Quels sont les faits de l’espèce ?
Dans notre cas d’espèce ici jugé et rapporté, il était question d’un individu qui avait mis en vente des photographies faites par un artiste connu mais à un prix dérisoire. Un acquéreur en fit plusieurs acquisitions alors qu’il avait connaissance de ce prix inférieur à leur valeur. Cependant le vendeur le découvrit et décida d’assigner l’acquéreur en nullité des ventes effectuées pour dol.
Au titre de la procédure, les juges de la Cour d’appel de Versailles décidèrent que l’acquéreur devait s’acquitter de la valeur réelle des biens acquis. À cela, mécontent, ce dernier décida de se pourvoir en cassation.
Dans notre décision commentée, il est fait mention par la Cour d’appel que l’acquéreur connaissait la valeur réelle des photographies en cause, ce dernier ayant déjà vendu de tels objets par le passé. Néanmoins il les acheta à un prix dérisoire auprès du vendeur. Pour la Cour d’appel, il méconnut donc son obligation de contracter de bonne foi. Ce faisant, par la réticence dont il fit preuve, l’acquéreur aurait surpris le consentement du vendeur. Ce dernier a donc contracté alors qu’il ne l’aurait pas fait s’il avait en effet eu connaissance du prix réel.
Quel était le problème en droit en l’espèce ?
La Cour de cassation eut à répondre à la question de savoir si un acquéreur est contraint d’informer un vendeur au regard de la valeur réelle d’une prestation contractuelle ?
Le fait pour l’acquéreur de garder silence concernant cette valeur revêt la nature d’une réticence dolosive résultant sur le prononcé de la nullité du contrat conclu ?
Quelle fut la décision de la Cour de cassation ?
Au visa de l’article 1116 du Code civil, les juges de la première Chambre civile décidèrent de casser la décision rendue en appel. Pour eux, il n’existait pas d’obligation d’information qui pèse sur un acquéreur. Ce faisant, l’acquéreur n’est par conséquent pas reconnu comme étant l’auteur d’une réticence dolosive.
Il convient de noter ici que des principes gouvernent la conclusion des contrats. En effet le contrat est librement négocié et son contenu est déterminé librement, sous réserve de la bonne foi des cocontractants. Ceci étant dit, on voit que cette question de bonne foi avait été mise en avant par les juges d’appel. L’acquéreur n’a pas démontré de bonne foi car il a volontairement caché la valeur réelle des biens acquis. Pour autant, la première chambre civile ne s’inscrivit pas dans cette logique.
En vérité, l’intérêt de notre arrêt réside dans la qualification juridique du silence gardé par l’acquéreur. Ce même silence pourrait-il revêtir la nature d’un dol même si chacune des parties contractuelles sont libres de s’informer sur la valeur des biens considérés ? Cette question n’est pas dénuée de sens puisque même si la Cour, en l’espèce, répondit par la négative, ce silence pourrait-il constituer une telle réticence dolosive ?
Dans une décision du 15 janvier 1971, elle considéra qu’il est des cas où des circonstances peuvent résulter sur une telle qualification lorsque le silence est gardé.
Dans l’arrêt Baldus, la Cour de cassation sous le prisme de la liberté contractuelle considère que celle-ci gouverne les parties dans leur volonté de conclure ensemble, selon des termes qu’ils choisissent. Il leur revient donc de procéder à l’ensemble des recherches nécessaires afin de conclure un contrat correspondant à leurs attentes; elles en sont libres.
Toutefois le silence est problématique parfois. Ainsi concernant le dol, constitutif d’un vice du consentement, il est impossible de garder le silence pour l’une ou l’autre des parties, ni même mentir ou mettre en place des manœuvres dans le but de surprendre le consentement de l’autre partie et donc la volonté de la tromper, au sens de l’article 1137 du Code civil. Aussi, concernant l’obligation précontractuelle d’information, au sens de l’article 1112-1 du Code civil, l’une des parties qui connaît une information déterminante pour l’autre partie est dans l’obligation de la lui communiquer (si elle ignore celle-ci ou bien si elle a légitimement confiance en elle). Ces constations étant effectuées il faut bien retenir que la valeur est inopérante.
Lorsque fut rendue notre décision commentée, l’article 1116 ancien du Code civil ne s’intéressait pas à la réticence dolosive : le dol était alors uniquement constitué par des manoeuvres. Le silence peut-il être une manœuvre ? La Cour répondit par la négative, et donc, le silence n’est pas dolosif ici.
Finalement, intéressons-nous à la portée de cette décision. Celle-ci ne fut pas remise en cause. D’ailleurs elle fut même confirmée dans une décision ultérieure rendue par la troisième chambre de la Cour de cassation, en date du 17 janvier 2007. Il revient alors au vendeur de s’intéresser à la valeur du bien en cause. Au surplus, il nous faut également retenir que cet arrêt et les règles posées furent introduits au sein du Code civil, aux articles 1112-1 et 1137. De la sorte et depuis la réforme de 2016, le fait pour un cocontractant de ne pas révéler à l’autre partie la valeur de la prestation en cause ne saurait revêtir la nature d’un dol, ni même encore un quelconque manquement à une obligation précontractuelle d’information.
Références
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007043587/
https://www.cheuvreux.fr/wp-content/uploads/2018/10/Emilien-Chakri-Jurisprudence-BALDUS-à-lheure-de-la-réforme-du-droit-des-contrats.pdf
https://www.liste-avocats.com/arret-baldus/
https://aurelienbamde.com/2017/02/17/reticence-dolosive-et-reforme-des-obligations/