Droit pénal, droit de la presse

A l’appui de cette proposition de la loi, La France Insoumise rappelle que l’apologie du terrorisme n’était pas initialement prévue au sein des dispositions du Code pénal mais dépendait en vérité du droit de la presse. Ces derniers dénoncent par conséquent le fait que cette infraction soit inscrite dans les dispositions du Code pénal et non pas dans le droit de la presse. Pour défendre cette proposition de loi qui, dès sa publication, fit grand bruit dans la presse française, Mathilde Panot déclara que cette proposition ne vise pas à abroger ce délit si particulier mais simplement de le transférer dans le régime juridique du droit de la presse

Toutefois, cette proposition déposée sur le Bureau de l’Assemblée le 19 novembre dernier, a rapidement fait réagir l’opinion publique mais aussi la sphère politique, notamment au sein du pouvoir exécutif. Par exemple, Bruno Retailleau, l’actuel Ministre de l’Intérieur, a considéré que cette proposition de loi est « innommable », et Didier Migaud, le Garde des Sceaux, s’est exclamé à ce sujet considérant qu’elle est « ignoble » et qu’un combat doit être engagé à ce sujet avant d’ajouter que la liberté d’expression qui n’est pas absolue « n’a jamais tout permis ». 

Cette proposition n’emporte pas non plus l’unanimité à gauche de l’échiquier politique dans la mesure où le député socialiste Olivier Faure a précisé que son groupe avait décidé de ne pas soutenir la proposition de LFI. 

Face à ces critiques, LFI précise que cette proposition de loi ne vise absolument pas à minimiser les délits qui sont explicitement en lien avec l’apologie du terrorisme, mais vise au contraire à ce que la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse soit la seule base juridique pour effectivement être en mesure de condamner une telle apologie. 

Le délit d’apologie du terrorisme : de quoi parle-t-on ? 

Ces premières constatations étant effectuées, il convient maintenant de revenir sur ce délit et ce qu’il implique. Pour être exact, il faut noter que ce dernier fut institué par la loi du 13 novembre 2014, dite Loi Cazeneuve. Avant son entrée en vigueur, l’apologie du terrorisme et son régime juridique étaient directement impactés par les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 susmentionnée. De la sorte, il s’agit depuis lors d’une infraction de droit commun ce qui a eu pour conséquence que les poursuites ont-elles aussi été modifiées. En effet, antérieurement à 2014, cette apologie était régie par des règles procédurales contraignantes ce qui devait déterminer les autorités compétentes à n’enclencher le contentieux qu’en cas de faits d’espèce les plus graves. Ainsi, les affaires des individus mis en cause étaient connues par une juridiction spécialisée à Paris.

Ceci n’est plus le cas depuis 2014 : ainsi, tout parquet français pourrait en effet être saisi à l’occasion d’une enquête relative à l’apologie du terrorisme. La peine d’emprisonnement est de cinq ans, et l’amende pouvant finalement être infligée est de 75 000 euros

Notons également un autre changement concernant les règles de droit commun applicables, puisqu’il est possible qu’un individu, à l’issue de sa garde à vue, soit amené à comparaitre immédiatement devant une juridiction. 

Il faut aussi noter que ce transfert soustrait alors ce délit à un formalisme strict et contraignant, découlant de la loi de 1881, tout en permettant d’avoir recours à des techniques spéciales dans le cadre des enquêtes mises en œuvre.  

Une atteinte effectivement portée à la liberté d’expression ?

Ce délit d’apologie du terrorisme suscite bien des interrogations notamment à l’égard d’une supposée atteinte à la liberté d’expression. Notons tout d’abord que la loi Cazeneuve ne donne aucune définition quant à la notion d’infraction d’apologie du terrorisme. A cela, néanmoins, la Cour de cassation a été en mesure d’en préciser le sens et la portée, s’agissant, pour cette dernière du « fait d’inciter publiquement à porter sur ces infractions ou leurs auteurs un jugement favorable » (cf. Cass. crim., 04/06/2019, n° 18-85.042).

Les oppositions à ce passage dans le droit commun ont rapidement émergé, notamment sous le rapport particulier de la liberté d’expression et d’un possible affaiblissement de cette liberté et de sa défense. Pour l’avocat Vincent Brengarth, ces interrogations furent en fin de compte « confirmées par la pratique judiciaire » concernant par exemple des critiques formulées contre le pouvoir « et [touchant] directement la liberté d’expression ». Pour d’autres encore, à l’image de Marc Trévidic, magistrat, il y a un usage de cette loi, depuis son entrée en vigueur, qu’il qualifie de « dévoyé ». 

Une question prioritaire de constitutionnalité avait été posée au Conseil constitutionnel en 2018. A cette occasion, les juges avaient retenu que les dispositions en cause étaient conformes au texte constitutionnel suprême. Il s’agissait d’une demande formulée par le cofondateur du groupe armé d’extrême gauche Action directe et qui avait fait l’objet d’une peine de 8 mois de prison ferme, après avoir qualifié les auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo de « très courageux ». Finalement la France fut condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, considérant que la condamnation de cet individu était constitutive d’une « ingérence dans la liberté d’expression ».

Reste pour l’heure à observer les débats et la décision finale relativement à cette proposition de loi si controversée…

Références

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b0577_proposition-loi

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000038629789

https://www.lexpress.fr/politique/lfi/quest-ce-que-le-delit-dapologie-du-terrorisme-que-lfi-veut-supprimer-du-code-penal-IBVWK37RD5GFVG3XLVEPQKDX5A/

https://www.europe1.fr/politique/abrogation-du-delit-dapologie-du-terrorisme-une-proposition-de-loi-qui-arrangerait-peut-etre-les-affaires-des-insoumis-4281406