Les cohabitations dans l’histoire constitutionnelle de la Ve République

L’histoire constitutionnelle de la Ve République nous a montré qu’à trois reprises eurent lieu des périodes dites de cohabitation. La cohabitation est le résultat d’une différence de majorité entre la majorité présidentielle d’une part, la majorité parlementaire issue des élections législatives d’autre part. Du fait de cette divergence de majorité, le Chef de l’Etat n’a alors pas d’autre choix que de nommer un Premier ministre et un gouvernement qui bénéficie de la confiance de l’Assemblée nationale : en pareille hypothèse, il doit nommer un Premier ministre du camp politique opposé. La cohabitation est par conséquent constitutive d’un nouveau rapport de force entre le Chef de l’Etat et le Chef du gouvernement, résultant finalement sur des rapports de force modifiés entre eux. Notons en dernier lieu que bien qu’il s’agisse d’une situation somme toute exceptionnelle dans l’histoire de la Ve République, cette situation n’en reste pas moins remarquable par rapport au fait que, dans cette hypothèse, les règles constitutionnelles sont réellement respectées.

Quel est le rôle détenu par le Chef de l’Etat en cas de cohabitation ?

Cette question n’est pas dénuée de sens en ce qu’à l’issue des élections législatives dont le second tour aura lieu le dimanche 7 juillet 2024, la France pourrait de nouveau être amenée à connaitre une nouvelle période de cohabitation.

Supposée ou non, il est utile de commencer ce développement par le fait qu’en cas de cohabitation, le Chef de l’Etat, bien qu’il soit amené à revêtir la figure d’un arbitre du jeu institutionnel, il n’en demeure pas moins qu’il peut devenir en parallèle le chef de l’opposition. Ceci étant dit, il est utile de relever qu’il n’est pas attendu du Chef de l’Etat qu’il s’implique personnellement dans les luttes partisanes et qu’in fine il ne saurait être l’homme d’un parti au détriment d’un autre. Pourtant, en cas de cohabitation, il est clair que les orientations du gouvernement et ses propres orientations divergent, et alors, il pourrait se montrer bloquant.

Comment pourrait-il faire ?

Parce que le Chef de l’Etat préside le Conseil des ministres et parce qu’il participe à la fixation de son ordre du jour, il est en mesure d’exercer son droit de regard sur la politique effectivement menée par l’exécutif mais également à l’égard des projets de loi proposés ou encore concernant les décisions finalement arrêtées (tout ceci alors même que le Premier ministre continue de présider d’autres conseils et comités distincts).

Ici, il est important de noter que le Chef de l’Etat est en mesure de décider d’user de son pouvoir de signature ou bien de refuser de signer les ordonnances ou bien les décrets qui lui sont présentés. Ceci est rendu possible par le précédent du Président Mitterand qui avait refusé de signer des ordonnances : face à ce refus le Premier ministre de l’époque, Jacques Chirac, fut forcé d’utiliser la procédure législative ordinaire afin que les réformes envisagées soient en définitive adoptées.

Quid ici de la querelle des ordonnances ?

Pour faire simple, et à l’appui de l’article 13 du texte constitutionnel, il est prévu que le Chef de l’Etat signe les ordonnances. Or l’indicatif vaut impératif en droit constitutionnel français, et donc, par la compétence liée, celui-ci se doit de les signer.

Cependant, aucun délai n’est imposé par ces dispositions constitutionnelles au Chef de l’Etat, et ce dernier, en vertu de l’article 5 dudit texte, est l’interprète de la Constitution : cette pratique semble être validée puisque la responsabilité pénale du Chef de l’Etat n’a pas été mise en jeu et parce que le Conseil constitutionnel n’est pas intervenu à l’effet de la condamner. La même situation pourrait trouver à s’appliquer au regard des décrets délibérés en Conseil des ministres (même s’il faut préciser ici que cette situation ne s’est pour l’heure pas encore produite).

Nous pouvons également noter que le Chef de l’Etat est en mesure d’influencer la conduite de la politique du pouvoir exécutif par un usage particulier qu’il est libre d’exercer : la résistance. En effet, le Chef de l’Etat est autorisé de refuser l’ouverture d’une session extraordinaire si celle-ci lui est demandée par le Premier ministre, conformément aux dispositions de l’article 30 de la Constitution. Il peut aussi décider d’utiliser son pouvoir de fixation de l’ordre du jour de cette session extraordinaire en refusant tel ou tel projet de loi à l’ordre du jour. Enfin, le Chef de l’Etat est en mesure de bloquer toute révision de la Constitution puisque cette procédure implique l’accord cumulatif du Chef de l’Etat et du Premier ministre.

Il est en fin de compte intéressant de noter que les trois cohabitations connues jusqu’à maintenant dans l’histoire de la Ve République ont été vécues différemment : cette différence s’explique par le rapport de force entre le Chef de l’Etat et le Premier ministre et plus précisément par la nature des mesures envisagées par le gouvernement dans son programme.

Il n’en reste pas moins que le fait d’envisager une hypothèse de cohabitation n’est pas très heureuse dans la pratique, notamment du fait des responsabilités équivoques entre les deux têtes de l’exécutif ou bien encore du fait d’une paralysie envisageable des pouvoirs publics…