Les raisons de ce rejet massif
Le projet de réforme constitutionnelle a été rédigé par une assemblée constituante, mise en place en juillet 2021, et composée de 154 membres, dont la plupart étaient issus de la société civile.
Le texte final soumis au vote des citoyens chiliens comprenait au total 388 articles dont le contenu fut considéré comme controversé malgré des propositions d'avancées sociales notables. La population a semblé s'être émue d'une volonté de suppression du Sénat chilien qui aurait été remplacé, dans la pratique, par une Chambre des régions. Ces derniers ont, sous ce rapport, considéré qu'il pourrait s'agir d'une réelle perte de contre-pouvoir au détriment de l'opposition politique au sein du Parlement.
Les avancées sociales proposées, notamment la reconnaissance de nouveaux droits aux peuples indigènes chiliens, qui représentent près de 13% de la population totale du pays, ainsi qu'assurer le droit à l'avortement alors que la population est majoritaire conservatrice, ont été considérées comme des points de discorde majeurs pour les électeurs les plus âgés. En effet, nombre de ces propositions s'ancrent plutôt dans une vision moderne de la population, créant d'une certaine manière un clivage avec la population chilienne sûrement plus traditionaliste et majoritaire outre-Atlantique.
De son côté, le président chilien Gabriel Boric, élu au printemps 2022, a rapidement vu sa côte de popularité chuter face à ce rejet important du projet de réforme constitutionnelle. Face à ce rejet, celui-ci a déclaré qu'il s'agit « d'un vote de sanction [devant] être pris en compte. » Le gouvernement est d'ailleurs actuellement remanié et celui-ci a demandé aux oppositions politiques de s'intéresser à la façon dont un nouveau processus de réforme de la Constitution pourrait être organisé.
Enfin, ce qui semble avoir également joué un rôle prépondérant dans ce rejet massif ainsi qu'une participation record (près de 80% de la population totale s'est rendue aux urnes) pourrait résider dans la situation économique actuellement traversée par le pays. Notons que l'inflation a augmenté de 13% sur une année et le pays connaît un ralentissement économique conséquent malgré une croissance dont le taux est notable pour l'année 2021 : 11,7%.
Se pose maintenant la question de savoir ce que contenait plus précisément ce projet de réforme ?
Le contenu du projet de réforme constitutionnelle
Le projet de réforme constitutionnelle soumis au vote des Chiliens était un projet relativement ambitieux, prévoyant des changements profonds pour le pays dans diverses matières. En effet, à titre liminaire ici, il nous faut relever que l'actuelle Constitution en vigueur au Chili, telle qu'elle fut rédigée en 1980, met au centre de ses principes l'application d'une économie néolibérale, l'État chilien ne pouvant, en d'autres termes, que « contribuer à créer les conditions sociales » pour favoriser l'épanouissement des citoyens. Or le projet de réforme s'était inscrit en opposition avec cette Constitution appliquée puisqu'il souhaitait la mise en place d'un État-providence chilien qui aurait garanti un certain nombre d'avancées sociales et de droits sociaux.
Notons ensuite que le système politique aurait été profondément modifié puisque le Sénat chilien, qui aujourd'hui agit de concert avec l'Assemblée nationale pour voter la loi, aurait été remplacé par une nouvelle chambre qui n'aurait plus eu de prérogatives en matière de vote de la loi. De même, le projet aurait souhaité la mise en application d'une démocratie paritaire, ouvrant aux femmes la moitié des postes au sein des institutions chiliennes.
Quid du système de santé ? Le système de santé chilien aurait lui aussi été impacté par cette réforme. Effectivement, il faut noter qu'aujourd'hui les employés sont les seuls à cotiser pour le système de sécurité sociale : le projet prévoyait que les employeurs auraient également dû y contribuer de leur côté. De plus, le système de santé aurait été universel. Il se serait inscrit en opposition avec les règles actuellement applicables en la matière dans la mesure où les Chiliens sont libres d'y participer ou pas. De même, les citoyens chiliens les plus favorisés sont actuellement les seuls à pouvoir accéder à un système de santé privé.
En outre, l'interruption volontaire de grossesse fut un point de divergence dans le cadre de ce rejet. En effet, tel qu'il ressort des dispositions de l'actuelle Constitution, celles-ci protègent « la vie des enfants à naître ». Toutefois, le Chili avait d'abord fait le choix de dépénaliser l'avortement dans deux cas : en cas de viol, puis lorsque la vie de l'enfant ou de la mère est en danger. Or le projet de réforme constitutionnelle prévoyait l'autorisation de l'avortement volontaire, les parlementaires chiliens devant par la suite fixer un certain nombre de règles pour l'encadrer et le garantir.
Finalement, ce qui ressort de ce projet de réforme de la Constitution chilienne réside dans la volonté de la création d'un État plurinational. En effet, il prévoyait de reconnaître les peuples indigènes chiliens comme des nations, au sein même de l'État chilien qui serait toutefois resté « unique et indivisible. » Aujourd'hui, les peuples indigènes représentent près de 13% de la population totale du pays. Il était, en outre, prévu qu'une autonomie serait accordée à ces nations, par exemple dans la matière judiciaire, même si la Constitution chilienne ainsi que l'ensemble des engagements internationaux pris par le Chili demeuraient respectés. La Cour suprême du pays aurait de même continué à bénéficier de sa suprématie au sein de ces nations.
On le voit, le rejet de cette réforme constitutionnelle s'explique par différents facteurs, mais aussi par une certaine velléité de la population à l'égard de certaines dispositions du projet soumis au vote.
Sources : Le Monde, France 24, TV5 Monde