Les combats politiques et juridiques de Robert Badinter
Si l’évocation de Robert Badinter devait être couplée à une avancée juridique et sociétale majeure en France, c’est bien celle contre la peine de mort. Il est intéressant de noter que cette abolition tient en quelques mots seulement au sein de l’article premier de la loi n° 81-908 du 9 octobre 1981. Bien que cette loi constitue une avancée remarquable pour la justice française, les conditions dans lesquelles elle fut votée au Parlement le sont également. Par ailleurs, l’automne 1981 marque le début d’une période compliquée pour le Garde des Sceaux de l’époque, vivement critiqué contre un certain laxisme qui n’était sûrement pas vrai lors de ses années d’exercice en qualité d’avocat. A la suite de ce combat et de ce vote historique, lui et sa famille avaient fait l’objet de menaces et d’insultes en tout genre, antisémites parfois.
- L'abolition de la peine de mort en France
- L'annulation de la peine de mort en France : un combat long et difficile
Ce qui est également notable, durant cette même période, est que rien ne l’empêcha finalement de poursuivre une modernisation de la justice et il marquera certainement le Ministère de la Justice du fait des avancées sociales et juridiques dont il fut l’instigateur et le fervent défenseur. Il suffira ici, à titre d’exemples non exhaustifs, de rappeler que Robert Badinter est à l’origine de la possibilité attribuée à tout un chacun de pouvoir saisir le Cour européenne des droits de l’homme ou bien encore l’instauration de l’Institut national d’Aide aux Victimes et de Médiation.
L’ancien occupant du n°13 Place Vendôme à Paris n’en est d’ailleurs pas resté là dans son combat pour une justice meilleure puisqu’il lui revient également d’avoir défendu et fait adopter la dépénalisation de l’homosexualité, ou bien encore de défendre activement l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation à l’occasion de la très célèbre loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, connue et étudiée en détails par les étudiants de deuxième année de licence de droit, et qui constitue en fin de compte et de manière tout à fait étonnante la seule et unique loi qui porte son nom.
- L'homosexualité et le droit
- Loi Badinter du 5 juillet 1985 - La responsabilité du fait des accidents de la circulation
Il est aussi intéressant de retenir que Robert Badinter participa activement à ce que des femmes puissent enfin accéder à de hautes fonctions judiciaires, à l’image de Simone Rozès qui devint, le 1er février 1984, la toute première présidente de la Haute juridiction de l’ordre judiciaire français, la Cour de cassation.
Finalement au cours de cette même période qui court de 1981 à 1985, Robert Badinter apprit que Klaus Barbie, ancien chef de la Gestapo à Lyon et responsable de l’arrestation, de la déportation et finalement de la mort de sa famille dans les camps de concentration, vivait en Bolivie. Il décida, non pas d’autoriser sa mise à mort de manière discrète sur place, car telle était bien la possibilité numéro une envisagée à l’époque, mais bien de le rapatrier sur le territoire national, pour qu’il soit jugé des faits qui lui étaient reprochés.
Pour Robert Badinter, le procès et l’emprisonnement de Klaus Barbie constituaient « une victoire morale sur les hommes de sang, de torture et de mort. »
On le voit, d’après ces quelques éléments développés ci-dessus, Robert Badinter a, par son action et ses combats sans relâche au nom de la justice française, considérablement modifié l’état du droit, de la justice et surtout des libertés publiques.
Robert Badinter et la présidence du Conseil constitutionnel
Il fut proposé à plusieurs reprises à Robert Badinter d’accéder à la présidence du Conseil constitutionnel. Après des refus, il accepta finalement et y resta de 1986 à 1995. Il y rejoindra un autre grand juriste et homme politique français, le Doyen Vedel. Il marquera sa présidence par une incessante volonté et une incessant combat pour affirmer et asseoir l’indépendance du Conseil constitutionnel. En sa qualité de président, il aura par ailleurs à connaitre de plusieurs hypothèses constitutionnelles jamais vues jusqu’alors : en effet, il connut les deux premières cohabitations sous la Ve République mais aussi les questions découlant du référendum organisé eu égard au Traité de Maastricht.
Robert Badinter devient finalement sénateur de 1995 à 2011. Il fut d’ailleurs le rapporteur du projet de loi qui visait à constitutionnaliser l’abolition de la peine de mort et qui permit, in fine, d’insérer au sein de la Constitution en son article 66-1 les célèbres dispositions suivantes : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort » (Titre VIII, « De l’autorité judiciaire »). Il fut également un instigateur particulier de la réforme visant à introduire la question prioritaire de constitutionnalité, au sein de la Constitution, et donc le contrôle a priori des lois, lorsqu’elles sont entrées en vigueur et lorsqu’elles ont déjà produit des effets juridiques. Dès 1989, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française, Robert Badinter plaidait déjà en faveur de cette réforme et avait déclaré à ce sujet qu’« en 1789 on a affirmé les droits, en 1989, on les exerce. »
Même si une longue période de quasiment vingt ans sépare cette déclaration lourde de sens et la réforme qui acta cette nouvelle règle au sein du texte constitutionnel suprême, il est intéressant de noter qu’il a su œuvrer en faveur d’une modification des liens qui existaient alors entre le droit d’une part, l’ensemble des citoyens d’autre part.
Pour clore, s’il fallait un énième exemple de la marque laissée par l’homme politique, il suffira de reprendre la déclaration du Chef de l’Etat lors de son discours en hommage à Robert Badinter, mercredi 14 février 2024 : « votre nom devra s’inscrire au Panthéon ».