Cette jurisprudence, qui précise les critères d’identification d’un service public, même en l’absence de prérogatives de puissance publique, marque un tournant majeur dans la reconnaissance des services publics. 

En assouplissant les critères précédemment établis, le Conseil d’État a permis de mieux refléter la réalité des missions d’intérêt général confiées à des organismes privés, même si cet assouplissement pose des questions sur la nature et les limites de la notion de service public.

Contexte et rappel des faits

La genèse de l’arrêt APREI pour : Association du Personnel Relevant des Établissements pour Inadaptés, trouve son origine dans un contentieux relatif à l’activité d’un organisme privé gérant un établissement pour personnes handicapées. 

Plus précisément, le litige portait sur la reconnaissance de son activité comme un service public, alors que l’organisme ne disposait d’aucune prérogative de puissance publique.

Concernant le cadre jurisprudentiel, avant cet arrêt, la reconnaissance d’une activité comme service public était principalement fondée sur les critères issus de l’arrêt Narcy du 28 juin 1963, à savoir :  

  • La mission d’intérêt général ;

  • Le contrôle exercé par une personne publique ; 

  • La détention de prérogatives de puissance publique.

 

Mais en pratique, la dernière condition était devenue restrictive, limitant la reconnaissance de certains services pourtant évidemment publics.

La décision du Conseil d’État

Dans l’arrêt APREI, en statuant que « si l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées constituait une mission d’intérêt général, il résulte toutefois des dispositions de la loi du 30 juin 1975, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le législateur a entendu exclure que la mission assurée par les organismes privés gestionnaires de centres d’aide par le travail revête le caractère d’une mission de service public », les juges du palais royal confirment que l’absence de prérogatives de puissance publique n’empêche pas de qualifier une activité comme service public. 

Cette reconnaissance peut intervenir lorsque les critères suivants se trouvent cumulativement réunis :

  • Une mission d’intérêt général est identifiée ;
  • L’activité est assurée sous le contrôle d’une personne publique ;
  • L’intention de la personne publique de confier cette mission à l’organisme privé est clairement établie.

 

En outre, le Conseil d’État introduit des critères supplémentaires, par une approche pragmatique, complétant les critères de l’arrêt Narcy, valorisant ainsi l’analyse contextuelle, permettant d’englober des situations variées.

Portée et implications juridiques

L’arrêt APREI offre une clarification bienvenue, en rétablissant une certaine cohérence dans la reconnaissance des services publics.  

Depuis cette décision, les organismes privés exerçant des missions d’intérêt général peuvent être qualifiés de services publics, même sans prérogatives de puissance publique.

En termes de conséquences pratiques, les établissements et associations privés peuvent, en fonction de leur mission et du contrôle exercé par une personne publique, se voir imposer des obligations liées à la gestion d’un service public, et par conséquent, être soumis aux règles de droit public, voire au contrôle du juge administratif.

Les limites et critiques de l’arrêt

Si l’assouplissement des critères est salué, il engendre également des interrogations sur les limites de la définition du service public. 

En effet, certains voient dans la jurisprudence issue de l’arrêt APREI, un risque de banalisation, dénaturant la notion de service public, car bien que le critère des prérogatives de puissance publique, établi comme principe par l'arrêt reste fondamental pour qualifier une activité de service public, son importance tend à s'effacer au profit de l'analyse par faisceau d'indices, que les juges administratifs privilégient de plus en plus.

Un arrêt du 10 juin 2013 du Conseil d’État illustre justement cette évolution, en ce qu’il a d'abord été examiné, à travers le faisceau d’indices, si l’activité en question relevait d’un service public, avec notamment la prise en compte de l'intérêt général de l'activité, le contrôle exercé par l’administration, les obligations imposées à la personne privée et les mesures visant à vérifier l’atteinte des objectifs fixés. Ce n’est qu’ensuite qu’il a été constaté que le législateur avait attribué à la personne privée des prérogatives de puissance publique.

Par ailleurs, la question s’est également posée de savoir si les associations ou établissements privés devaient se préparer à des contraintes supplémentaires si leur activité se trouvait être qualifiée de service public, notamment en matière de responsabilité et de transparence.

Perspectives juridiques

Malgré ses critiques, l’arrêt APREI n’est pas sans perspectives puisque l’approche par les juges du palais royal a influencé de nombreuses décisions postérieures, notamment dans des secteurs où le partenariat entre public et privé est prédominant (santé, éducation, logement).

Même si les débats à propos de l’arrêt APREI sont cristallisés autour du sujet de la délégation au secteur privé et préservation des caractéristiques fondamentales du service public, la jurisprudence administrative continue de chercher cet équilibre.

Références 

  • Conseil d’État, Ass., 22/02/2007, APREI, n°264541 ;

  • Conseil d’État, Sect., 28/06/1963, Narcy, n°74743 ;

  • Conseil d’État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 10/06/2013, 327375 ;

  • « Annales Droit administratif 2022 » - DALLOZ - Xavier Dupré de Boulois, 2021