Le souhait de Gérald Darmanin

À l'occasion de sa déclaration, le ministre de la justice a précisé avoir demandé à ce que l'administration lui fournisse une liste comprenant les « 100 plus grands narcotraficants écroués » actuellement dans les prisons françaises et qui pourraient disposer de contacts à l'extérieur, leur permettant ainsi de continuer leurs activités illicites. Ces derniers feraient alors l'objet d'un isolement comparable à celui des individus condamnés pour terrorisme, et donc, un isolement particulier et renforcé. Pour mener à bien ce souhait, il a précisé ensuite que cet isolement serait mis en place dans des centres déterminés dans lesquels des systèmes de brouillage de téléphones portables serait prévu et le fonctionnement de ces derniers amélioré ; les narcotraficants concernés feraient en outre l'objet de fouilles renforcées. 

Le ministre de la justice a aussi promis, concernant les téléphones portables qui constituent une critique récurrente à l'encontre de l'exécutif (40 000 d'entre eux circulant des prisons ont été saisis l'an dernier) que des « opérations de nettoyage des prisons » auront prochainement lieu. 

Un symbole fort pour les français 

Selon Gérald Darmanin, sa déclaration constitue un symbole fort pour les français, soulignant les récurrentes interrogations liées au trafic de drogue dans les prisons. Et celui-ci d'ajouter que certains assassinats sont commandités directement depuis les prisons. L'isolement permettrait donc de les faire cesser, à tout le moins à les réduire. Certes le pays rencontre de réelles difficultés budgétaires actuellement, cependant, cette annonce et ses effets après cette mise en application de l'isolement de certains narcotraficants les plus violents donnera « un signal extrêmement fort et [montrera] le volontarisme de l'Etat » en la matière. Il faut noter toutefois que les prisons françaises sont actuellement surpeuplées avec plus de 80 000 détenus comptabilisés au 1er novembre 2024. Pour Gérald Darmanin, sa proposition sera suivie d'effets et rapidement si et seulement si « quelques millions d'euros de plus » sont affectés au budget, et s'il existe une réelle volonté des fonctionnaires. Ce dernier conclura que « des gens qui continuent de semer la mort dans les rues françaises » seront « mis hors d'état de nuire », et qu'il n'est pas nécessaire, selon lui, de passer par l'adoption d'une nouvelle loi, l'isolement dont il fait mention constituant une mesure administrative existante. 

Une première proposition amenée à se généraliser ?

Pour Gérald Darmanin, l'isolement ici en question et qui intéresse la centaine de narcotraficants les plus dangereux devrait par la suite être étendu à l'ensemble des individus arrêtés et écroués pour trafic de drogue et qui y continuent leurs activités illégales. Les chiffres à ce sujet sont d'ailleurs conséquents car on comptabilise actuellement plus de 17 000 personnes emprisonnées pour trafic de stupéfiants. 

Pour le sénateur LR du Rhône, Étienne Blanc, la mesure évoquée est « tout à fait réaliste ». Ces systèmes de brouillage dont a fait mention Gérald Darmanin sont déjà utilisés dans certaines prisons. Selon le sénateur, il faudrait donc les généraliser à l'ensemble des centres français. Pour lutter contre la prolifération des téléphones portables en prison, ce dernier ajoute qu'il faut mettre en place un renforcement des fouilles des cellules plusieurs fois par jour afin d'éviter « le système pendulaire » (le passage d'un seul et même téléphone d'une cellule à l'autre) et des visiteurs. Il conclut finalement en considérant que ces mesures ne sont pas excessives bien qu'il conçoive qu'elles soient "très [intrusives]". 

À cela cependant, des critiques de nature juridique existent. Certains commentateurs, à l'image de Me Julien Pinelli, avocat pénaliste au barreau d'Aix-en-Provence. Celui-ci considère cette proposition comme un « affichage publicitaire ». Pour lui, se posent les questions suivantes : quels sont les critères précis pour déterminer les profils en cause ? Qui se chargera de les évaluer puis de les contrôler ? Pour lui, seul un magistrat est en mesure de répondre à la question de savoir qui constitue véritablement un danger pour l'ordre public. Le magistrat est cependant soumis à un secret certain et pour Me Ménya Arab-Tigrine, la justice ne sera pas en mesure de « dresser la liste » évoquée par le ministre de la justice. Et quand bien même il en serait ainsi, la communication de cette liste par la justice serait tout simplement anticonstitutionnel. Me Pinelli conclut sur le fait que ces annonces à portée politique majeure ignorent tout simplement « la réalité du monde carcéral ». 

Des déclarations simplistes à l'épreuve de la réalité du terrain

Pour le secrétaire général du syndicat UFAP-UNSa Justice, Emmanuel Chambaud, la réalité du terrain se heurte aux déclarations du ministre de la justice. Pour appuyer ses propos, celui-ci rappelle que « les quartiers d’isolement sont pleins dans toutes les prisons ». Notons que les places d’isolement actuelles sont réservées aux terroristes. Or faire de la place dans ces quartiers reviendrait à faire un choix « sans critères légaux » pour Me Arab-Tigrine. Pour Emmanuel Chambaud, il faut aussi garder à l’esprit que certains narcotraficants considérés comme les plus dangereux sont déjà placés dans ces quartiers d’isolement. 

En outre, selon Me Bruno Rebstock, l’annonce de l’actuel ministre de la justice ne constituerait rien moins d’autre qu’une volonté de « recréer sous une autre appellation les quartiers de haute sécurité », quartiers supprimés par Robert Badinter en 1982, les considérant comme inhumains. Et le président de l’association des avocats pénalistes, Me Romain Boulet, de souligner « [les] conséquences dramatiques sur la santé physique et psychique » des individus faisant l’objet d’un tel isolement, qualifiant cette mesure administrative de « torture blanche » inefficace. Il ajoute aussi que cette même mesure sera presque impossible à contester pour les personnes qui en feront l’objet. 

La nécessité de créer de nouvelles prisons spéciales ?

FO Justice fait partie des syndicats qui souhaitent la création de « prisons spécifiques » pour ces détenus et non pas la création de quartiers spéciaux. Soulignant leur souhait de création de telles prisons depuis plusieurs années maintenant, il conviendrait selon eux de classifier les établissements et de cesser d’emprisonner « tout le monde avec tout le monde ». Ces prisons spécifiques seraient munies de moyens propres, et notamment des systèmes de protection particuliers, dont les systèmes de brouillages évoqués…

Références

https://www.francebleu.fr/infos/politique/gerald-darmanin-souhaite-instaurer-un-isolement-renforce-pour-les-narcotrafiquants-en-prison-9031047

https://www.francetvinfo.fr/societe/prisons/isolement-renforce-des-grands-narcotrafiquants-une-annonce-choc-mais-inapplicable-estime-une-avocate-au-barreau-de-paris_6990356.html

https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/12/28/gerald-darmanin-nouveau-ministre-de-la-justice-souhaite-instaurer-un-isolement-renforce-pour-les-narcotrafiquants-en-prison_6471751_823448.html

https://www.liberation.fr/societe/police-justice/isolement-renforce-pour-les-narcotrafiquants-gardiens-de-prison-magistrats-et-avocats-divises-sur-la-proposition-de-darmanin-20241230_CU2U2GX62FDDLFWKPJ37FJL5NY/