En l’espèce, le directeur de région d’une société a été nommé gérant, au début de l’année 1990 d’une de ses filiales. Cette nomination s’est accompagnée d’un engagement de non-concurrence pour une durée de trois ans à compter de la cessation de ses fonctions. En somme, en cas de non-respect de cette clause, la clause de non-concurrence s’accompagnait du versement d’une lourde indemnité. À la fin de l’année 1990, la filiale s’est transformée en société anonyme, la SARL PIC et les fonctions du gérant ont pris fin. Le 15 mars 1991, le conseil d’administration l’a nommé directeur général. Il est ainsi précisé qu’il est « mis fin sans contrepartie et sans indemnité à tout contrat de travail ayant pu exister entre la société et l’intéressé ». Le directeur général de la filiale démissionne un an plus tard et crée une société concurrente, la société ORSI. La société PIC l’assigne alors en dommages et intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence signée au début de l’année 1990.
La décision des premiers juges n’est pas indiqué. Néanmoins, la cour d’appel d’Amiens a considéré que l’obligation de loyauté liant le directeur général et se rattachant au contrat de travail de ce dernier avait pris fin le 15 mars 1991. La SARL PIC forme alors un pourvoi en cassation aux motifs que « la novation ne se présume point ; il faut que la volonté de l’opérer résume clairement de l’acte » et que l’article 1382 du code civil avait été violée.
Ainsi, il est demandé à la Haute Juridiction si la clause de non-concurrence n’était pas vidée de toute force légale par novation ?
Dans un arrêt rendu le 24 février 1998, la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation, au visa de l’article 1382 du code civil censure le raisonnement de la Cour d’Appel d’Amiens aux motifs qu’elle n’a pas « vérifié de façon concrète » si le directeur général n’avait pas violé son « obligation de loyauté à l’égard de l’entreprise » dont il a successivement été le gérant et le directeur général.
Pour rendre cette décision, la Haute Juridiction d’une part, s’est intéressée à l’extinction de l’obligation de loyauté par l’intermédiaire du principe de novation (I) et d’autre part, a élargi son étendu (II).
I. Les éléments constitutifs à l’origine de l’extinction de l’obligation de loyauté par novation
L’extinction de l’obligation de loyauté du dirigeant par novation s’accompagne de l’existence d’un contrat de travail (A) et de la volonté du dirigeant de nover (B).
A. L’exigence d’un contrat de travail antérieur à la novation
L’obligation de loyauté découle du principe de bonne foi reconnu à l’article 1104 du code civil. Ainsi, selon la Haute Juridiction, pour qu’il y ait exécution d’un contrat de bonne foi, il faut nécessairement, qu’il y ait un contrat de travail à exécuter.
Par définition, il ne peut y avoir extinction d’obligation par principe de novation sans obligation à éteindre. En droit des obligations, la spécificité de ce principe demeure « dans le lien entre la création d’une obligation nouvelle et l’existence d’une obligation préexistante que l’obligation nouvelle a précisément pour objet de faire disparaître ». Par conséquent, pour qu’il y ait novation, il faut que l’obligation à éteindre par novation ne le soit pas au moment où la nouvelle obligation est consacrée.
En somme, le pourvoi en l’espèce refusait la possibilité pour l’intéressé d’avoir conservé le bénéficie d’un contrat de travail à la suite de sa nomination en tant que gérant de la SARL PIC au motif qu’il ne peut y avoir de cumul qu’« à la condition que le salarié exerce des fonctions techniques distinctes de celles inhérentes au mandat lui-même ».
Enfin, en matière de cumul régulier de contrat de travail, il est revenu à la Jurisprudence de définir les contours des conditions de régularité . Sur cette question, la Haute Juridiction retient que « les fonctions de salarié de la société doivent correspondre à un emploi effectif, c’est-à-dire distinct des fonctions dévolues normalement à la gérance et donnant droit, en principe, à un salaire venant en complémentarité de la rémunération attachée à la gérance ».
