La nécessaire adaptation de la légalité

Par principe, lorsqu’une autorité administrative prend une décision, elle se doit de respecter strictement le principe de légalité. Cependant, par la théorie des circonstances exceptionnelles, et par exception, l’autorité est autorisée à ne pas respecter la légalité sur deux plans : le plan formel et le plan matériel

En ce sens, concernant le plan formel, qui pour rappel intéresse aussi bien les règles de compétence que les règles de forme, il est possible pour l’autorité administrative de ne pas respecter les règles de compétences (cf. CE, Laugier, 16 avril 1948). Il est également de la sorte à l’égard des vices de forme. En cas de circonstances exceptionnelles, même en dépit d’une méconnaissance du respect des formalités, l’annulation de la décision n’est pas requise (cf. CE, Courrent, 16 mai 1941).


Maintenant, il est également intéressant de noter que cette théorie impact la légalité matérielle (qu’il s’agisse de l’objet même de l’acte, que ses motifs ou encore son but). De ce fait, même s’il existe des mesures prises qui, hors cas de circonstances exceptionnelles, seraient entachées d’illégalité par leur objet, dans notre hypothèse, celles-ci sont parfaitement acceptées. C’est par exemple le cas des mesures de police édictées à l’effet de diminuer les libertés (cf. CE, Dames Dol et Laurent, 28 février 1919 ou encore avec cette décision CE, Heyriès, 28 juin 1918). 


Enfin, retenons que cette théorie prétorienne peut, dans la pratique, résulter sur une modification de la qualification juridique de la mesure effectivement prise. C’est notamment le cas à l’égard de la mesure qui, par sa nature et si elle avait été prise en temps normal, constituerait une voie de fait, mais qui par l’application de cette théorie ne saurait finalement être considérée comme telle :  Tribunal des conflits, Dame de Lamurette, 27 mars 1952).

Bref, le constat est simple : la légalité est adaptée mais cette adaptation relève bien du juge administratif.

Le rôle actif du juge administratif dans cette adaptation

L’accroissement du pouvoir revenant à l’autorité administrative ne s’effectue pas n’importe comment en ce qu’il se fait sous le contrôle du juge. Ainsi, le droit est toujours présent, il est simplement ajusté. Le rôle du juge est donc important puisqu’il lui revient de vérifier qu’il existe des circonstances exceptionnelles lorsqu’il doit connaitre d’un cas d’espèce. 

Or, la définition même de circonstances exceptionnelles est équivoque : elle dépend des faits et les particularités juridiques demeurent flous. Néanmoins, il pourra tout d’abord être retenu que les circonstances exceptionnelles entrainent la reconnaissance d’une situation anormale : le droit positif classique ne saurait, en pareil cas, être utilisé. De plus, il conviendra qu’un intérêt général impose à l’autorité administrative d’intervenir (il pourra s’agir, entre autres, du maintien de l’ordre public, cf. CE, Delmotte et San Martin, 6 août 1915). Finalement, il est à retenir que l’action de l’autorité administrative doit s’effectuer par une autre voie, celle d’une procédure anormale. Autrement dit, il est à relever que pour le cas où l’autorité administrative aurait été en mesure d’agir autrement, c’est-à-dire agir en respectant la légalité et l’ensemble du droit positif classique, alors la notion même de circonstances exceptionnelles ne saurait être valablement acceptée et in fine appliquée (cf. sous ce rapport, CE, Lecoq, 7 janvier 1944 et CE, Delle Idessesse, 19 mai 1944). 

Dans un second temps, il est très important de bien garder en tête que le juge est bel et bien en capacité de limiter les pouvoirs effectivement détenus par l’administration. S’il est en effet véridique que l’application de cette théorie des circonstances exceptionnelles permet un accroissement de pouvoir, cet accroissement n’est pas considéré comme étant sans borne. Le rôle du juge est donc accru dans les cas d’espèce de la sorte en ce qu’il se doit de rechercher si l’autorité administrative, lorsqu’elle a décidé comme elle l’a fait, a bien usé de pouvoirs qui étaient non seulement nécessaires mais surtout adaptés au but recherché. Les pouvoirs qui reviennent en effet à l’administration sont spécifiés par le juge administrative et cette spécification est véritablement fonction de ce but recherché. Il ne saurait donc être considéré que ces pouvoirs sont exercés en dehors du droit : ces pouvoirs sont au contraire soumis au droit. A cet égard, notons que André de Laubadère considérait que ces pouvoirs, en pareille hypothèse, « sont liés par le juge ».

La situation ainsi que le but recherché sont donc pris en compte par le juge administratif lorsqu’il doit connaitre d’un cas d’espèce pouvant relever de cette théorie. Il est ici intéressant de se pencher en quelques mots sur l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 19 octobre 1962, l’arrêt Canal, Robin et Godot. Une loi de 1962 permettait au Chef de l’Etat d’arrêter par ordonnance l’ensemble des mesures de nature législative ou réglementaire inhérentes aux déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 concernant l’Algérie. Sur ce fondement, une ordonnance permit la création d’une Cour militaire de justice, dont les décisions ne pouvaient faire l’objet d’un recours. Pour ces requérants, ladite création était entachée d’illégalité en ce que les principes du droit pénal étaient méconnus. Pour le Conseil d’Etat, même si le Chef de l’Etat était bien autorisé à créer une telle juridiction spéciale, il ne lui était cependant pas possible de méconnaitre les principes précités. 

Précisions en fin de compte que ces pouvoirs d’exception ne sauraient être illimités dans le temps. Autrement, l’autorité administrative, si elle dispose en effet de pouvoirs exceptionnels, n’est en mesure de les exercer que pendant la durée desdites circonstances, non au-delà de celles-ci.

Références

https://www.revuegeneraledudroit.eu/blog/2013/08/17/droit-administratif-francais-deuxieme-partie-chapitre-1-section-v-2/

https://www.dalloz-actualite.fr/node/l-office-du-juge-administratif-face-l-extraordinaire

http://www.journal-du-droit-administratif.fr/les-autres-regimes-dexception-i-1/

https://www.lemondepolitique.fr/cours/libertespubliques/libertes/circonstances_exceptionnelles.htm