobre-1989-nicolo

https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/colloques-et-conferences/il-y-a-30-ans-l-arret-nicolo-petite-histoire-d-un-grand-arret

https://www.jurixio.fr/arret-nicolo-1989/