La question prioritaire de constitutionnalité posée

Le 21 avril dernier, les Sages du Conseil constitutionnel ont répondu à une question prioritaire de constitutionnalité (ci-après QPC) inhérente à la responsabilité des parents pour les dommages causés par leur enfant. Plus exactement, ils ont été amenés à se pencher sur la conformité à la Constitution du principe en vertu duquel le parent chez qui l’enfant a sa résidence habituelle est bel et bien responsable sur le plan civil des dommages qui sont causés par ce dernier en dépit du fait qu’il était chez son autre parent qui exerçait son droit de visite et d’hébergement ?

Commentaire d’arrêt de la Deuxième Chambre civile de la Cour de cassation du 19 février 1997 : l’exonération de la responsabilité des parents en cas de dommages causés par leur enfant mineur

Cour de cassation, 2e chambre civile, 19 février 1997, arrêt Bertrand - La présomption de responsabilité des parents peut-elle être combattue par une autre cause d’exonération que la faute de la victime ou la force majeure ?


Que prévoit le Code civil au regard de la responsabilité des parents ?

Les dispositions contenues au sein de l’article 1242, alinéa 4, du Code civil prévoient que les parents, en ce qu’ils « exercent l’autorité parentale », sont tous deux tenus responsables, de manière solidaire, de tout dommage qui aurait été causé par leur enfant mineur « habitant chez eux ». C’est précisément sous le rapport de ce dernier passage que la QPC fut posée au Conseil constitutionnel. Pour les requérants, celui-ci résulte sur une différence de traitement qui n’est pas justifiée entre d’une part les parents effectivement divorcés, d’autre part les victimes desdits dommages qui ne sont pas en mesure d’actionner les règles de la responsabilité de plein droit de l’autre parent.
Au surplus, les requérants ont argué du fait que ce principe n’était pas en adéquation avec le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la mesure où l’autre parent, chez qui l’enfant n’a pas sa résidence habituelle, et donc le parent qui exerce son droit de visite et d’hébergement, pourrait être amené à ne plus vouloir s’investir dans l’éducation de son enfant.
Dans son examen, le Conseil constitutionnel s’est intéressé à la jurisprudence de la Cour de cassation, et notamment la définition que celle-ci a donné de la notion de cohabitation.

La responsabilité des parents du fait de leur enfant



Qu’entend-on par cohabitation ?

Si le dernier passage de l’article 1242, alinéa 4, du Code civil est bien l’objet de cette QPC, la Cour de cassation a déjà été amenée à en définir l’essence. Il convient immédiatement de noter que la conception de ce passage n’a pas toujours été la même et qu’elle a donc évolué.
En effet, en premier lieu, les juges de la Cour de cassation ont retenu une conception strictement matérielle et concrète. Autrement dit, dans l’hypothèse où l’enfant cause un dommage et qu’il vit chez ses parents, alors ces derniers seront tenus responsables de ce dommage causé à autrui. De la sorte, pour le cas où un dommage est causé par un enfant mais que celui-ci ne vit pas chez ses parents, alors les dispositions de l’article 1242 susmentionnées sont inopérantes et ainsi ces derniers ne pourront pas être reconnus responsables civilement. Pour comprendre cette première conception, il convient de retenir que c’est parce que les parents sont en mesure d’intervenir de manière directement sur le comportement de l’enfant qui vit chez eux qu’ils peuvent être tenus responsables des dommages causés par ce dernier. Le devoir d’éducation est ainsi mis en exergue conformément à cette conception matérielle : si les parents ne peuvent pas matériellement agir sur le comportement de leur enfant, alors leur responsabilité civile ne saurait être valablement engagée.
Il est toutefois à noter, dans un second temps, que cette conception fut abandonnée. Effectivement, la jurisprudence a décidé de s’intéresser à cette conception d’une manière inédite. Si la première conception était à la fois matérielle et concrète, la seconde conception est pour sa part abstraite et strictement juridique. De fait, maintenant, il n’est plus attendu que l’enfant ait effectivement sa résidence chez ses parents lorsqu’il cause un dommage à autrui. En d’autres termes, si l’enfant a sa résidence habituelle chez ses parents, ce simple constat suffit à engager la responsabilité civile de ses parents.
Ce simple constat n’est pas sans poser problème notamment à l’égard des parents divorcés. Dans une décision rendue par la Deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 19 février 1997, les juges avaient retenu que le fait pour un des parents d’exercer « un droit de visite et d’hébergement ne fait pas cesser la cohabitation du mineur avec celui des parents qui exerce sur lui le droit de garde » (cf. n° de pourvoi : 93-14.646). Cela revient à dire que peu importe que l’enfant habitait chez l’autre parent qui usait de son droit de visite et d’hébergement au moment des faits dommageables, il n’en reste pas moins que l’autre parent qui a la garde de l’enfant demeure responsable des faits concernés. C’est bien cette conception qui constitue le centre des problématiques auxquelles le Conseil constitutionnel a été amené à connaitre.

Cour de cassation, chambre criminelle, 29 avril 2014 - Responsabilité parentale et principe de cohabitation

Qu’a décidé le Conseil constitutionnel ?

Dans notre cas d’espèce, les Sages du Conseil constitutionnel ont décidé de procéder au rappel du principe d’égalité, principe selon lequel lorsque l’intérêt général l’oblige, la loi est en mesure de prévoir des règles différentes applicables à des situations différentes. S’il est vrai qu’il existe une différence de traitement des parents, selon qu’ils exercent leur droit de visite et d’hébergement ou qu’ils ont la garde de l’enfant, selon les Sages, cette différence de traitement découle de la loi et de l’objet de la loi.
De surcroit il convient de noter que cette différence de traitement, telle qu’appliquée aux victimes des dommages causés par les enfants en pareils cas, ne s’oppose pas à ce que ces dernières engagent la responsabilité personnelle de l’autre parent (il conviendra de démontrer que celui-ci a commis une faute personnelle pour que l’action puisse aboutir).
Compte tenu de ces constats, les Sages ont conclu que les dispositions de l’article 1242, al. 4, du Code civil et la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière sont bien conformes aux dispositions constitutionnelles suprêmes. Par conséquent il faut retenir que le parent qui dispose de la résidence habituelle de l’enfant est responsable des dommages causés par son enfant même si ce dernier, au moment des faits dommageables, vivait bien avec l’autre parent qui usait de son droit de visite et d’hébergement.