La Cour est amenée dans cet arrêt à traiter de pratiques sadomasochistes qui ont eu lieu dans le cadre privé, mais qui ont débouché sur des blessures portant donc atteinte à l'intégrité physique d'une personne, ce qui a justifié la saisine des instances juridictionnelles belges malgré l'absence de plainte de la victime. Une condamnation a eu lieu suite à ces événements, sans plainte de la victime des violences, ce qui correspond donc à une ingérence dans la vie privée des participants aux actes. Suite à l'expiration des moyens de recours internes en Belgique, un recours a été porté auprès de la Cour qui a donc dû juger de ces faits, et en particulier du traitement fait par les Cours belges de ces faits d'incitation à la débauche, et de coups et blessures volontaires d'après les solutions précédemment retenues. Les pratiques sadomasochistes semblaient ainsi, selon les Cours de première instance, entrer en contradiction totale avec la protection de la dignité humaine et de l'intégrité corporelle des individus, malgré la reconnaissance éventuelle de leur consentement à la violence perpétrée.

Dans quelle mesure est-il possible pour les pouvoirs publics d'interférer dans la vie privée des citoyens pour assurer la protection de leurs libertés fondamentales, et notamment de leur intégrité physique ?

Dans un premier temps, il convient d'aborder la question de l'autonomie de la vie privée, qui rattache alors la sphère de liberté au consentement notamment, ainsi qu'à l'autonomie et à la latitude de choix dont doit disposer tout individu, avant d'aborder dans un second temps la question de leur devancement par les libertés fondamentales, justifiant la limitation de la liberté individuelle ainsi que l'intervention non sollicitée de l'autorité étatique.

 

I. L'autonomie de la vie privée

La sphère de la vie privée implique dans un premier temps la liberté de la vie sexuelle, et donc des pratiques qui peuvent y être réalisées, notamment sous l'angle du consentement et de l'autonomie du choix offert aux individus.

A. La liberté des pratiques consenties

L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme mentionne dans l'un de ses premiers articles le droit à la vie privée en tant que liberté fondamentale qui doit être assurée en tout temps pour tous les individus. Ce principe essentiel du droit national comme Européen conduit alors à penser à un certain absolutisme de ce droit. Toutefois, certaines ingérences sont permises, notamment par l'intervention des États dans la vie privée lorsque l'intérêt public le justifie, et cela peut alors s'étendre aux pratiques sexuelles. Malgré le développement d'une liberté sexuelle assez large dans ces domaines, le droit conserve certains principes pour assurer la protection des individus y compris dans ces domaines qui ne répondent a priori pas de la seule liberté des parties. La Déclaration des droits de l'Homme, elle aussi, mentionne ce principe de liberté en posant le principe selon lequel «  tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit ». Cette dernière phrase peut alors non seulement être interprétée en la faveur d'un droit à la vie privée très étendu, mais également d'impératifs supérieurs de protection de la dignité humaine lorsque celle-ci est bafouée par l'exercice des libertés individuelles. En l'espèce, il est également question de la vie privée des parties puisqu'il s'agit de faits condamnables qui ont été découverts du fait de la récupération de vidéos détenues par les participants aux actes, et donc dans le cadre privé.

 

B. La question du consentement et de l'autonomie de choix

Outre la question de la vie privée en tant que principe général, la Cour a été amenée à se prononcer sur l'imputabilité du préjudice subi par la victime au regard du consentement de celle-ci à la violence des actes en question. En effet, en l'absence de tout consentement de celle-ci, l'intervention de l'État semblerait totalement justifiée eu égard à la protection de son intégrité physique et morale puisqu'elle n'aurait pas consenti aux actes. Dans les faits cependant, la personne violentée avait tout d'abord affirmé son consentement, avant de revenir sur cette décision face à la violence des pratiques utilisées par les deux partenaires, et a alors tenté de les arrêter et de faire cesser les violences sadomasochistes à son encontre. Ainsi, le consentement, même s'il a été réuni avant et au début de la réalisation de ces pratiques, doit toujours être réitéré et pouvoir être vérifié tout au long des faits, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce, et peut donc justifier une protection exorbitante de la victime, qui peut alors être qualifié comme telle. Les juridictions belges ont toutefois été plus sévères, et ont en effet estimé sur ce plan que le consentement n'avait pas d'incidence sur la qualification des coups et blessures. Selon celles-ci, les actes étaient donc condamnables eu égard à l'intégrité de la victime, peu importe si elle y avait consenti dans un premier temps ou non.

