L’état d’urgence présente cette caractéristique, et l’avantage par rapport aux autres instruments de crise, de prospérer dans le cadre d’un exercice normal des pouvoirs ; son esprit visant à conférer de larges pouvoirs aux autorités administratives. Il offre un arsenal de mesures spécifiques comme l’assignation à résidence, qui demeurent sous le contrôle des juges.

L’état d’urgence n’est pas hors-la-loi dans la mesure où « la Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence pour concilier les exigences de la liberté et la sauvegarde de l’ordre public » (DC 11 mai 2020 n°2020-800). Alors qu’initialement, il ne pouvait être déclaré que par une loi, l’état d’urgence depuis 1960, est déclaré par décret en Conseil des ministres et ne peut être prorogé au-delà de 12 jours que par la loi.

 

I - L’état d’urgence : préservation ou mise en péril de l’État de droit ?

Le sujet invité à s’interroger sur le point de savoir si l’état d’urgence, régime d’exception, doit-il être lu comme préservation de l’État de droit ou comme sa mise en péril ?

La question est intéressante d’autant que l’état d’urgence dans sa version 2015-2017 présente un certain nombre de caractéristiques, comme sa rigueur et son inscription dans la durée, dont la combinaison laisse entrevoir des menaces sur les libertés et la démocratie.

Partir de l’État de droit : il s’agit de la garantie des droits, d’une part, et la séparation des pouvoirs, d’autre part.

Plan détaillé

I -  Les droits mis à mal par la loi du 3 avril 1955 

On peut relever :

  • L’assignation à résidence. Il s’agit d’une entrave et une limite à la liberté d’aller et venir. Depuis la loi du 20 novembre 2015, elle peut être assortie d’une astreinte à se présenter jusqu’à 3 fois par jour à un commissariat de police, du port du bracelet électronique voire d’une interdiction d’entrer en contact avec des personnes nommément désignées.

Son fondement repose sur l’existence de « raisons impérieuses de penser que le comportement d’une personne constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public ».

  • Les perquisitions administratives. Le CC avait jugé dans une décision du 2 décembre 2016, que les perquisitions permises par la loi de 1955 dans sa version antérieure aux modifications apportées par la loi du 20 novembre 2015 posaient problème tout en ménageant les pouvoirs publics qui ont ordonné, entre le 14 et 21 novembre 2015 plusieurs perquisitions en neutralisant l’inconstitutionnalité déclarée.


II - La séparation des pouvoirs battue relativement en brèche

  • Affaiblissement du Parlement
  • Rôle d’accompagnement du CE
  • Dégradation des garanties juridictionnelles, notamment le contrôle de constitutionnalité qui a été cantonné voire dégrader à la faveur de l’enracinement de l’état d’urgence.


Au Parlement, l’idée qui domine est celle qu’il serait irresponsable de saisir le CC. Se rappeler de Manuel Valls expliquant aux parlementaires qu’il est « toujours risqué » de saisir le CC explicitant par là le risque de voir annulées les perquisitions et assignations à résidence décidées.


 

II - L’état d’urgence et la séparation des pouvoirs

L’état d’urgence a pour principe conséquence d’entrainer une hypertrophie de l’exécutif emportant ainsi un pouvoir législatif encore plus affaibli. 

Il soulève également des questions du point de vue de la séparation des autorités juridictionnelles.

Plan détaillé

I - Les enjeux institutionnels

On constate une grande fragilité des contre-pouvoirs.

  • Le Conseil d’État accompagne davantage qu’il n’entrave. En réalité, les 5 avis remis par le CE sur chacun des projets de loi de prorogation sont tous des blancs-seings. Jamais il ne trouve rien à redire, ni sur le fait que les conditions exigées pour l’application de l’état d’urgence sont réunies ni sur le fond des mesures proposées.
  • Le Parlement est malmené. En effet, le Parlement a eu moins de 48 heures pour se prononcer sur chacune des 6 lois de prorogation. Nous noterons que c’est problématique car ces textes soulèvent d’importantes questions du point de vue des droits de l’homme et que plusieurs font bien davantage que simplement proroger l’état d’urgence…

 

II - Les enjeux juridictionnels

Dans sa version 2015-2017, l’état d’urgence a consolidé les compétences de principe du juge administratif. Mais il a d’un autre côté, altéré les contours de l’office du juge administratif, remettant à l’ordre du jour la porosité qu’il peut y avoir entre l’administration active et le juge administratif ; en effet, « juger l’administration, c’est encore administrer » …

 

III - L’état d’urgence menace-t-il la garantie des droits ?

Les interventions répétées du CC et du CE à qui il incombe de vérifier que les mesures sont « adaptées, nécessaires et proportionnées » (QPC, 22 décembre 2016) laissent entrevoir l’idée d’une menace sur la garantie des droits. Cette menace se matérialise par la diffusion notamment d’une logique de l’urgence allant au-delà du cadre de la loi de 1955.

Les problèmes qui sont liées à l’installation dans la durée d’un régime tel que l’état d’urgence :

  • Les lois de prolongation de l’état d’urgence contiennent des modifications du droit commun allant au-delà du cadre législatif spécifique de l’état d’urgence ;
  • Utilisation des mesures permises par l’état d’urgence à d’autres fins que celles pour lesquelles il a été déclenché ;
  • Diffusion d’une logique de l’exception dans l’ensemble de l’ordre juridique ayant pour conséquence une multiplication des règles restrictives des libertés.


On en veut pour illustration le fait que de nombreux actes administratifs restrictifs des libertés ont été pris entre 2015 et 2017 au visa de la loi de 1955 hors lutte contre le terrorisme. Exemple : la gestion de la « crise migratoire » à Calais où la préfète a multiplié les arrêtés qui sont pris au visa de l’état d’urgence…

Relever également la loi SILT du 30 octobre 2017 s’agissant de l’enracinement de l’état d’urgence dans la durée…

 

IV - Le contrôle du juge administratif est-il réellement à la hauteur des enjeux en termes de liberté ?

La question se pose en réalité de savoir si le triple test de proportionnalité fait ses preuves.

Bien expliciter ce triple test mais relever que le bilan est contrasté. Certains relèvent l’importance du rôle du juge administratif, sous l’impulsion du CE.

Tandis que d’autres sont plus sur la réserve. En effet, le standard du contrôle de proportionnalité sur les mesures de l’état d’urgence a été affirmé (CE, Sect., 11 décembre 2015, Domenjoud), cependant, il n’est pas toujours suivi.  

Ces mêmes auteurs soulignent l’évolution de l’office même du juge administratif qui a opéré à la faveur de l’état d’urgence, l’exploitation des données informatiques saisies lors de perquisitions administratives. Le juge est ici invité à délivrer des autorisations d’exploitation au vu des éléments révélés par la perquisition. 

Relever la loi du 19 décembre 2016 qui crée une autre procédure d’autorisation délivrée par le juge administratif en matière de renouvellement d’assignation à résidence ultra-longue durée. Un nouveau rôle participant d’une déjuridictionnalisation de l’office du juge administratif.

 

V - Vers une banalisation dans l’invocation de l’état d’urgence ?

La banalisation dans l’invocation de l’état d’urgence conduit à s’interroger sur sa généralisation, cf. sujet 3.

L’état d’urgence aujourd’hui est-il autant encadré et limité qu’il ne l’était initialement ?

Plan détaillé

I - Un régime dérogatoire attentatoire aux droits et libertés fondamentales

II - L’application récente critiquable de ce régime dérogatoire.