S’ajoute à l’existence d’un contrat de travail antérieur, la volonté du dirigeant de nover (B).
B. La volonté du dirigeant de nover
Il n’existe pas d’opération juridique qui soit par nature novatoire, par conséquent, aucune novation ne peut intervenir à l’insu des parties. En effet, le principe de novation suppose une renonciation du créancier à la créance primitive, en raison de sa fonction extinctive .
En pratique, l’intention de nover résulte expressément de l’acte établi par les parties entendu comme preuve. Néanmoins, il n’est pas nécessaire, pour que la novation produise des effets, qu’elle soit exprimée formellement. Il suffit qu’elle soit certaine comme le précise l’article 1271 du code civil. En effet, l’intention de nover « résulte clairement de l’acte ».
Toutefois, dans l’hypothèse où la volonté n’est pas formellement exprimée, il appartient au juges du fond d’apprécier de manière souveraine l’intention réelle des parties à l’acte s’attachant principalement aux « faits et actes intervenus entre les parties » . Les magistrats peuvent alors fonder leurs convictions sur des éléments extrinsèques tout comme sur des éléments intrinsèques à l’acte instrumentaire constatant la convention novatoire.
En conséquence de l’étude des éléments constitutifs à l’origine de l’extinction de l’obligation de loyauté par novation (I), il est nécessaire d’étudier le respect de l’obligation de loyauté par l’ancien dirigeant (II).
II. Le respect de l’obligation de loyauté par l’ancien dirigeant
Le dirigeant doit respecter son obligation de loyauté durant toute la durée de l’exercice de ses fonctions (A) et même lorsque ses fonctions ont pris fin (B).
A. Le respect de l’obligation de loyauté durant l’exercice des fonctions du dirigeant
Par nature, les fonctions sociales du dirigeant sont incompatibles à ce que ce dernier puisse faire usage de ses pouvoirs de directions à des fins contraires à l’intérêt de la société qu’il dirige. En somme, résultant du principe de bonne foi, il lui est interdit de manquer à son obligation de loyauté qui implique nécessairement de ne pas concurrencer la société qu’il dirige durant toute la période de son mandat social. Ainsi, en cas de manquement à cette obligation et même si elle n’a pas été stipulée de manière expresse, un dirigeant peut se voir sanctionné. En effet, il serait difficilement acceptable que le dirigeant d’une société puisse représenter les intérêts de celle-ci et dans le même temps la concurrencer sans que cela n’ait pour effet de créer une confusion entre intérêt social et intérêt personnel de ce dernier .
En outre, la Jurisprudence a précisé le contenu de cette obligation. Ainsi, « un gérant démissionnaire manque à son devoir de loyauté envers son ancienne société lorsqu’il crée avant son départ une société nouvelle ayant une dénomination et une activité identique à celle dont il était précédemment le gérant » . Par ailleurs, l’obligation de loyauté est violée lorsque le dirigeant utilise ses pouvoirs actuels dans le « but d’organiser la mise en place et l’exploitation de sa future activité concurrente ». Ainsi, il ne peut « user des prérogatives pour délier les salariés de la société de leur obligation de non-concurrence pour faciliter leur débauchage à venir » .
L’idée qui se dégage dans cet argumentaire est que le dirigeant d’une société ne peut être considéré à la fois comme dirigeant et dans le même temps comme concurrent en raison de ses anciennes fonctions.
Enfin, selon Me VATINET « lorsque l'activité déloyale est initiée en cours de mandat social et se poursuit après la cessation des fonctions sociales, l'action en concurrence déloyale est alors plus apte à appréhender et sanctionner la faute commise avant et après la rupture des relations contractuelles ». En d’autres termes, « le recours à l'article 1382 du Code civil permet un traitement unitaire et indifférencié de la faute car, en pareille hypothèse, ce sont les usages du commerce qui ont été méconnus plus que les obligations d'un contrat qui, lors de l'appréciation des faits, a déjà pris fin » . Il semblerait que la chambre commerciale partage cet avis.
