Une proposition de loi qui pourrait ne pas passer l’examen du Conseil constitutionnel
Ce n’est qu’à l’issue d’une séance particulièrement tendue que les membres du Palais Bourbon ont adopté le 6 février 2025 une proposition de loi du groupe Droite Républicaine qui vise principalement à limiter un peu plus encore le droit du sol tel qu’applicable à Mayotte.
A titre liminaire, il convient déjà de noter que depuis 2018 maintenant le droit du sol contient une dérogation concernant la situation de Mayotte. Pour qu’un enfant né à Mayotte acquiert la nationalité précisément par le droit du sol, il est demandé le concernant qu’au jour de sa naissance, au moins un de ses parents, soit présent sur le territoire national de façon régulière depuis plus de trois mois.
Le texte en question dans notre développement contient une précision supplémentaire par rapport à la dérogation susmentionnée. En effet, un enfant né à Mayotte pourra obtenir la nationalité française si les « deux parents » sont présents sur le territoire national de façon régulière au jour de sa naissance depuis non plus trois mois mais trois ans. Il nous faut retenir que l’année dernière déjà, un amendement n’a pas passé l’examen du Conseil constitutionnel : ici cependant les juges constitutionnels ne s’étaient pas intéressés au fond mais avaient plutôt considéré que celui-ci était constitutif d’un « cavalier législatif » au sens des dispositions de l’article 45 du texte constitutionnel suprême, c’est-à-dire que la mesure en cause était dépourvue de tout lien direct ou indirect avec le texte présenté.
Le risque de censure réside dans le délai de résidence porté à trois ans : la proposition de loi initiale portait pour sa part ce même délai à un an. A cela, Gérald Darmanin, l’actuel Garde des Sceaux, a précisé qu’il reviendrait sur ce délai à l’occasion de l’examen du texte devant les sénateurs. Ce dernier a également eu l’occasion de préciser qu’à titre strictement personnel, il était favorable à ce que le droit du sol à Mayotte soit tout simplement abrogé ; il précisa qu’il est favorable à ce qu’un débat public soit mis en place concernant le droit du sol sur l’ensemble du territoire national. Il s’agirait alors de modifier le contenu du texte constitutionnel. Cette proposition pourrait figurer dans les programmes de candidats à la prochaine élection présidentielle ou par la mise en place d’un référendum à ce sujet.
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En quoi consiste toutefois le droit du sol en France ?
Ce droit du sol, c’est-à-dire la possibilité pour un individu né sur le territoire national d’acquérir la nationalité française revêt la nature d’un principe qui a pris naissance sous la monarchie française et qui fut par la suite repris par la République. Néanmoins il nous faut bien garder en tête que ce droit du sol n’est en rien constitutif d’un droit absolu. Cela signifie, en d’autres termes, que les individus qui naissent en effet sur le territoire national sont en mesure d’acquérir la nationalité française s’ils remplissement des conditions déterminées. En ce sens, en effet, selon les règles juridiques applicables de manière actuelle, afin qu’un enfant né sur le territoire national de parents étrangers puisse acquérir la nationalité, il convient qu’il atteigne l’âge de 13 ans et qu’il justifie de cinq années de résidence depuis ses 8 ans. Ensuite, ses parents seront en mesure de demander, pour le compte de l’enfant, la nationalité.
Concernant la situation de Mayotte, le droit du sol est d’autant plus limité ce qui résultera sur un affaiblissement de l’acquisition de la nationalité tandis que les flux migratoires dans cet archipel sont en constante augmentation. Gérald Darmanin, à l’occasion de ses précédentes fonctions en tant que Ministre de l’Intérieur, avait émis le souhait de réviser la Constitution française pour que la fin pure et simple du droit du sol à Mayotte y soit inscrite. L’actuel Ministre délégué auprès du Ministre de l’Europe et des Affaires Etrangères, le mahorais Thani Mohamed Soilihi, émettait, pour sa part, de fort doute à ce sujet et souhaitait que la réforme instaurée en 2018 soit finalement évaluée quant à ses effets. Il considérait, à ce sujet qu’environ 45% des naissances totales à Mayotte résultaient de l’immigration irrégulière. Il critiquait également le fait qu’il n’existe aucun chiffre sur les possibles certificats de résidence illicites. Il déplorait que nombre de femmes comoriennes venaient accoucher à Mayotte en ne sachant pas que dans tous les cas leur enfant ne pourrait bénéficier de la nationalité française.
Vouloir supprimer ou modifier le droit du sol est une chose, mais actuellement nombre de migrants proviennent du continent africain et ne demandent pas la nationalité française mais demandent à bénéficier du statut particulier de réfugié…
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Revenons finalement sur la proposition de supprimer le droit du sol (que ce soit à Mayotte ou sur le territoire national dans son ensemble) : cette suppression doit nécessairement passer par la révision du texte constitutionnel suprême. Si tel n’était pas le cas, ce dont nous pouvons douter, le texte de loi en cause ne passerait pas l’examen rigoureux du Conseil constitutionnel. Pourquoi ? L’on peut aisément considérer que le Conseil constitutionnel, pour censurer le texte et clamer son inconstitutionnalité, s’appuierait entre autres sur le principe d’indivisibilité de la République, de même que sur la méconnaissance d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République…
Dans tous les cas, cette prise de position du Garde des Sceaux a fait réagir le pouvoir exécutif. Ainsi, par exemple, Elisabeth Borne, la Ministre actuelle de l’Education, s’est fermement opposée à une telle révision de la Constitution concernant le droit du sol tel qu’appliqué en France. Pour sa part, François Bayrou, le Premier ministre, a considéré qu’il conviendrait plutôt de mettre en place un débat sur la question de savoir ce en quoi être un citoyen français consiste.
Références
https://www.francetvinfo.fr/france/mayotte/restriction-du-droit-du-sol-a-mayotte-que-contient-la-proposition-de-loi-des-republicains-adoptee-par-l-assemblee-nationale_7058471.html
https://www.lepoint.fr/politique/francois-hollande-fustige-un-debat-inutile-sur-le-droit-du-sol-qui-creerait-une-cacophonie-09-02-2025-2581900_20.php
https://www.lejdd.fr/Societe/droit-du-sol-vs-droit-du-sang-la-fin-dun-tabou-en-france-154717
https://www.leclubdesjuristes.com/politique/fin-du-droit-du-sol-clarifications-et-consequences-6411/