Une revalorisation du salaire des magistrats justifiée et justifiable ?
Cette décision annoncée à la télévision par le Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, en ce début de semaine semble tout à fait justifiée et justifiable. Elle est par ailleurs selon lui "inédite et considérable". En effet, pour rappel, les magistrats de l'ordre judiciaire n'ont pas connu une telle revalorisation de leurs salaires depuis 1996 (ces magistrats oeuvrent dans les tribunaux pénaux et civils). Notons également sous ce rapport que les magistrats administratifs avaient pu, pour leur part, bénéficier d'une telle revalorisation : de fait, les magistrats de l'ordre judiciaire étaient payés environ 20% de moins par rapport aux magistrats de l'ordre administratif.
Le ministre de la Justice a semblé s'émouvoir d'une telle disproportion de salaires entre les magistrats de ces deux ordres, ce dernier souhaitant en fin de compte que les magistrats judiciaires "soient payés comme les magistrats de l'ordre administratif", après plus de vingt-cinq années sans augmentation.
Cette revalorisation du salaire touchera, dans les faits, plus de 9 000 professionnels. Il leur faudra néanmoins être patients puisque l'annonce n'entrerait en vigueur qu'à partir de la fin de l'année 2023, vraisemblablement à l'automne de la même année.
Il est également intéressant de noter que cette augmentation se justifie par une rémunération relativement basse en début de carrière pour ces magistrats de l'ordre judiciaire. D'où la nécessité de l'augmenter. En effet, il faut souligner le fait qu'en début carrière, actuellement en France, les magistrats de l'ordre judiciaire touchent environ 2 500€ brut.
Cependant, un autre objectif est apparu dans les propos tenus par le Garde des Sceaux : celui d'attirer dans ces différentes fonctions peu attractives des profils plus diversifiés.
Une justice souffrant d'"années d'abandon" (Eric Dupond-Moretti)
30 millions d'euros : c'est le montant estimé que devrait coûter cette revalorisation des salaires des magistrats de l'ordre judiciaire, chaque trimestre, à compter de la fin 2023.
Il est utile d'observer que cette augmentation intervient également dans un contexte somme toute particulier puisque la justice française est en souffrance, celle-ci éprouvant en effet un manque de moyens, aussi bien humains que matériels, depuis de nombreuses années. À cet égard et par cette annonce, Éric Dupond-Moretti a souhaité souligner le fait qu'il désire qu'il soit dorénavant mis un terme aux "années d'abandon" auxquelles ont fait face les magistrats de cet ordre.
Face à ce contexte, et en complément de cette revalorisation du salaire des magistrats de l'ordre judiciaire, le Garde des Sceaux a pu annoncer qu'il souhaitait qu'à terme, plus de 8 000 professionnels soient recrutés.
Toutefois, force est de constater que, pour l'heure, l'ensemble des modalités inhérentes à cette augmentation sont inconnues. Sans doute seront-elles précisées ultérieurement. Il est néanmoins utile de noter qu'une certaine sanctuarisation de cette mesure sur le long terme soit envisagée puisque l'enveloppe totale de cette mesure sera portée à 120 millions d'euros pour l'année 2024, ce qui ne présage pas une baisse du budget en la matière pour la deuxième partie du second quinquennat d'Emmanuel Macron.
Qu'en pensent les principaux concernés ?
Nous pouvons retenir de cette annonce que cette revalorisation intéressera d'abord les magistrats du premier grade. Or l'augmentation de salaire devrait être dégressive pour tous les autres magistrats disposant d'un grade supérieur. Une question a déjà pu se poser à ce sujet puisque la revalorisation concernée trouvera à s'appliquer aux primes forfaitaires ainsi qu'aux primes modulaires : les sommes en cause s'appliqueront-elles ou non dans le calcul de la retraite de ces magistrats ? Enfin, il est intéressant de revenir sur les considérations des principaux concernés. L'annonce a été faite alors que les syndicats s'émouvaient depuis plusieurs semaines sur cette différence entre les deux ordres judiciaire et administratif alors qu'avait été rendue officielle la publication des États généraux de la justice.
L'annonce n'a pas manqué de faire couler de l'encre parmi les syndicats de magistrats. Nous pouvons tout d'abord relever les propos de Béatrice Brugère, présidente d'Unité Magistrats. Cette dernière a partagé son regret en déclarant que cette annonce télévisée du ministre de la Justice a été faite sans même qu'elle ait "été discutée [préalablement] avec les partenaires sociaux". Elle souligne le fait qu'une nouvelle fois cette décision soit finalement "le fait du prince" alors même qu'il s'agit ici "de la première revendication" des magistrats dont ils avaient fait part durant l'été 2022.
D'autres syndicats se sont réjouis de cette annonce en soulignant toutefois le fait que les conditions de travail doivent elles aussi être modifiées pour qu'une meilleure justice soit effectivement rendue. Le recrutement massif annoncé pose également question. À ce sujet Samra Lambert, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, déclare qu'il n'y a eu pour le moment "aucun plan [présenté] sur ces recrutements", ni encore sur le financement des salaires augmentés.
Samra Lambert a également pu ajouter au sujet de ces différentes problématiques qu'il "faut repenser drastiquement ce que l'on attend de la justice en France". Il nous faut donc, pour le moment, patienter jusqu'à ce que de nouvelles annonces plus précises à ce sujet soient émises et expliquées par le ministère de la Justice. Nul doute que d'ici là les nombreuses inquiétudes, mais aussi les propositions de modifications du système seront effectuées par les professionnels de la justice concernés.
Sources : France Info TV, Europe 1, Huffingtonpost, Midi libre