 

II. Les libertés fondamentales placées au premier plan

Dans certains cas, les libertés fondamentales semblent placées au-dessus des libertés individuelles et de la vie privée des individus, en lui imposant certaines limites, et en justifiant l'intervention d'un tiers extérieur, les juridictions étatiques en l'espèce.

A. Les limites de la liberté individuelle

Si la liberté individuelle est présentée par la majorité des textes de loi et de la doctrine comme un principe a priori absolu, celui-ci peut connaître des limitations, notamment du fait de la liberté d'autrui, qui ne doit pas être entravée par un usage extensif, mais aussi de l'ordre public qui doit être protégé en premier lieu. Dans les faits de l'espèce par exemple, il était question de la violence extrême des pratiques sadomasochistes des individus, ayant entraîné des blessures considérées comme des « blessures volontaires » par la Cour, sur un tiers. C'est alors ce fait qui a provoqué l'intervention de la justice pour venir protéger la victime des faits, sans considération de sa volonté de voir son préjudice réparé ou non. Il s'agit donc bien en l'occurrence d'une violation de sa vie privée, ainsi que de celle des autres individus ayant participé aux actes puisqu'aucune de ces trois personnes n'a souhaité divulguer la vidéo de façon volontaire. Néanmoins, cette intervention semble justifiée du fait que les deux hommes s'adonnaient à des pratiques d'une violence particulière envers la femme, et ont continué à lui infliger de telles maltraitances malgré le retour de celle-ci sur son consentement initial. Cela a donc permis aux juridictions belges de reconnaître à la fois un élément intentionnel par la poursuite des actes, et matériel, par la présence de lésions corporelles chez la victime.

 

B. L'ingérence étatique pour la préservation de considérations morales

Dans un second temps, la Cour européenne justifie l'intervention des juridictions belges dans l'affaire de l'espèce, a priori circonscrite à la sphère du droit sur la vie privée, par la nécessaire préservation des principes moraux liés aux libertés fondamentales. En effet, ces libertés doivent être assurées en tout temps et pour toute personne, même dans l'éventualité où un individu ne semblerait pas vouloir faire appliquer sa propre liberté et ses propres droits dans une situation donnée, comme il semble être le cas ici, la victime des faits n'ayant pas invoqué son droit à l'intégrité pour se plaindre de la tournure des événements et de ces pratiques. L'affaire de l'espèce semble alors consacrer une forme de pénalisation de ces pratiques sadomasochistes, notamment du fait de leur proximité avec la torture et l'usage de la violence contre une victime, qui doit toujours être réprimée. Ce cadre de la liberté de la vie sexuelle présente en effet des risques de dérive du fait de la trop grande autonomie personnelle, consacrée dans sa dimension la plus absolue et qui peut permettre ce genre de dérives en toute impunité. Ainsi, la Cour pose le principe selon lequel la liberté sexuelle, au titre de la sphère de la vie privée, peut être dépassée par des impératifs de protection des libertés fondamentales ou encore de l'intérêt général et peut justifier cette forme d'ingérence. Il s'agit donc plus particulièrement ici de la protection de la santé et de la morale de la victime, en lien avec son intégrité physique, qui est garantie par les textes fondamentaux tant privés qu'internationaux. Enfin, une telle atteinte à la vie privée doit toujours répondre à deux critères essentiels, à savoir la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte, qui sont ici remplies en l'espèce et ne peuvent donc pas donner lieu à la contestation de cette ingérence par les individus.