Les faits de l’espèce
Les faits remontent à l’automne 2011 : le requérant était alors candidat aux élections législatives pour le Front national dans la ville de Nîmes. Il posta sur son mur Facebook, ouvert à tout un chacun, une publication ventant le nouveau site internet de son parti et ironisant sur celui de son adversaire. Sous cette publication, deux internautes avaient alors publié des commentaires qui incitaient à la haine envers la communauté musulmane, considérant que l’insécurité dans la ville leur était directement due. Ces trois individus furent condamnés aussi bien en première qu’en deuxième instance. Ici, il convient de noter qu’il fut reproché au requérant de ne pas avoir « promptement retiré les messages litigieux ». Ce dernier, mécontent de cette condamnation pénale, décida d’interjeter appel, et, la Cour de cassation juga, à son tour, que l’infraction avait bien été caractérisée et que partant, la condamnation pénale dont il fit l’objet fut admise sur le fondement des limites qui peuvent légitimement être apportées à la liberté d’expression, telle qu’elle résulte des dispositions de l’article 10, §2, de la Convention européenne des droits de l’homme.Le requérant décida de ne pas en rester là et décida de saisir la Cour européenne des droits de l’homme, considérant que cette condamnation constituait une atteinte disproportionnée à l’exercice de sa liberté d’expression ; pour lui, encore, il n’aurait pas dû être condamné dans la mesure où les auteurs de commentaires en cause étaient non seulement identifiés mais aussi et surtout condamnés. Pour les juges, l’ingérence en cause pouvait tout à fait passer pour « nécessaire dans une société démocratique » (cf. arrêt Sanchez c/ France, 02/09/2021, n° 45581/15).
La liberté d'expression est-elle menacée ? - publié le 23/11/2022
L'article 2 de la Convention européenne des droits de l'Homme
Comment la France cherche-t-elle à équilibrer le droit à la liberté d'expression avec d'autres lois et droits fondamentaux à l'époque technologique ?
La Grande chambre de la Cour confirma que la Convention ne fut pas violée dans cette affaire. En l’espèce, la Grande chambre devait procéder à l’examen de trois points au regard de l’ingérence en cause dans l’exercice de la liberté d’expression du requérant, à savoir : l’ingérence en question est-elle prévue par une disposition législative ? L’ingérence en question poursuit-elle un but légitime ? Enfin, l’ingérence en question est-elle bel et bien nécessaire dans une société démocratique à la poursuite dudit but ?
Comment la Grande chambre s’est intéressée à la légalité de l’ingérence en cause ?
Les juges de la Grande chambre de la Cour ont retenu, au paragraphe 142, que les dispositions législatives françaises contenaient une formulation et une précision suffisantes compte tenu des dispositions de l’article 10 de la Convention, et ce, afin que le requérant soit en mesure de régler sa conduite au regard des circonstances de l’espèce. Selon ceux-ci, l’ingérence visait le but considéré comme légitime de protéger la réputation ou les droits d’autrui ainsi que d’assurer la défense de l’ordre d’une part, la prévention d’un crime d’autre part (cf. §144 de la décision). Cela dit, les juges se sont penchés sur la question de la nécessité ou non de l’ingérence dans une société dite démocratique. Ici, sans pouvoir entrer dans le détail, et pour ce faire, les juges ont rappelé une série de paramètres à prendre en considération à l’image du contexte électoral, la nature des discours ou encore la problématique de la responsabilité du fait des tiers sur interne (le titulaire d’une page accessible à tous peut être considéré comme responsable des messages à caractère haineux postés par des tiers).La Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH)
C’est bien après avoir pris en considération ces divers paramètres et après les avoir appliqués aux faits de l’espèce que les juges de la Grande chambre ont relevé que les commentaires en cause étaient non seulement illicites mais aussi que la nature de ces derniers ne pouvait être « camouflée ou minimisée » par le contexte particulier tenant à la période électorale durant laquelle ils furent postés (cf. §177 et 189 de la décision). Même si la Grande chambre rappelle que le requérant avait bien averti les internautes quant à la nécessité de surveiller le contenu des commentaires qu’ils pourraient poster, celui-ci n’a pas supprimer les messages litigieux, et n’a pas procédé à la vérification du contenu commentaires pourtant accessibles à tout un chacun sur sa page. Sous ce rapport, la Cour procède à un contrôle de proportionnalité qui tient compte de la portée de la responsabilité pouvant être appliquée au requérant, des obligations qui pèsent nécessairement sur un individu ayant un mandat d’élu local et candidat à ces fonctions.
Aussi, les juges ont examiné la position d’intermédiaire du requérant. Pour eux, les faits directement reprochés au requérant ne sont pas ceux reprochés aux auteurs desdits commentaires en cause, et donc, ces faits ne sauraient être régis par le même régime de responsabilité.
Finalement, la procédure judiciaire nationale n’a eu que peu d’impact sur le requérant en ce qu’il ne fut pas condamné à une peine d’emprisonnement mais uniquement au paiement d’une amende : celle-ci n’a pas eu pour effet de l’empêcher d’exercer son droit ni même de l’avoir ralenti dans sa carrière politique locale.
Compte tenu de ces éléments développés, la Cour européenne des droits de l’homme a ainsi décidé qu’il n’y avait pas eu méconnaissance et donc qu’il n’y avait pas eu violation du contenu de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour elle, l’ensemble des décisions rendues par les juridictions françaises ont été rendues sur le fondement de motifs qualifiés de « pertinents et suffisants », en tenant compte des éléments ci-dessus présentés. C’est en ce sens que la Cour déclara que l’ingérence en cause dans cette affaire « pouvait passer pour « nécessaire dans une société démocratique. » »