Le respect de l’obligation de loyauté doit se faire même après la cessation des fonctions du dirigeant (B).
B. Le respect de l’obligation de loyauté postérieurement à la cessation des fonctions du dirigeant
Le dirigeant de société doit respecter le principe d’obligation de loyauté post-contractuelle. Cette idée suppose que le dirigeant social ne doit pas à l’avenir réaliser des actes ou de comportements de concurrence déloyales à l’égard de son ancienne entreprise.
Par ailleurs, il est possible de rapprocher la situation de l’ancien dirigeant avec celui du salarié ne faisant désormais plus parti de l’effectif de son entreprise. En effet, dans ces hypothèses, ils disposent tout deux d’informations privilégiées en raison des anciennes fonctions qu’ils occupaient. Ainsi, comme l’a écrit Mme VATINET, ils « n'ont pas à user de stratagèmes particulièrement habiles pour détourner une clientèle ou désorganiser une production » .
Néanmoins, la liberté de concurrence ne s’oppose pas à ce qu’un ancien dirigeant recrute des salariés de l’entreprise qu’il a anciennement dirigé sous réserve de ne pas être tenus ou de ne plus être tenus par une obligation de non-concurrence.
Enfin, le caractère déloyale de la concurrence résulte des moyens employés, des actes ou comportements du dirigeant. Il est ainsi aisé d’affirmer qu’il est plus facile pour un ancien dirigeant d’user d’actes ou de comportements déloyales à l’égard de son entreprise dès lors qu’il a appartenu à cette entreprise .
RÉFÉRENCES
Répertoire de droit civil, « Bonne foi - La bonne foi postcontractuelle - Philippe le TOURNEAU ; Matthieu POUMARÈDE - Janvier 2017 (actualisation : Avril 2019 »
Revue des sociétés, « Concurrence déloyale et obligation de loyauté de l’ancien dirigeant - Marie-Laure Coquelet - Rev. Sociétés 1998. 546 »
Revue des sociétés, « Concurrence déloyale et obligation de loyauté de l’ancien dirigeant - Marie-Laure Coquelet - Rev. Sociétés 1998. 546 »
Sur l’ensemble de la question : V. B. PETIT, Rép.Sociétés Dalloz, v° Cumul d’un contrat de travail et d’un mandat social
Cass. soc. 21 jull. 1981 : Bull. civ. V, n°723 ; Paris, 18 mars 1993 : Rev. sociétés 1993. 660 ; Bull. Joly 1993.685, note P. Le Cannu ; Cass. soc. 2 févr. 1994 : Bull. Joly 1994.383
Fiches d’orientation Dalloz - Novation - Novembre 2021
Cass. com. 14 févr. 1972 : Bull. civ. IV, n°55 ; Cass. com. 31 janv. 1983 : Bull. civ. IV, n°44 ; Cass. com.19 oct.1993 : Bull.civ. IV, n°340
Y. PICOD, obs. Paris 10 nov. 1992, D. 1994. Somme. 75 ; Adde : A. VIANDIER, note sous Cass. com. 6 mai 1991, D. 1991. 609 ; B. SAINTOURENS, note sous Cass. com. 7 juin 1994, Bull. Joly, 1994.1232.
Cass. com. 7 juin 1994 : Rev. socités 1995.275, note R. Vatinet ; Bull. Joly 1994.1234, note B. Saintourens ; Adde : Paris 10 nov. 1992 : D. 1994. Somme. 75, obs. Y. Picod
Cass. com. 7 mai 1980 : Bull. civ. IV, n° 179.
R. VATINET, note prec., p. 280 in fine.
R. VATINET, note prec., p. 280
R. VATINET, note sous Cass. com. 7 juin 1994 : Rev. sociйtйs 1995.275