Les faits sont les suivants : la direction d’un opéra-comique s’est vu confié une mission de réalisation de spectacles de théâtre par une autorité ministérielle. Des conflits apparaissent au sein de la direction, fonction occupée conjointement par M Gheusi et Messieurs Isola.
Le service public est une activité exercée dans un but d'intérêt général et réalisée par une personne publique ou sous son propre contrôle. Il se concrétise par mise en œuvre de prestations matérielles, financières ou encore intellectuelles.
Une procédure en annulation d’une décision prise à l’encontre de l’un des dirigeants, Monsieur Gheusi, est engagée et soulève la problématique suivante : l’activité exercée par un théâtre peut-elle être reconnue comme un service public et ainsi relever de la compétence de la juridiction administrative ?
La notion de service public a évolué et sa définition s’est affermie. L’arrêt Gheusi marque un tournant dans l’histoire jurisprudentielle et enrichit la compréhension des principes régissant cette notion. Cet arrêt apporte une définition plus précise de la notion de service public (I) et reconnait la culture comme éligible à la qualification de mission d’intérêt général (II).
I - L’arrêt GHEUSI apporte une définition plus précise de la notion de service public
Avec l’arrêt Gheusi, la notion de service public se précise. En effet, le Conseil d’Etat précise comment définir les missions d’intérêt général (A) mais aussi comment évaluer la nature des missions d’intérêt général (B).
A - Cet arrêt réaffirme la nécessité de contrôle d’une autorité publique
La notion de service public se définit comme un ensemble de moyens humains et financiers constitués en organisation pour la réalisation d’une activité au sein de l’administration. Si l’intervenant peut être une personne privée, il doit nécessairement être placé sous la vigilance d’une personne publique.
La qualification de service public d’un théâtre avait été écartée en 1916 dans l’arrêt Astruc (CE, Arrêt du 7 Avril 1916) parce que l’activité se pratiquait sans aucune intervention de la personne publique. Au contraire, dans l’arrêt Gheusi, la qualité de service public est reconnue à l’opéra-comique parce qu’il existe un lien juridique : la concession. La gestion de l’activité est donc bien contrôlée par une personne publique.
L’arrêt cite les deux directeurs nationaux du théâtre en notant expressément l’« acceptation par eux des clauses et conditions contenues dans un cahier des charges » tout en relevant que cet arrêté n’avait « ni pour but ni pour effet de conférer à ceux qu’ils visaient la qualité de fonctionnaire ».
Ainsi les directeurs agissaient sous l’autorité d’une personne publique. L’arrêt relève d’ailleurs que des « relations quotidiennes entre le théâtre et l’administration des Beaux Arts » étaient entretenues et que l’autorisation du théâtre pouvait être retirée le cas échéant par l’administration.
L’instance de jugement conclue par ces observations et par la constatation d’un « contrat de concession » la compétence du juge administratif et en l’espèce du Conseil d’Etat. Cet arrêt réaffirme donc le lien entre service public et juridiction administrative, entériné précédemment par l’arrêt Blanco de 1873.
B - Cet arrêt précise la nature des missions d’intérêt général et reconnait leur caractère évolutif
Un critère, d’ordre quant à lui matériel, prévoit que le service public est par nature une activité qui doit impérativement satisfaire un besoin d’intérêt général. Le Tribunal des conflits avait par son arrêt « Loiseleur » du 24 Novembre 1894 consacré ce principe.
En vérifiant la présence des éléments constitutifs d’une mission d’intérêt général, le CE en précise les contours par cet arrêt de 1923.
Les stipulations du cahier des charges qui conduit l’action de l’opéra-comique avait pour objectif d’assurer « l’intérêt général, la qualité artistique et la continuité de l’exploitation ».
Certaines missions sont qualifiées de droit d’intérêt général, à l’instar de la justice, la défense, la formation ou encore la santé. Cette jurisprudence étend le champ des missions d’intérêt général en reconnaissant que la notion d’intérêt général peut toucher aussi d’autres domaines, en fonction des besoins sociétaux et des progrès technologiques.
En effet, une évolution dans la qualification est actée en l’espèce puisque le caractère d’intérêt général est reconnu alors qu’il ne l’était pas précédemment. Dans cet arrêt, la culture apparait comme répondant à un besoin d’« intérêt général » à travers la mise en œuvre de spectacles de théâtre. La nature même des missions d’intérêt général n’est donc pas figée et peut être modulée par les conceptions sociétales mais aussi le développement des politiques publiques.
II - En estimant la culture éligible à l’attribution d’une mission d’intérêt général
Cet arrêt constitue un revirement jurisprudentiel en consacrant aux spectacles de théâtre un caractère d’intérêt général relevant d’un service public (A), même si cette consécration reste relativement modeste dans son champ d’application (B).
A - Le Conseil d’Etat effectue un revirement en reconnaissant que les spectacles de théâtre peuvent revêtir un caractère d’intérêt général
Alors que le Conseil d’Etat avait en 1916 dans l’arrêt Astruc refusé de reconnaître au théâtre public la qualification de service au Théâtre des Champs Elysée, il change de position juridique quatre ans plus tard avec la consécration de la mission d’intérêt général réalisée par des institutions culturelles, et notamment de théâtre.
Dans cet arrêt de 1923, c’est la première fois que le Conseil d’Etat reconnait que la culture peut être considérée comme une mission d’intérêt général. Il est clairement stipulé que le cahier des charges dès son article 1 mentionnait la nécessité de diriger avec « la dignité et l’éclat qui conviennent à un théâtre national ».
B - L’extension de la notion de service public demeure cependant contenue
Cette décision du Conseil d’Etat constitue un revirement de position mais le juge reste prudent et prend des précautions de rappel du cadre entourant la notion de service public. En effet, le Conseil d’Etat énumère de façon détaillée les éléments qui en l’espèce justifient la reconnaissance du service public.
Il cite expressément la concession gratuite des locaux, la promesse d’une subvention annuelle, les dispositions détaillées à l’égard des engagements et les programmes des spectacles, la fixation d’un tarif maximum des places, le contrôle de l’activité par un représentant de l’État.
Par ailleurs, si le Conseil d’État évoque bien le terme de service public, il ne consacre pas pour autant celui de « service public culturel ». Il faut dire qu’en 1923 les politiques publiques sont encore timorées en matière de culture. Il faudra attendre la fin de la seconde guerre mondiale pour voir le développement d’une véritable politique de service public culturel.