Cependant, l'affaire initiale de cette expression a conduit à un procès en diffamation ayant abouti à un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 25 septembre 2019 (TGI Paris, 25/09/2019, n°18/00402).


Les faits et la procédure

Il s'agit d'un appel à la dénonciation des auteurs de faits de harcèlement sexuel, lancé par la journaliste Sandra Muller, le 13 octobre 2017. Les faits deviennent litigieux en ce qu'elle a poursuivi par le poste d'un autre message, dans lequel elle reproche de tels faits à Eric Brion, ancien patron de la société Equidia.

Le 15 janvier 2018, celui-ci l'assigne en diffamation, ainsi que la société La Lettre de l'Audiovisuel, devant la Chambre de la presse du Tribunal de Grande Instance de Paris, pour être indemnisé de l'atteinte à son honneur, voire supprimer le message litigieux sur le réseau social Twitter et la condamnation publiée. Il avance comme moyen que ce second message suivant le premier #balancetonporc ne pouvait pas en être distingué. Il lui reproche de l'accuser de harcèlement sexuel alors qu'elle n'apporte aucune preuve permettant d'établir des éléments constitutifs d'une telle infraction pénale au sens de l'article 222-33 du Code pénal ou au sens de l'article 1153-1 du Code du travail.

La défenderesse avance à son tour comme moyens qu'elle n'entendait pas employer le mot "harcèlement" dans son contexte infractionnel et juridique, mais comme simple expression courante.

Dans cette affaire particulièrement, il existe une confrontation entre le sens courant d'une expression utilisée et son sens juridique comme une infraction en matière pénale, qui permet de qualifier la diffamation.


Problématique

Il était donc demandé aux juges de savoir si le fait d'utiliser une expression courante, qualifiant pourtant une infraction en matière pénale, permet d'accuser une personne, au surplus un personnage public, de "harcèlement" ?


I : Le harcèlement juridique

La diffamation est une infraction pénale définie par l'alinéa 1er, de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 relatif à la liberté de la presse. La diffamation y est définie comme "toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur et à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé". Qu'il s'agisse d'une accusation directe ou indirecte, elle est appréciée dans son contenu et dans le contexte qui l'entoure.

Les juges du fond ont estimé que le message litigieux ne permettait pas de se contenter d'apprécier l'emploi de l'expression "harcèlement" au sens commun. En effet, le contexte a donné un sens juridique à l'usage de ce terme. Les juges ont souverainement apprécié que la proximité de temps entre la publication litigieuse et l'affaire Weinstein, dont le harcèlement est le sujet, n'était pas anodin. De plus, les mots "porc" et "balance" étaient suffisamment forts pour décrire une dénonciation.


II : La qualification de diffamation

Après cette analyse, les juges ont pu relever que le terme de harcèlement avait un emploi juridique. Ils ont ensuite pu s'attacher à la qualification de l'infraction de diffamation, par l'appréciation de la qualification de harcèlement au sens pénal et du code du travail. Les juges ont pu constater qu'il n'existait aucun lien de subordination, élément essentiel d'un contrat de travail, pouvant qualifier l'infraction énoncée par l'article 1153-1 du Code du travail.

Ensuite concernant l'infraction du Code pénal de harcèlement sexuel, elle ne pouvait non plus être qualifiée. Le message dénonçant le demandeur n'évoque pas de répétition ou le fait de faire "pression de manière grave" dans le but d'obtenir des faveurs sexuelles de la part de la journaliste. Ce qui a amené les juges à ne pas retenir une telle qualification pouvant être considéré comme une vérité. Celle-ci étant le moyen de défense ultime en matière de diffamation dont doit être apportée la preuve par le défendeur pour justifier les propos qu'il tient à l'encontre d'une autre personne (Article 55, Loi du 29 juillet 1881).

Le fait de pouvoir engager la réputation et l'honneur d'autrui demande que les propos soient sérieux, légitimes et puissent être complètement justifiés pour pouvoir être révélés dans un but d'intérêt général. Il ne doit en aucun cas s'agir d'attaques personnelles, ce qu'on appréciait les juges en ce qui concerne les mots employés par la défenderesse ("balance" et "porc" étant des termes particulièrement forts, ainsi que l'identification très spécifique du demandeur, tant dans son nom que les fonctions qu'il a pu exercer).

La Chambre de presse du Tribunal de Grande Instance de Paris a ainsi pu qualifier la diffamation dans l'absence de qualification de harcèlement sexuel ou au travail.


Bien que cette expression soit devenu un moyen de "libérer la parole des femmes", comme phénomène traduisant l'évolution des sociétés d'aujourd'hui. Cette affaire, notamment le jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris, démontre que cette "libération" peut entrer en confrontation avec ce qui est défini par la loi comme une infraction pénale. Les termes employés comme "harcèlement", s'ils sont utilisés dans leur sens courant, ont également une portée juridique importante.