D'un point de vue purement général, sans s'intéresser à différentes distinctions, les domaines de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle sont différents. Dès lors qu'une situation intéresse deux ou plusieurs contractants, celle-ci est réglée par la responsabilité contractuelle tandis que dès qu'une situation intéresse un ou plusieurs contractants à un ou plusieurs tiers, la responsabilité délictuelle prendra le pas pour assurer le règlement du différend en cause. Il s'agit ici, cependant, d'une règle de principe ; il convient donc de nuancer ces règles de principe, notamment dans le cadre de cet article au regard de la situation des tiers, victimes d'un manquement contractuel.
La délimitation des domaines entre un tiers et un contractant
L'opposabilité du contrat par les tiers
Faute contractuelle et faute délictuelle : une contestation prétorienne
L'Assemblée plénière persiste et signe : identité des fautes contractuelle et délictuelle
La délimitation des domaines entre un tiers et un contractant
Dès qu'un différend intervient entre personnes non contractantes, le domaine naturel réside dans celui de la responsabilité extracontractuelle, la responsabilité délictuelle. Cette solution est pleine de bon sens puisque dans la mesure où il n'existe aucun contrat entre ces individus, il n'y a pas besoin de recourir aux règles de la responsabilité contractuelle.
Il se peut, d'autre part, qu'un tiers au contrat subisse un dommage du fait d'une mauvaise exécution contractuelle. Ici, une idée est mise en avant : celle de l'opposabilité du contrat et notamment celle de l'opposabilité du contrat par les tiers. Dans cette hypothèse, le tiers parce qu'il est directement et personnellement victime d'une inexécution, d'une mauvaise exécution contractuelle, de la part d'un contractant, est en mesure de s'en emparer afin de demander la réparation du ou des dommages qu'il a subis.
L'opposabilité du contrat par les tiers
Victime d'une mauvaise exécution du contrat par un des contractants, dans notre hypothèse, le tiers est en mesure de poursuivre le contractant débiteur.
Toutefois, différentes jurisprudences, différentes décisions à ce sujet, ont été prises par la Première chambre civile et par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. La question était la suivante : le tiers, victime personnellement d'une inexécution ou d'une mauvaise exécution d'un contrat, doit-il apporter la preuve de ce manquement ou doit-il apporter la preuve d'une faute délictuelle à son sujet ? Pour la première, point besoin d'apporter la preuve d'une faute délictuelle dont le tiers serait victime puisque le manquement contractuel suffit pour qu'il puisse poursuivre le contractant débiteur. Pour la seconde, toutefois, ce manquement contractuel ne devrait pouvoir être invoqué que par les parties contractantes et non les tiers, bien qu'ils puissent être, en pratique, victimes d'un manquement contractuel.
Cette opposition prétorienne a amené l'Assemblée plénière de la Cour de cassation à s'intéresser à la question et à y répondre clairement. C'est ce qu'elle fit dans un célèbre arrêt du 6 octobre 2006 (n 05-13.255), l'arrêt Myr'ho, lorsqu'elle considéra que la faute contractuelle dispose de la même valeur que la faute délictuelle à l'égard du tiers.
En d'autres termes, l'Assemblée plénière, en sa qualité de plus haute formation de la Cour de cassation, a considéré que la jurisprudence de la Première chambre civile était la bonne : si un contrat est mal exécuté ou n'est pas exécuté et que cela cause un dommage à un tiers, alors ce manquement contractuel dispose de la même valeur qu'une faute délictuelle au sujet du tiers, victime. Ici, le tiers n'a pas apporté de preuve particulière à son égard : en d'autres termes, les tiers au contrat n'ont pas à prouver qu'un manquement contractuel de la part d'un contractant débiteur a constitué une faute délictuelle. En ce sens, dès lors qu'un tel manquement contractuel a causé un dommage à un tiers, celui-ci peut l'invoquer sur le seul fondement de la responsabilité délictuelle si et seulement si ce manquement lui a causé un dommage.
Toutefois, cette identité des fautes contractuelle et délictuelle a fait l'objet d'une contestation prétorienne.
Faute contractuelle et faute délictuelle : une contestation prétorienne
Malgré la règle de principe érigée par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, les juges des autres chambres de la Cour ont pu, parfois, la remettre en cause.
En effet, dans un arrêt du 15 décembre 2011, la Première chambre civile (n 10-17.691) a purement décidé de refuser l'application de ce principe prétorien, retenant en ce sens que la Cour d'appel en cause n'avait pas caractérisé ce en quoi le manquement contractuel avait constitué une faute extracontractuelle à l'égard du tiers.
Ici, toutefois, il est intéressant de noter que la Première chambre civile a critiqué la situation avantageuse du tiers victime par rapport à la situation possible d'un contractant créancier. En effet, pour les juges de la Première chambre civile, le tiers victime, par opposition à un contractant créancier et victime d'un même manquement contractuel, peut s'en prévaloir sans même que lui soient opposées d'éventuelles clauses que comprendrait le contrat. Pour rappel, ces clauses seraient opposées au créancier contractuel...
Cette position prétorienne, qui s'inscrit en opposition nette avec l'arrêt du 6 octobre 2006 de l'Assemblée plénière, fut reprise par exemple dans un arrêt de la Troisième chambre civile du 18 mai 2017, n 16-11.203.
L'ensemble de ces décisions controversées furent mises à mal lors d'un arrêt rendu au début de l'année 2020 par l'Assemblée plénière...
L'Assemblée plénière persiste et signe : identité des fautes contractuelle et délictuelle
À l'occasion d'un arrêt rendu en date du 13 janvier 2020 (n 17-19.963), l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a persisté et signé au regard de l'identité de ces fautes contractuelle et délictuelle. Le principe érigé en 2006 est rappelé : dès lors qu'un tiers au contrat est victime d'un manquement contractuel et pour le seul cas où ce manquement lui a causé un dommage, alors le tiers a droit à réparation. L'Assemblée plénière en a profité pour rappeler que sans cette règle, les tiers pourraient ne pas se voir indemnisés des préjudices qu'ils auraient subis.
Par ailleurs, enfin, les juges de l'Assemblée plénière ont ajouté une précision en faveur de la situation des tiers : peu importe la nature même de l'obligation contractuelle méconnue par le contractant débiteur pour que le tiers puisse obtenir une réparation si ce manquement lui a causé un dommage. Dit autrement, il n'y a pas de distinction entre une obligation de résultat ou de moyen : si le tiers parvient à démontrer l'existence d'un lien de causalité entre le manquement contractuel en cause et le dommage qu'il a subi, il a donc droit à réparation.
Sources :
- Pour l'Assemblée plénière, le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, Albert Caston
- Arrêt n651 du 13 janvier 2020 (17-19.963) - Cour de cassation - Assemblée plénière
- L'opposabilité du contrat ou le corollaire du principe de l'effet relatif